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Encore une fois, que lui manque-t-il?

Ne trouve-t-il pas en prison bon abri, bon lit, bonne nourriture, salaire élevé [9], travail facile, et surtout et avant tout société de son choix, société, répétons-le, qui mesure sa considération à la grandeur des forfaits?

Un condamné endurci ne connaît donc, ni la misère, ni la faim, ni le froid. Que lui importe l’horreur qu’il inspire aux honnêtes gens?

Il ne les voit pas, il n’en connaît pas.

Ses crimes font sa gloire, son influence, sa force auprès des bandits au milieu desquels il passera désormais sa vie.

Comment craindrait-il la honte?

Au lieu de graves et charitables remontrances qui pourraient le forcer à rougir et à se repentir du passé, il entend de farouches applaudissements qui l’encouragent au vol et au meurtre.

À peine emprisonné, il médite de nouveaux forfaits.

Quoi de plus logique?

S’il est découvert, arrêté derechef, il retrouvera le repos, le bien-être matériel de la prison, et ses joyeux et hardis compagnons de crime et de débauche…

Sa corruption est-elle moins grande que celle des autres, manifeste-t-il, au contraire, le moindre remords; il est exposé à des railleries atroces, à des huées infernales, à des menaces terribles.

Enfin, chose si rare qu’elle est devenue l’exception de la règle, un condamné sort-il de cet épouvantable pandémonium avec la volonté ferme de revenir, au bien par des prodiges de travail, de courage, de patience et d’honnêteté, a-t-il pu cacher son infamant passé, la rencontre d’un de ses anciens camarades de prison suffit pour renverser cet échafaudage de réhabilitation si péniblement élevé.

Voici comment.

Un libéré endurci propose une affaire à un libéré repentant; celui-ci, malgré de dangereuses menaces, refuse cette criminelle association; aussitôt une délation anonyme dévoile la vie de ce malheureux qui voulait à tout prix cacher et expier une première faute par une conduite honorable.

Alors, exposé aux dédains ou au moins à la défiance de ceux dont il avait conquis l’intérêt à force de labeur et de probité, réduit à la détresse, aigri par l’injustice, égaré par le besoin, cédant enfin à ses funestes obsessions, cet homme presque réhabilité retombera encore et pour toujours au fond de l’abîme d’où il était si difficilement sorti.

Dans les scènes suivantes, nous tâcherons donc de démontrer les monstrueuses et inévitables conséquences de la réclusion en commun.

Après des siècles d’épreuves barbares, d’hésitations pernicieuses, on paraît comprendre qu’il est peu raisonnable de plonger dans une atmosphère abominablement viciée des gens qu’un air pur et salubre pourrait seul sauver.

Que de siècles pour reconnaître qu’en agglomérant les êtres gangrenés, on redouble l’intensité de leur corruption, qui devient ainsi incurable!

Que de siècles pour reconnaître qu’il n’est, en un mot, qu’un remède à cette lèpre envahissante qui menace le corps social…

L’isolement!…

Nous nous estimerions heureux si notre faible voix pouvait être, sinon comptée, du moins entendue parmi toutes celles qui, plus imposantes, plus éloquentes que la nôtre, demandent avec une si juste et si impatiente insistance, l’application complète, absolue, du système cellulaire.

Un jour aussi, peut-être, la société saura que le mal est une maladie accidentelle et non pas organique; que les crimes sont presque toujours des faits de subversion d’instincts, de penchants toujours bons dans leur essence, mais faussés, mais maléficiés par l’ignorance, l’égoïsme ou l’incurie des gouvernants, et que la santé de l’âme, comme celle du corps, est invinciblement subordonnée aux lois d’une hygiène salubre et préservatrice.

Dieu donne à tous des organes impérieux, des appétits énergiques, le désir du bien-être; c’est à la société d’équilibrer et de satisfaire ces besoins.

L’homme qui n’a en partage que force, bon vouloir et santé, a droit, souverainement droit, à un labeur justement rétribué, qui lui assure non le superflu, mais le nécessaire, mais le moyen de rester sain et robuste, actif et laborieux… partant, honnête et bon, parce que sa condition sera heureuse.

Les sinistres régions de la misère et de l’ignorance sont peuplées d’êtres morbides, aux cœurs flétris. Assainissez ces cloaques, répandez-y l’instruction, l’attrait du travail, d’équitables salaires, de justes récompenses, et aussitôt ces visages maladifs, ces âmes étiolées renaîtront au bien, qui est la santé, la vie de l’âme.

Nous conduirons le lecteur au parloir de la prison de la Force.

C’est une salle obscure, séparée dans sa longueur en deux parties égales par un étroit couloir à claires-voies.

L’une des parties de ce parloir communique à l’intérieur de la prison: elle est destinée aux détenus.

L’autre communique au greffe: elle est destinée aux étrangers admis à visiter les prisonniers.

Ces entrevues et ces conversations ont lieu à travers le double grillage de fer du parloir, en présence d’un gardien qui se tient dans l’intérieur et à l’extrémité du couloir.

L’aspect des prisonniers réunis au parloir ce jour-là offrait de nombreux contrastes: les uns étaient couverts de vêtements misérables, d’autres semblaient appartenir à la classe ouvrière, ceux-ci à la riche bourgeoisie.

Les mêmes contrastes de condition se remarquaient parmi les personnes qui venaient voir les détenus: presque toutes sont des femmes.

Généralement les prisonniers ont l’air moins tristes que les visiteurs; car, chose étrange, funeste et prouvée par l’expérience, il est peu de chagrins, de hontes, qui résistent à trois ou quatre jours de prison passés en commun!

Ceux qui s’épouvantaient le plus de cette hideuse communion s’y habituent promptement; la contagion les gagne: environnés d’êtres dégradés, n’entendant que des paroles infâmes, une sorte de farouche émulation les entraîne, et, soit pour imposer à leurs compagnons en luttant de cynisme avec eux, soit pour s’étourdir par cette ivresse morale, presque toujours les nouveaux venus affichent autant de dépravation et d’insolente gaieté que les habitués de la prison.

Revenons au parloir.

Malgré le bourdonnement sonore d’un grand nombre de conversations tenues à demi-voix d’un côté du couloir à l’autre, prisonniers et visiteurs finissaient, après quelque temps de pratique, par pouvoir causer entre eux, à la condition absolue de ne pas se laisser un moment distraire ou occuper par l’entretien de leurs voisins, ce qui créait une sorte de secret au milieu de ce bruyant échange de paroles, chacun étant forcé d’entendre son interlocuteur, mais de ne pas écouter un mot de ce qui se disait autour de lui.