Изменить стиль страницы

Son intention, en le prenant, n’était pas d’en user pour sa défense, car il avait toujours estimé qu’il n’appartenait qu’à une âme lâche de se lancer dans une entreprise quelconque avec un avantage sur son adversaire. Mais il voulait la jeter dans un lieu où elle ne pourrait plus jamais nuire à personne. C’est pourquoi il emporta avec lui la poudre, les balles et tout ce qui servait à cette arme.

Et, dès qu’il fut sorti du port, et qu’il se vit arrivé à l’endroit où la mer était la plus profonde, de sorte que, sur l’un et l’autre rivage, on n’apercevait aucun signe lointain, il la prit et dit: «Afin que plus jamais chevalier ne se confie à toi, et que le lâche ne se puisse vanter de valoir plus que le brave, reste engloutie ici.

» Ô maudite, abominable invention, forgée au plus profond du Tartare par les mains mêmes du malin Belzébuth, dans l’intention de couvrir le monde de ruines, je te renvoie à l’enfer d’où tu es sortie.» Ainsi disant, il la jette dans l’abîme, pendant que les voiles, gonflées par le vent, le poussent sur le chemin de l’île cruelle.

Le paladin est pressé d’un tel désir de savoir si sa dame s’y trouve, sa dame qu’il aime plus que tout l’univers ensemble, et sans laquelle il ne peut pas vivre une heure joyeux, qu’il ne met pas le pied en Hibernie, de peur d’être obligé de consacrer son temps à une œuvre nouvelle et d’être réduit plus tard à dire: Hélas! pourquoi ne me suis-je point hâté davantage!

Il ne permet pas non plus d’aborder en Angleterre ni en Irlande, ni sur les rivages opposés. Mais laissons-le aller où l’envoie l’Archer qui l’a blessé au cœur. Avant de parler encore de lui, je veux retourner en Hollande, et je vous invite à y retourner avec moi. Je sais qu’il vous déplairait autant qu’à moi que les noces s’y fissent sans nous.

Les noces furent belles et somptueuses, mais elles seront encore surpassées par celles qui, dit-on se préparent en Zélande. Cependant, je ne vous propose pas de venir à celles-ci, car elles doivent être troublées par de nouveaux incidents dont je vous parlerai dans l’autre chant, si à l’autre chant vous venez m’entendre.

Chant X

ARGUMENT. – Birène étant devenu amoureux d’une autre femme, abandonne Olympie. – Roger reçoit l’hippogriffe des mains de Logistilla qui lui apprend à le conduire. Il descend avec lui en Angleterre, où il voit le rassemblement des troupes destinées à porter secours à Charles. En passant en Irlande, il aperçoit dans l’île d’Ébude Angélique enchaînée à un rocher pour être dévorée par l’orque. Il abat le monstre, prend la jeune fille en croupe, et descend avec elle sur le rivage de la Basse-Bretagne.

Parmi les amants les plus fameux qui donnèrent au monde, soit dans l’infortune, soit dans la prospérité, les meilleures preuves d’amour et les plus grands exemples de fidélité, je donnerai de préférence, non pas la seconde, mais la première place à Olympie. Et si elle ne doit pas être placée avant tous, je tiens à dire que, parmi les anciens et les modernes, on ne saurait trouver un amour plus grand que le sien.

Elle avait rendu Birène certain de cet amour, par des témoignages si nombreux et si évidents, qu’il serait impossible à une femme de faire plus pour assurer un homme de sa tendresse, même quand elle lui montrerait sa poitrine et son cœur tout ouverts. Et si les âmes si fidèles et si dévouées doivent être récompensées d’un amour réciproque, je dis qu’Olympie était digne d’être aimée par Birène, non pas autant, mais plus que soi-même;

Et qu’il ne devait pas l’abandonner jamais pour une autre femme, fût-ce pour celle qui jeta l’Europe et l’Asie dans tant de malheurs, ou pour toute autre méritant plus encore le titre de belle; mais qu’il aurait dû, plutôt que de la laisser, renoncer à la clarté du jour, à l’ouïe, au goût, à la parole, à la vie, à la gloire, et à tout ce qu’on peut dire ou imaginer de plus précieux.

