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Roger arriva juste au moment où se faisait la belle revue de l’armée. Pour en connaître le but, après être descendu sur terre, il interrogea un chevalier. Celui-ci, qui était courtois, lui dit que c’étaient les forces de l’Écosse, de l’Irlande, de l’Angleterre et des îles voisines, dont les nombreuses bannières étaient déployées en cet endroit;

Qu’une fois la revue terminée, les troupes se dirigeraient vers la mer, où les attendaient de nombreux navires ancrés dans le port, pour les transporter au delà de l’Océan. «Les Français assiégés se réjouissent, fondant de grandes espérances sur les forces qui vont les sauver. Mais afin que tu sois complètement informé, je te signalerai séparément les divers bataillons.

» Tu vois bien cette grande bannière où les lis sont placés à côté des léopards; elle est déployée dans les airs par le capitaine en chef, et tous les autres étendards devront la suivre. Le nom de ce capitaine est fameux parmi ces bandes. C’est Léonetto, la fleur des vaillants; il est passé maître au conseil et à l’action. Il est neveu du roi et duc de Lancastre.

» La première, qui, près du gonfalon royal, tremble au vent de la montagne, étalant trois ailes blanches sur champ de sinople, est portée par Richard, comte de Warwick. Au duc de Glocester appartient cette bannière qui a deux cornes de cerf sur une moitié de crâne; au duc de Clarence est celle qui porte un flambeau; celle où est figura un arbre est au duc d’York.

» Vois cette lance brisée en trois morceaux: c’est le gonfalon du duc de Norfolk. Sur celui du beau comte de Kent, est la foudre; un griffon sur celui du comte de Pembroke; une balance sur celui du duc de Suffolk. Vois ce joug qui réunit deux serpents: c’est la bannière du comte d’Essex. Une guirlande sur champ d’azur indique celle de Northumberland.

» Le comte d’Arundel est celui qui a mis en mer cette barque qui s’abîme dans les flots. Vois le marquis de Barclay, et près de lui le comte de la Marche et le comte de Richmond. Le premier porte sur fond de sinople un mont fendu, le second un palmier, le troisième un pin sortant de l’onde. Le comte de Dorset et le comte de Southampton ont sur leur bannière, l’un un char, l’autre une couronne.

» Ce faucon qui incline ses ailes sur son nid est porté par Raimond comte de Devonshire; le jaune et le noir s’étalent sur la bannière du comte de Vigore; un chien sur celle de Derby, un ours sur celle d’Oxford. La croix que tu vois briller sur celle-ci est au riche prélat de Bath. Vois cette chaise brisée sur fond gris: c’est l’étendard du duc Ariman de Sommerset.

» Les hommes d’armes et les archers à cheval sont au nombre de quarante-deux mille. Deux fois autant – et je ne me trompe pas de cent – sont ceux qui combattent à pied. Vois ces drapeaux, l’un gris, l’autre vert, l’autre jaune, et un autre bordé de noir et d’azur; sous chacun de ces étendards marchent les fantassins de Godefroid, d’Henri, d’Herman et d’Odoard.

» Le premier est duc de Buckingham; Henri a le comté de Salisbury et le vieux Herman la seigneurie d’Abergavenny: Odoard est comte de Shresbury. Ceux qui se tiennent un peu plus vers l’Orient sont les Anglais. Maintenant, tourne-toi vers l’Hespérie; là où se voient trente mille Écossais conduits par Zerbin, fils de leur roi.

» Vois, entre deux licornes, le grand lion qui tient l’épée d’argent dans sa patte; c’est le gonfalon du roi d’Écosse. Là est campé son fils Zerbin. Il n’est point de chevalier si brave parmi tant de guerriers. La nature le fit et puis brisa le moule. Il n’en est pas un qui brille autant de courage, autant de grâce, autant de puissance. Il est duc de Ross.

