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– Cecily!!!

– Tu dois dire vrai…

– Si je dis vrai!… Oh! tu vas voir.

– Ton front est menaçant… Ta figure redoutable… Tiens, tu es effrayant et beau comme un tigre en fureur… Mais tu dis vrai, n’est-ce pas?

– J’ai commis des crimes, te dis-je!

– Tant mieux… si par leur aveu tu me prouves ta passion…

– Et si je dis tout?

– Je t’accorde tout… Car si tu as cette confiance aveugle, courageuse… vois-tu, Jacques… ce ne serait plus l’amant idéal de la chanson que j’appellerais. C’est à toi… mon tigre… à toi… que je dirais: «Viens… viens… viens…»

En disant ces mots avec une expression avide et ardente, Cecily s’approcha si près, si près du guichet, que Jacques Ferrand sentit sur sa joue le souffle embrasé de la créole et sur ses doigts velus l’impression électrique de ses lèvres fraîches et fermes…

– Oh! tu seras à moi… je serai ton tigre! s’écria-t-il. Et après, si tu le veux, tu me déshonoreras, tu feras tomber ma tête… Mon honneur, ma vie, tout est à toi maintenant…

– Ton honneur?

– Mon honneur! Écoute. Il y a dix ans, on m’avait confié une enfant et deux cent mille francs qu’on lui destinait. J’ai abandonné l’enfant; je l’ai fait passer pour morte au moyen d’un faux acte de décès, et j’ai gardé l’argent…

– C’est habile et hardi… Qui aurait cru cela de toi?

– Écoute encore. Je haïssais mon caissier… Un soir, il avait pris chez moi un peu d’or qu’il m’a restitué le lendemain; mais, pour perdre ce misérable, je l’ai accusé de m’avoir volé une somme considérable. On m’a cru; on l’a jeté en prison… Maintenant mon honneur est-il à ta merci?

– Oh!… tu m’aimes… Jacques… tu m’aimes… Me livrer ainsi tes secrets! Quel empire ai-je donc sur toi?… Je ne serai pas ingrate… Donne ce front où sont nées tant d’infernales pensées… que je le baise…

– Oh! s’écria le notaire en balbutiant, l’échafaud serait là… dressé, que je ne reculerais pas… Écoute encore… Cette enfant autrefois abandonnée s’est retrouvée sur mon chemin… Elle m’inspirait des craintes… je l’ai fait tuer…

– Toi?… Et comment? Où cela?…

– Il y a peu de jours… près du pont d’Asnières… à l’île du Ravageur… un nommé Martial l’a noyée dans un bateau à soupape… Voilà-t-il assez de détails? Me croiras-tu?

– Oh! démon… d’enfer… tu m’épouvantes, et pourtant tu m’attires… tu me passionnes… Quel est donc ton pouvoir?

– Écoute encore… Avant cela, un homme m’avait confié cent mille écus… Je l’ai fait tomber dans un guet-apens… je lui ai brûlé la cervelle… J’ai prouvé qu’il s’était suicidé, et j’ai nié le dépôt que sa sœur réclamait. Maintenant ma vie est à ta merci… Ouvre.

– Jacques… tiens, je t’adore! dit la créole avec exaltation.

– Oh! viennent mille morts… et je les brave! s’écria le notaire dans un enivrement impossible à peindre. Oui, tu avais raison; je serais jeune, charmant, que je n’éprouverais pas cette joie triomphante… La clef! Jette-moi la clef!… Tire le verrou…

La créole ôta la clef de la serrure, fermée en dedans, et la donna au notaire par le guichet en lui disant éperdument:

– Jacques… je suis folle!…

– Tu es à moi enfin! s’écria-t-il avec un rugissement sauvage, en faisant précipitamment tourner le pêne de la serrure.

Mais la porte, fermée au verrou, ne s’ouvrit pas encore.

– Viens, mon tigre! Viens…, dit Cecily d’une voix mourante.

– Le verrou… le verrou!… s’écria Jacques Ferrand.

– Mais si tu me trompais!… s’écria tout à coup la créole. Si ces secrets… tu les inventais pour te jouer de moi!…

Le notaire resta un moment frappé de stupeur. Il se croyait au terme de ses vœux; ce dernier temps d’arrêt mit le comble à son impatiente furie.

Il porta rapidement la main à sa poitrine, ouvrit son gilet, rompit avec violence une chaînette d’acier à laquelle était suspendu un petit portefeuille rouge, le prit, et, le montrant par le guichet à Cecily, il lui dit d’une voix oppressée, haletante:

– Voilà de quoi faire tomber ma tête. Tire le verrou, le portefeuille est à toi…

– Donne, mon tigre!… s’écria Cecily.

Et, tirant bruyamment le verrou d’une main, de l’autre elle saisit le portefeuille…

Mais Jacques Ferrand ne le lui abandonna qu’au moment où il sentit la porte céder sous son effort…

Mais si la porte céda, elle ne fit que s’entrebâiller de la largeur d’un demi-pied environ, retenue qu’elle était à la hauteur de la serrure par la chaîne et les pitons.

À cet obstacle imprévu, Jacques Ferrand se précipita contre la porte et l’ébranla d’un effort désespéré.

Cecily, avec la rapidité de la pensée, prit le portefeuille entre ses dents, ouvrit la croisée, jeta dans la cour un manteau, et aussi leste que hardie, se servant d’une corde à nœuds fixée à l’avance au balcon, elle se laissa glisser du premier étage dans la cour, rapide et légère comme une flèche qui tombe à terre…

Puis, s’enveloppant à la hâte dans le manteau, elle courut à la loge du portier, l’ouvrit, tira le cordon, sortit dans la rue et sauta dans une voiture qui, depuis l’entrée de Cecily chez Jacques Ferrand, venait chaque soir, à tout événement, par ordre du baron de Graün, stationner à vingt pas de la maison du notaire…

Cette voiture partit au grand trot de deux vigoureux chevaux.

Elle atteignit le boulevard avant que Jacques Ferrand se fût aperçu de la fuite de Cecily.

Revenons à ce monstre.

Par l’entrebâillement de la porte, il ne pouvait apercevoir la fenêtre dont la créole s’était servie pour préparer et assurer sa fuite… D’un dernier coup furieux de ses larges épaules, Jacques Ferrand fit éclater la chaîne qui tenait la porte entr’ouverte…

Il se précipita dans la chambre…

Il ne trouva personne…

La corde à nœuds se balançait encore au balcon de la croisée, où il se pencha…

Alors, de l’autre côté de la cour, à la clarté de la lune, qui se dégageait des nuages amoncelés par l’ouragan, il vit, dans l’enfoncement de la voûte d’entrée, la porte cochère ouverte.

Jacques Ferrand devina tout.

Une dernière lueur d’espoir lui restait.

Vigoureux et déterminé, il enjamba le balcon, se laissa glisser à son tour dans la cour au moyen de la corde et sortit en hâte de sa maison.