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Cette pensée le rassura un peu. Dix minutes se passèrent ainsi, siècle d’agonie usé seconde par seconde, et chacune de ces secondes fournissant tout ce que l’imagination invente de terreurs insensées, un monde de visions. D’Alençon n’y put tenir davantage, il se leva, traversa son antichambre, qui commençait à se remplir de gentilshommes.

– Salut, messieurs, dit-il, je descends chez le roi.

Et pour tromper sa dévorante inquiétude, pour préparer un alibi peut-être, d’Alençon descendit effectivement chez son frère. Pourquoi descendait-il? Il l’ignorait… Qu’avait-il à lui dire?… Rien! Ce n’était point Charles qu’il cherchait, c’était Henri qu’il fuyait.

Il prit le petit escalier tournant et trouva la porte du roi entrouverte.

Les gardes laissèrent entrer le duc sans mettre aucun empêchement à son passage: les jours de chasse il n’y avait ni étiquette ni consigne.

François traversa successivement l’antichambre, le salon et la chambre à coucher sans rencontrer personne; enfin il songeait que Charles était sans doute dans son cabinet des Armes, et poussa la porte qui donnait de la chambre à coucher dans le cabinet.

Charles était assis devant une table, dans un grand fauteuil sculpté à dossier aigu; il tournait le dos à la porte par laquelle était entré François.

Il paraissait plongé dans une occupation qui le dominait.

Le duc s’approcha sur la pointe du pied; Charles lisait.

– Pardieu! s’écria-t-il tout à coup, voilà un livre admirable. J’en avais bien entendu parler, mais je n’avais pas cru qu’il existât en France.

D’Alençon tendit l’oreille, et fit un pas encore.

– Maudites feuilles, dit le roi en portant son pouce à ses lèvres et en pesant sur le livre pour séparer la page qu’il avait lue de celle qu’il voulait lire; on dirait qu’on en a collé les feuillets pour dérober aux regards des hommes les merveilles qu’il renferme.

D’Alençon fit un bond en avant.

Ce livre, sur lequel Charles était courbé, était celui qu’il avait déposé chez Henri!

Un cri sourd lui échappa.

– Ah! c’est vous, d’Alençon? dit Charles, soyez le bienvenu, et venez voir le plus beau livre de vénerie qui soit jamais sorti de la plume d’un homme.

Le premier mouvement de d’Alençon fut d’arracher le livre des mains de son frère; mais une pensée infernale le cloua à sa place, un sourire effrayant passa sur ses lèvres blêmies, il passa la main sur ses yeux comme un homme ébloui.

Puis revenant un peu à lui, mais sans faire un pas en avant ni en arrière:

– Sire, demanda d’Alençon, comment donc ce livre se trouve-t-il dans les mains de Votre Majesté?

– Rien de plus simple. Ce matin, je suis monté chez Henriot pour voir s’il était prêt; il n’était déjà plus chez lui: sans doute il courait les chenils et les écuries; mais, à sa place, j’ai trouvé ce trésor que j’ai descendu ici pour le lire tout à mon aise.

Et le roi porta encore une fois son pouce à ses lèvres, et une fois encore fit tourner la page rebelle.

– Sire, balbutia d’Alençon dont les cheveux se hérissèrent et qui se sentit saisir par tout le corps d’une angoisse terrible; Sire, je venais pour vous dire…

– Laissez-moi achever ce chapitre, François, dit Charles, et ensuite vous me direz tout ce que vous voudrez. Voilà cinquante pages que je lis, c’est à dire que je dévore.

– Il a goûté vingt-cinq fois le poison, pensa François. Mon frère est mort! Alors il pensa qu’il y avait un Dieu au ciel qui n’était peut-être point le hasard.

François essuya de sa main tremblante la froide rosée qui dégouttait sur son front, et attendit silencieux, comme le lui avait ordonné son frère, que le chapitre fût achevé.

XIX La chasse au vol

Charles lisait toujours. Dans sa curiosité, il dévorait les pages; et chaque page, nous l’avons dit, soit à cause de l’humidité à laquelle elles avaient été longtemps exposées, soit pour tout autre motif, adhérait à la page suivante.

D’Alençon considérait d’un œil hagard ce terrible spectacle dont il entrevoyait seul le dénouement.

– Oh! murmura-t-il, que va-t-il donc se passer ici? Comment! je partirais, je m’exilerais, j’irais chercher un trône imaginaire, tandis que Henri, à la première nouvelle de la maladie de Charles, reviendrait dans quelque ville forte à vingt lieues de la capitale, guettant cette proie que le hasard nous livre, et pourrait d’une seule enjambée être dans la capitale; de sorte qu’avant que le roi de Pologne eût seulement appris la nouvelle de la mort de mon frère, la dynastie serait déjà changée: c’est impossible!

C’étaient ces pensées qui avaient dominé le premier sentiment d’horreur involontaire qui poussait François à arrêter Charles. C’était cette fatalité persévérante qui semblait garder Henri et poursuivre les Valois, contre laquelle le duc allait encore essayer une fois de réagir.

En un instant tout son plan venait de changer à l’égard de Henri. C’était Charles et non Henri qui avait lu le livre empoisonné; Henri devait partir, mais partir condamné. Du moment où la fatalité venait de le sauver encore une fois, il fallait que Henri restât; car Henri était moins à craindre prisonnier à Vincennes ou à la Bastille, que le roi de Navarre à la tête de trente mille hommes.

Le duc d’Alençon laissa donc Charles achever son chapitre; et lorsque le roi releva la tête:

– Mon frère, lui dit-il, j’ai attendu parce que Votre Majesté l’a ordonné, mais c’était à mon grand regret, parce que j’avais des choses de la plus haute importance à vous dire.

– Ah! au diable! dit Charles, dont les joues pâles s’empourpraient peu à peu, soit qu’il eût mis une trop grande ardeur à sa lecture, soit que le poison commençât à agir; au diable! si tu viens encore me parler de la même chose, tu partiras comme est parti le roi de Pologne. Je me suis débarrassé de lui, je me débarrasserai de toi, et plus un mot là-dessus.

– Aussi, mon frère, dit François, ce n’est point de mon départ que je veux vous entretenir, mais de celui d’un autre. Votre Majesté m’a atteint dans mon sentiment le plus profond et le plus délicat, qui est mon dévouement pour elle comme frère, ma fidélité comme sujet, et je tiens à lui prouver que je ne suis pas un traître, moi.

– Allons, dit Charles en s’accoudant sur le livre, en croisant ses jambes l’une sur l’autre, et en regardant d’Alençon en homme qui fait contre ses habitudes provision de patience; allons, quelque bruit nouveau, quelque accusation matinale?

– Non, Sire. Une certitude, un complot que ma ridicule délicatesse m’avait seule empêché de vous révéler.

– Un complot! dit Charles, voyons le complot.