» Le comte d’Athol porte sur son étendard une barre dorée sur fond d’azur. L’autre bannière est celle du duc de Marr et montre un léopard brodé. Vois l’enseigne du vaillant Alcabrun, bigarrée de couleurs et d’oiseaux. Celui-ci n’est duc, comte ni marquis, mais le premier dans un pays sauvage.

» Au duc de Strafford est cette enseigne où l’on voit l’oiseau qui regarde fixement le soleil. Le comte Lucarnio, qui règne sur l’Angus, a pour emblème un taureau flanqué de deux dogues. Vois ici le duc d’Albanie dont l’étendard est mélangé de couleurs blanches et azurées. Un vautour, qu’un dragon vert déchire, figure sur l’enseigne du comte de Buchan.

» C’est le brave Arman qui a la bannière blanche et noire de la seigneurie de Forbes. Il a, à main droite, le comte d’Errol qui porte un flambeau sur champ vert. Maintenant, vois les Irlandais près de la plaine. Ils forment deux escadrons. Le comte de Kildare conduit le premier; le comte de Desmond a composé le second de fiers montagnards.

» Le premier a sur son étendard un pin ardent, l’autre une bande rouge sur fond blanc. Les secours ne sont pas envoyés à Charles seulement par l’Angleterre, l’Écosse et l’Irlande; mais il est venu des gens de la Suède, de la Norwège, de Thulé et même de l’Islande lointaine, de toute terre enfin située dans ces contrées naturellement ennemies de la paix.

» Ils sont seize mille, ou guère moins, sortis de leurs cavernes et de leurs forêts. Ils ont le visage, la poitrine, les flancs, le dos, les bras et les jambes velus comme des bêtes fauves. Autour de leur étendard entièrement blanc, semble se dresser une forêt de lances. Leur chef Morat le porte; il compte le teindre dans le sang maure.»

Pendant que Roger regarde les enseignes variées de cette belle armée qui se prépare à secourir la France, et qu’il apprend les noms des seigneurs de Bretagne, quelques-uns de ceux-ci accourent, émerveillés, stupéfaits, pour contempler la bête unique et rare sur laquelle il est monté. Un cercle se forme vite autour de lui.

Aussi, pour augmenter encore leur étonnement et pour s’amuser un peu, le bon Roger secoue la bride du cheval volant et lui touche légèrement les flancs avec les éperons. Celui-ci prend son chemin vers le ciel, à travers les airs, et laisse tout le monde plein de stupéfaction. De là, Roger, après avoir vu, troupe par troupe, les forces anglaises, s’en alla du côté de l’Irlande.

Il vit la fabuleuse Hibernie où le saint vieillard creusa un puits [59] au fond duquel il paraît qu’on trouve tant d’indulgences, que l’homme s’y purge de toutes ses fautes. De là, son destrier l’amena ensuite sur la mer qui lave les côtes de la basse Bretagne. C’est alors qu’en passant, il vit au dessous de lui Angélique liée sur un rocher nu,

Sur le rocher nu de l’île des Pleurs, car île des Pleurs était nommée la contrée habitée par cette population cruelle, féroce et inhumaine qui, comme je vous l’ai dit dans un chant précédent, parcourait en armes les rivages voisins, enlevant toutes les belles dames, pour les donner en pâture à un monstre.

Elle y avait été liée le matin même, et attendait, pour en être dévorée toute vive, la venue de ce monstre énorme, l’orque marine qui se nourrissait d’une abominable nourriture. J’ai dit plus haut comment elle fut enlevée par ceux qui la trouvèrent endormie sur le rivage, près du vieil enchanteur qui l’avait attirée là par enchantement.

Ces gens féroces, impitoyables, avaient exposé sur le rivage, à la merci de la bête cruelle, la belle dame aussi nue que la nature l’avait formée. Elle n’avait pas même un voile pour recouvrir les lis blancs et les roses vermeilles répandus sur ses beaux membres, et que la chaleur de juillet ou le froid de décembre n’aurait pu faire tomber.