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Cette antichambre n’était plus gardée par personne depuis la disparition d’Orthon.

Cette disparition, dont nous n’avons pas parlé depuis le moment où le lecteur l’a vu s’opérer d’une façon si tragique pour le pauvre Orthon, avait fort inquiété Henri. Il s’en était ouvert à madame de Sauve et à sa femme, mais ni l’une ni l’autre n’était plus instruite que lui; seulement, madame de Sauve lui avait donné quelques renseignements, à la suite desquels il était demeuré parfaitement clair à l’esprit de Henri que le pauvre enfant avait été victime de quelque machination de la reine mère, et que c’était à la suite de cette machination qu’il avait failli, lui, être arrêté avec de Mouy, dans l’auberge de la Belle-Étoile.

Un autre que Henri eût gardé le silence, car il n’eût rien osé dire; mais Henri calculait tout: il comprit que son silence le trahirait; d’ordinaire, on ne perd pas ainsi un de ses serviteurs, un de ses confidents, sans s’informer de lui, sans faire des recherches. Henri s’informa donc, rechercha donc, en présence du roi et de la reine mère elle-même; il demanda Orthon à tout le monde, depuis la sentinelle qui se promenait devant le guichet du Louvre, jusqu’au capitaine des gardes qui veillait dans l’antichambre du roi; mais toute demande et toute démarche furent inutiles; et Henri parut si ostensiblement affecté de cet événement et si attaché au pauvre serviteur absent, qu’il déclara qu’il ne le remplacerait que lorsqu’il aurait acquis la certitude qu’il aurait disparu pour toujours.

L’antichambre, comme nous l’avons dit, était donc vide lorsque Marguerite se présenta chez Henri.

Si légers que fussent les pas de la reine, Henri les entendit et se retourna.

– Vous, madame! s’écria-t-il.

– Oui, répondit Marguerite. Lisez vite. Et elle lui présenta le papier tout ouvert. Il contenait ces quelques lignes: «Sire, le moment est venu de mettre notre projet de fuite à exécution. Après-demain il y a chasse au vol le long de la Seine, depuis Saint-Germain jusqu’à Maisons, c’est-à-dire dans toute la longueur de la forêt.» Allez à cette chasse, quoique ce soit une chasse au vol; prenez sous votre habit une bonne chemise de mailles; ceignez votre meilleure épée; montez le plus fin cheval de votre écurie.» Vers midi, c’est-à-dire au plus fort de la chasse et quand le roi sera lancé à la suite du faucon, dérobez-vous seul si vous venez seul, avec la reine de Navarre si la reine vous suit.» Cinquante des nôtres seront cachés au pavillon de François Ier, dont nous avons la clef; tout le monde ignorera qu’ils y sont, car ils y seront venus de nuit et les jalousies en seront fermées.» Vous passerez par l’allée des Violettes, au bout de laquelle je veillerai; à droite de cette allée, dans une petite clairière, seront MM. de La Mole et Coconnas avec deux chevaux de main. Ces chevaux frais seront destinés à remplacer le vôtre et celui de Sa Majesté la reine de Navarre, si par hasard ils étaient fatigués.

» Adieu, Sire; soyez prêt, nous le serons.»

– Vous le serez, dit Marguerite, prononçant après seize cents ans les mêmes paroles que César avait prononcées sur les bords du Rubicon.

– Soit, madame, répondit Henri, ce n’est pas moi qui vous démentirai.

– Allons, Sire, devenez un héros; ce n’est pas difficile; vous n’avez qu’à suivre votre route; et faites-moi un beau trône, dit la fille de Henri II.

Un imperceptible sourire effleura la lèvre fine du Béarnais. Il baisa la main de Marguerite et sortit le premier, pour explorer le passage, tout en fredonnant le refrain d’une vieille chanson:

Cil qui mieux battit la muraille

N’entra point dedans le chasteau.

La précaution n’était pas mauvaise: au moment où il ouvrait la porte de sa chambre à coucher, le duc d’Alençon ouvrait celle de son antichambre; il fit de la main un signe à Marguerite, puis tout haut:

– Ah! c’est vous, mon frère, dit-il, soyez le bienvenu. Au signe de son mari, la reine avait tout compris et s’était jetée dans un cabinet de toilette, devant la porte duquel pendait une énorme tapisserie.

Le duc d’Alençon entra d’un pas craintif en regardant tout autour de lui.

– Sommes-nous seuls, mon frère? demanda-t-il à demi-voix.

– Parfaitement seuls. Qu’y a-t-il donc? vous paraissez tout bouleversé.

– Il y a que nous sommes découverts, Henri.

– Comment découverts?

– Oui, de Mouy a été arrêté.

– Je le sais.

– Eh bien! de Mouy a tout dit au roi.

– Qu’a-t-il dit?

– Il a dit que je désirais le trône de Navarre, et que je conspirais pour l’obtenir.

– Ah! pécaïre! dit Henri, de sorte que vous voilà compromis, mon pauvre frère! Comment alors n’êtes-vous pas encore arrêté?

– Je n’en sais rien moi-même; le roi m’a raillé en faisant semblant de m’offrir le trône de Navarre. Il espérait sans doute me tirer un aveu du cœur; mais je n’ai rien dit.

– Et vous avez bien fait, ventre-saint-gris, dit le Béarnais; tenons ferme, notre vie à tous deux en dépend.

– Oui, reprit François, le cas est épineux; voici pourquoi je suis venu demander votre avis, mon frère; que croyez-vous que je doive faire: fuir ou rester?

– Vous avez vu le roi, puisque c’est à vous qu’il a parlé?

– Oui, sans doute.

– Eh bien, vous avez dû lire dans sa pensée! Suivez votre inspiration.

– J’aimerais mieux rester, répondit François.

Si maître qu’il fût de lui-même, Henri laissa échapper un mouvement de joie; si imperceptible que fût ce mouvement, François le surprit au passage.

– Restez alors, dit Henri.

– Mais vous?

– Dame! répondit Henri, si vous restez, je n’ai aucun motif pour m’en aller, moi. Je ne partais que pour vous suivre, par dévouement, pour ne pas quitter un frère que j’aime.

– Ainsi, dit d’Alençon, c’en est fait de tous nos plans; vous vous abandonnez sans lutte au premier entraînement de la mauvaise fortune?

– Moi, dit Henri, je ne regarde pas comme une mauvaise fortune de demeurer ici; grâce à mon caractère insoucieux, je me trouve bien partout.

– Eh bien, soit! dit d’Alençon, n’en parlons plus; seulement, si vous prenez quelque résolution nouvelle, faites-la-moi savoir.

– Corbleu! je n’y manquerai pas, croyez-le bien, répondit Henri. N’est-il pas convenu que nous n’avons pas de secrets l’un pour l’autre?

D’Alençon n’insista pas davantage et se retira tout pensif, car, à un certain moment, il avait cru voir trembler la tapisserie du cabinet de toilette.