Si Birène l’aima comme elle avait aimé Birène; s’il lui fut fidèle comme elle le lui avait été; si jamais il tourna sa voile pour suivre une autre voie que la sienne; ou bien s’il paya tant de services par son ingratitude, et s’il fut cruel pour celle qui lui avait montré tant de fidélité, tant d’amour, je vais vous le dire et vous faire, d’étonnement, serrer les lèvres et froncer les sourcils.

Et quand vous aura été dévoilée l’impitoyable cruauté dont il paya tant de bontés, ô femmes, aucune de vous ne saura plus si elle doit ajouter foi aux paroles d’un amant. L’amant, pour avoir ce qu’il désire, sans songer que Dieu voit et entend tout, entasse les promesses et les serments, qui tous se dispersent ensuite par les airs au gré des vents.

Les serments et les promesses s’en vont dans les airs, emportés et dispersés par les vents, dès que ces amants ont assouvi la soif qui les embrasait et les brûlait. Soyez, par cet exemple, moins faciles à croire à leurs prières et à leurs plaintes. Bien avisé et heureux, ô mes chères dames, celui qui apprend à être prudent aux dépens d’autrui.

Gardez-vous de ceux qui portent sur leur frais visage la fleur des belles années; car, chez eux, tout désir naît et meurt promptement, semblable à un feu de paille. De même que le chasseur suit le lièvre, par le froid, par le chaud, sur la montagne, dans la plaine, et n’en fait plus le moindre cas dès qu’il l’a pris, s’acharnant seulement à poursuivre ce qui le fuit;

Ainsi font ces jeunes gens qui, tant que vous vous montrez dures et hautaines envers eux, vous aiment et vous révèrent avec tout l’empressement que doit avoir l’esclave fidèle. Mais, aussitôt qu’ils pourront se vanter de la victoire, de maîtresses il vous faudra devenir esclaves, et voir s’éloigner de vous leur faux amour qu’ils porteront à d’autres.

Je ne vous défends pas pour cela – j’aurais tort – de vous laisser aimer, car, sans amant, vous seriez comme la vigne inculte au milieu d’un jardin, sans tuteur ou sans arbre auquel elle puisse s’appuyer. Je vous engage seulement à fuir la jeunesse volage et inconstante, et à cueillir des fruits qui ne soient pas verts et âcres, sans les choisir cependant trop mûrs.

Je vous ai dit plus haut qu’on avait trouvé parmi les prisonniers une fille du roi de Frise, et que Birène parlait, toutes les fois qu’il en avait l’occasion, de la donner pour femme à son frère. Mais, à dire le vrai, il en était lui-même affriandé, car c’était un morceau délicat; et il eût considéré comme une sottise de se l’enlever de la bouche, pour le donner à un autre.

La damoiselle n’avait pas encore dépassé quatorze ans; elle était belle et fraîche comme une rose qui vient de sortir du bouton et s’épanouit au soleil levant. Non seulement Birène s’en amouracha, mais on ne vit jamais un feu pareil consumer les moissons mûres sur lesquelles des mains envieuses et ennemies ont porté la flamme,

Aussi vite qu’il en fut embrasé, brûlé jusqu’aux moelles, du jour où il la vit, pleurant son père mort et son beau visage tout inondé de pleurs. Et comme l’eau froide tempère celle qui bouillait auparavant sur le feu, ainsi l’ardeur qu’avait allumée Olympie, vaincue par une ardeur nouvelle, fut éteinte en lui.

Et il se sentit tellement rassasié, ou pour mieux dire tellement fatigué d’elle, qu’il pouvait à peine la voir; tandis que son appétit pour l’autre était tellement excité, qu’il en serait mort s’il avait trop tardé à l’assouvir. Pourtant, jusqu’à ce que fût arrivé le jour marqué par lui pour satisfaire son désir, il le maîtrisa de façon à paraître non pas aimer, mais adorer Olympie, et à vouloir seulement ce qui pouvait lui faire plaisir.