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– Si… tu diras à ma mère et à ma sœur que, si j’ai tremblé quand on m’a arrêté, je ne tremble plus, et que je suis maintenant aussi déterminé qu’elles deux.

– Je leur dirai. Est-ce tout?

– Attendez donc. J’oubliais de vous demander deux paires de bas de laine bien chauds… vous ne voudriez pas que je m’enrhume, n’est-ce pas?

– Je voudrais que tu crèves!

– Merci, père Micou, ça sera pour plus tard; aujourd’hui j’aime autant autre chose… je veux la passer douce. Au moins si on me raccourcit comme mon père… j’aurai joui de la vie.

– Elle est propre, ta vie.

– Elle est superbe! Depuis que je suis ici, je m’amuse comme un roi. S’il y avait eu des lampions et des fusées, on aurait illuminé et tiré des fusées en mon honneur, quand on a su que j’étais le fils du fameux Martial, le guillotiné.

– C’est touchant. Belle parenté!

– Tiens! il y a bien des ducs et des marquis… pourquoi donc que nous n’aurions pas notre noblesse, nous autres? dit le brigand avec une ironie farouche.

– Oui… c’est Charlot qui vous les donne sur la place du Palais, vos lettres de noblesse.

– Bien sûr que ce n’est pas M. le curé; raison de plus; en prison faut être de la noblesse de la haute pègre pour avoir de l’agrément, sans ça on vous regarde comme des riens du tout. Faut voir comme on les arrange, ceux qui ne sont pas nobles de pègre; qui font leur tête… Tenez, il y a ici justement un nommé Germain, un petit jeune homme qui fait le dégoûté et qui a l’air de nous mépriser. Gare à sa peau! C’est un sournois; on le soupçonne d’être un mouton. Si ça est, on lui grignotera le nez… en manière d’avis.

– Germain? Ce jeune homme s’appelle Germain?

– Oui… vous le connaissez? Il est donc de la pègre? Alors, malgré son air colas…

– Je ne le connais pas… mais s’il est le Germain dont j’ai entendu parler, son compte est bon.

– Comment?

– Il a déjà manqué de tomber dans un guet-apens que le Velu et le Gros-Boiteux lui ont tendu il y a quelque temps.

– Pourquoi donc ça?

– Je n’en sais rien. Ils disaient qu’en province il avait coqué quelqu’un de leur bande.

– J’en étais sûr… Germain est un mouton. Eh bien! on en mangera, du mouton. Je vas dire ça aux amis… ça leur donnera de l’appétit. Ah çà! le Gros-Boiteux fait-il toujours des niches à vos locataires?

– Dieu merci, j’en suis débarrassé, de ce vilain gueux-là! Tu le verras ici aujourd’hui ou demain.

– Vive la joie! nous allons rire! En voilà encore un qui ne boude pas!

– C’est parce qu’il va retrouver ici Germain… que je t’ai dit que le compte du jeune homme serait bon… si c’est le même…

– Et pourquoi l’a-t-on pincé, le Gros-Boiteux?

– Pour un vol commis avec un libéré qui voulait rester honnête et travailler. Ah! bien oui! le Gros-Boiteux l’a joliment enfoncé. Il a tant de vice, ce gueux-là! Je suis sûr que c’est lui qui a forcé la malle de ces deux femmes qui occupent chez moi le cabinet du quatrième.

– Quelles femmes? Ah! oui… deux femmes dont la plus jeune vous incendiait, vieux brigand, tant vous la trouviez gentille.

– Elles n’incendieront plus personne; car, à l’heure qu’il est, la mère doit être morte, et la fille n’en vaut guère mieux. J’en serai pour une quinzaine de loyer; mais que le diable me brûle si je donne seulement une loque pour les enterrer! J’ai fait assez de pertes, sans compter les douceurs que tu me pries de donner à toi et à ta famille; ça arrange joliment mes affaires. J’ai de la chance cette année…

– Bah! bah! vous vous plaignez toujours, père Micou; vous êtes riche comme un Crésus. Ah çà! que je ne vous retienne pas!

– C’est heureux!

– Vous viendrez me donner des nouvelles de ma mère et de Calebasse, en m’apportant d’autres provisions?

– Oui… il le faut bien…

– Ah! j’oubliais… pendant que vous y êtes, achetez-moi une casquette neuve, en velours écossais, avec un gland; la mienne n’est plus mettable.

– Ah çà! décidément tu veux rire?

– Non, père Micou, je veux une casquette en velours écossais. C’est mon idée.

– Mais tu t’acharnes donc à me mettre sur la paille?

– Voyons, père Micou, ne vous échauffez pas, c’est oui ou c’est non. Je ne vous force pas… mais… suffit.

Le receleur, en réfléchissant qu’il était à la merci de Nicolas, se leva, craignant d’être assailli de nouvelles demandes, s’il prolongeait sa visite.

– Tu auras ta casquette, dit-il; mais prends garde, si tu me demandes autre chose, je ne donnerai plus rien; il en arrivera ce qui pourra; tu y perdras autant que moi.

– Soyez tranquille, père Micou, je ne vous ferai chanter qu’autant qu’il en faudra pour que vous ne perdiez pas votre voix; car ça serait dommage, vous chantez bien.

Le receleur sortit en haussant les épaules avec colère, et le gardien fit rentrer Nicolas dans l’intérieur de la prison.

Au moment où le père Micou quittait le parloir destiné aux détenus, Rigolette y entrait.

Le gardien, homme de quarante ans, ancien soldat à figure rude et énergique, était vêtu d’un habit veste, d’une casquette et d’un pantalon bleus; deux étoiles d’argent étaient brodées sur le collet et sur les retroussis de son habit.

À la vue de la grisette, la figure de cet homme s’éclaircit et prit une expression d’affectueuse bienveillance; il avait toujours été frappé de la grâce, de la gentillesse et de la bonté touchante avec lesquelles Rigolette consolait Germain lorsqu’elle venait au parloir s’entretenir avec lui.

Germain était, de son côté, un prisonnier peu ordinaire; sa réserve, sa douceur et sa tristesse inspiraient un vif intérêt aux employés de la prison; intérêt qu’on se gardait d’ailleurs de lui témoigner, de peur de l’exposer aux mauvais traitements de ses hideux compagnons, qui, nous l’avons dit, le regardaient avec une haine méfiante.

Au-dehors, il pleuvait à torrents; mais, grâce à ses socques élevés et à son parapluie, Rigolette avait courageusement bravé le vent et la pluie.

– Quel vilain jour, ma pauvre demoiselle! lui dit le gardien avec bonté. Il faut du cœur pour sortir par un temps pareil au moins!