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– Eh bien, ma mère, dit Charles, je ne vois aucun mal à tout cela. Vous étiez dans votre droit, monsieur de Mouy, en demandant un roi. Oui, la Navarre peut être et doit être un royaume séparé. Il y a plus, ce royaume semble fait exprès pour doter mon frère d’Alençon, qui a toujours eu si grande envie d’une couronne, que lorsque nous portons la nôtre il ne peut détourner les yeux de dessus elle. La seule chose qui s’opposait à cette intronisation, c’était le droit de Henriot; mais puisque Henriot y renonce volontairement…

– Volontairement, Sire.

– Il paraît que c’est la volonté de Dieu! Monsieur de Mouy, vous êtes libre de retourner vers vos frères, que j’ai châtiés… un peu durement, peut-être; mais ceci est une affaire entre moi et Dieu: et dites-leur que, puisqu’ils désirent pour roi de Navarre mon frère d’Alençon, le roi de France se rend à leurs désirs. À partir de ce moment, la Navarre est un royaume, et son souverain s’appelle François. Je ne demande que huit jours pour que mon frère quitte Paris avec l’éclat et la pompe qui conviennent à un roi. Allez, monsieur de Mouy, allez!… Monsieur de Nancey, laissez passer M. de Mouy, il est libre.

– Sire, dit de Mouy en faisant un pas en avant, Votre Majesté permet-elle?

– Oui, dit le roi. Et il tendit la main au jeune huguenot. De Mouy mit un genou à terre et baisa la main du roi.

– À propos, dit Charles en le retenant au moment où il allait se relever, ne m’aviez-vous pas demandé justice de ce brigand de Maurevel?

– Oui, Sire.

– Je ne sais où il est pour vous la faire, car il se cache; mais si vous le rencontrez, faites-vous justice vous-même, je vous y autorise, et de grand cœur.

– Ah! Sire, s’écria de Mouy, voilà qui me comble véritablement; que Votre Majesté s’en rapporte à moi; je ne sais non plus où il est, mais je le trouverai, soyez tranquille.

Et de Mouy, après avoir respectueusement salué le roi Charles et la reine Catherine, se retira sans que les gardes qui l’avaient amené missent aucun empêchement à sa sortie. Il traversa les corridors, gagna rapidement le guichet, et une fois dehors ne fit qu’un bond de la place Saint-Germain-l’Auxerrois à l’auberge de la Belle-Étoile, où il retrouva son cheval, grâce auquel, trois heures après la scène que nous venons de raconter, le jeune homme respirait en sûreté derrière les murailles de Mantes.

Catherine, dévorant sa colère, regagna son appartement d’où elle passa dans celui de Marguerite. Elle y trouva Henri en robe de chambre et qui paraissait prêt à se mettre au lit.

– Satan, murmura-t-elle, aide une pauvre reine pour qui Dieu ne veut plus rien faire!

XVII Deux têtes pour une couronne

– Qu’on prie M. d’Alençon de me venir voir, avait dit Charles en congédiant sa mère.

M. de Nancey, disposé d’après l’invitation du roi de n’obéir désormais qu’à lui-même, ne fit qu’un bond de chez Charles chez son frère, lui transmettant sans adoucissement aucun l’ordre qu’il venait de recevoir.

Le duc d’Alençon tressaillit: en tout temps il avait tremblé devant Charles; et à bien plus forte raison encore depuis qu’il s’était fait, en conspirant, des motifs de le craindre.

Il ne s’en rendit pas moins près de son frère avec un empressement calculé.

Charles était debout et sifflait entre ses dents un hallali sur pied.

En entrant, le duc d’Alençon surprit dans l’œil vitreux de Charles un de ces regards envenimés de haine qu’il connaissait si bien.

– Votre Majesté m’a fait demander, me voici, Sire, dit-il. Que désire de moi Votre Majesté?

– Je désire vous dire, mon bon frère, que, pour récompenser cette grande amitié que vous me portez, je suis décidé à faire aujourd’hui pour vous la chose que vous désirez le plus.

– Pour moi?

– Oui, pour vous. Cherchez dans votre esprit quelle chose vous rêvez depuis quelque temps sans oser me la demander, et cette chose, je vous la donne.

– Sire, dit François, j’en jure à mon frère, je ne désire que la continuation de la bonne santé du roi.

– Alors vous devez être satisfait, d’Alençon; l’indisposition que j’ai éprouvée à l’époque de l’arrivée des Polonais est passée. J’ai échappé, grâce à Henriot, à un sanglier furieux qui voulait me découdre, et je me porte de façon à n’avoir rien à envier au mieux portant de mon royaume; vous pouviez donc sans être mauvais frère désirer autre chose que la continuation de ma santé, qui est excellente.

– Je ne désirais rien, Sire.

– Si fait, si fait, François, reprit Charles s’impatientant; vous désirez la couronne de Navarre, puisque vous vous êtes entendu avec Henriot et de Mouy: avec le premier pour qu’il y renonçât, avec le second pour qu’il vous la fît avoir. Eh bien, Henriot y renonce! de Mouy m’a transmis votre demande, et cette couronne que vous ambitionnez…

– Eh bien? demanda d’Alençon d’une voix tremblante.

– Eh bien, mort-diable! elle est à vous. D’Alençon pâlit affreusement; puis tout à coup le sang appelé à son cœur, qu’il faillit briser, reflua vers les extrémités, et une rougeur ardente lui brûla les joues; la faveur que lui faisait le roi le désespérait en un pareil moment.

– Mais, Sire, reprit-il tout en palpitant d’émotion et cherchant vainement à se remettre, je n’ai rien désiré et surtout rien demandé de pareil.

– C’est possible, dit le roi, car vous êtes fort discret, mon frère; mais on a désiré, on a demandé pour vous, mon frère.

– Sire, je vous jure que jamais…

– Ne jurez pas Dieu.

– Mais, Sire, vous m’exilez donc?

– Vous appelez ça un exil, François? Peste! vous êtes difficile… Qu’espériez-vous donc de mieux? D’Alençon se mordit les lèvres de désespoir.

– Ma foi! continua Charles en affectant la bonhomie, je vous croyais moins populaire, François, et surtout moins près des huguenots; mais ils vous demandent, il faut bien que je m’avoue à moi-même que je me trompais. D’ailleurs, je ne pouvais rien désirer de mieux que d’avoir un homme à moi, mon frère qui m’aime et qui est incapable de me trahir, à la tête d’un parti qui depuis trente ans nous fait la guerre. Cela va tout calmer comme par enchantement, sans compter que nous serons tous rois dans la famille. Il n’y aura que le pauvre Henriot qui ne sera rien que mon ami. Mais il n’est point ambitieux, et ce titre, que personne ne réclame, il le prendra, lui.

– Oh! Sire, vous vous trompez, ce titre, je le réclame… ce titre, qui donc y a plus droit que moi? Henri n’est que votre beau-frère par alliance; moi, je suis votre frère par le sang et surtout par le cœur… Sire, je vous en supplie, gardez-moi près de vous.

– Non pas, non pas, François, répondit Charles; ce serait faire votre malheur.