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– Voyez! voyez!… cria Charles. Bec-de-Fer le tient. En effet, le héron, dominé par l’oiseau de proie, n’essayait même plus de se défendre. Il descendait rapidement, incessamment frappé par le faucon et ne répondant que par ses cris; tout à coup il replia ses ailes et se laissa tomber comme une pierre; mais son adversaire en fit autant, et lorsque le fugitif voulut reprendre son vol, un dernier coup de bec l’étendit; il continua sa chute en tournoyant sur lui-même, et, au moment où il touchait la terre, le faucon s’abattit sur lui, poussant un cri de victoire qui couvrit le cri de défaite du vaincu.

– Au faucon! au faucon! cria Charles. Et il lança son cheval au galop dans la direction de l’endroit où les deux oiseaux s’étaient abattus. Mais tout à coup il arrêta court sa monture, jeta un cri lui-même, lâcha la bride et s’accrocha d’une main à la crinière de son cheval, tandis que de son autre main il saisit son estomac comme s’il eût voulu déchirer ses entrailles. À ce cri tous les courtisans accoururent.

– Ce n’est rien, ce n’est rien, dit Charles, le visage enflammé et l’œil hagard; mais il vient de me sembler qu’on me passait un fer rouge à travers l’estomac. Allons, allons, ce n’est rien.

Et Charles remit son cheval au galop. D’Alençon pâlit.

– Qu’y a-t-il donc encore de nouveau? demanda Henri à Marguerite.

– Je n’en sais rien, répondit celle-ci; mais avez-vous vu? mon frère était pourpre.

– Ce n’est pas cependant son habitude, dit Henri. Les courtisans s’entre-regardèrent étonnés et suivirent le roi. On arriva à l’endroit où les deux oiseaux s’étaient abattus. Le faucon rongeait déjà la cervelle du héron. En arrivant, Charles sauta à bas de son cheval pour voir le combat de plus près. Mais en touchant la terre il fut obligé de se tenir à la selle, la terre tournait sous lui. Il éprouva une violente envie de dormir.

– Mon frère! mon frère! s’écria Marguerite, qu’avez-vous?

– J’ai, dit Charles, j’ai ce que dut avoir Porcie quand elle eut avalé ses charbons ardents; j’ai que je brûle, et qu’il me semble que mon haleine est de flamme.

En même temps Charles poussa son souffle au-dehors, et parut étonné de ne pas voir sortir du feu de ses lèvres. Cependant, on avait repris et rechaperonné le faucon, et tout le monde s’était rassemblé autour de Charles.

– Eh bien, eh bien, que veut dire cela? Corps du Christ! ce n’est rien, ou si c’est quelque chose, c’est le soleil qui me casse la tête et me crève les yeux. Allons, allons, en chasse, messieurs! Voici toute une compagnie de halbrans. Lâchez tout, lâchez tout. Corbœuf! nous allons nous amuser!

On déchaperonna en effet et on lâcha à l’instant même cinq ou six faucons, qui s’élancèrent dans la direction du gibier, tandis que toute la chasse, le roi en tête, regagnait les bords de la rivière.

– Eh bien, que dites-vous, madame? demanda Henri à Marguerite.

– Que le moment est bon, dit Marguerite, et que si le roi ne se retourne pas, nous pouvons d’ici gagner la forêt facilement.

Henri appela le valet de vénerie qui portait le héron; et tandis que l’avalanche bruyante et dorée roulait le long du talus qui fait aujourd’hui la terrasse, il resta seul en arrière comme s’il examinait le cadavre du vaincu.

XX Le pavillon de François Ier

C’était une belle chose que la chasse à l’oiseau faite par des rois, quand les rois étaient presque des demi-dieux et que la chasse était non seulement un loisir, mais un art.

Néanmoins nous devons quitter ce spectacle royal pour pénétrer dans un endroit de la forêt où tous les acteurs de la scène que nous venons de raconter vont nous rejoindre bientôt.

À droite de l’allée de Violettes, longue arcade de feuillage, retraite moussue où, parmi les lavandes et les bruyères, un lièvre inquiet dresse de temps en temps les oreilles, tandis que le daim errant lève sa tête chargée de bois, ouvre les naseaux et écoute, est une clairière assez éloignée pour que de la route on ne la voie pas; mais pas assez pour que de cette clairière on ne voie pas la route.

Au milieu de cette clairière, deux hommes couchés sur l’herbe, ayant sous eux un manteau de voyage, à leur côté une longue épée, et auprès d’eux chacun un mousqueton à gueule évasée, qu’on appelait alors un poitrinal, ressemblaient de loin, par l’élégance de leur costume, à ces joyeux deviseurs du Décaméron; de près, par la menace de leurs armes, à ces bandits de bois que cent ans plus tard Salvator Rosa peignit d’après nature dans ses paysages.

L’un d’eux était appuyé sur un genou et sur une main, et écoutait comme un de ces lièvres ou de ces daims dont nous avons parlé tout à l’heure.

– Il me semble, dit celui-ci, que la chasse s’était singulièrement rapprochée de nous tout à l’heure. J’ai entendu jusqu’aux cris des veneurs encourageant le faucon.

– Et maintenant, dit l’autre, qui paraissait attendre les événements avec beaucoup plus de philosophie que son camarade, maintenant, je n’entends plus rien: il faut qu’ils se soient éloignés… Je t’avais bien dit que c’était un mauvais endroit pour l’observation. On n’est pas vu, c’est vrai, mais on ne voit pas.

– Que diable! mon cher Annibal, dit le premier des interlocuteurs, il fallait bien mettre quelque part nos deux chevaux à nous, puis nos deux chevaux de main, puis ces deux mules si chargées que je ne sais pas comment elles feront pour nous suivre. Or, je ne connais que ces vieux hêtres et ces chênes séculaires qui puissent se charger convenablement de cette difficile besogne. J’oserais donc dire que, loin de blâmer comme toi M. de Mouy, je reconnais, dans tous les préparatifs de cette entreprise qu’il a dirigée, le sens profond d’un véritable conspirateur.

– Bon! dit le second gentilhomme dans lequel notre lecteur a déjà bien certainement reconnu Coconnas, bon! voilà le mot lâché, je l’attendais. Je t’y prends. Nous conspirons donc.

– Nous ne conspirons pas, nous servons le roi et la reine.

– Qui conspirent, ce qui revient exactement au même pour nous.

– Coconnas, je te l’ai dit, reprit La Mole, je ne te force pas le moins du monde à me suivre dans cette aventure qu’un sentiment particulier que tu ne partages pas, que tu ne peux partager, me fait seul entreprendre.

– Eh! mordi! qui est-ce donc qui dit que tu me forces? D’abord, je ne sache pas un homme qui pourrait forcer Coconnas à faire ce qu’il ne veut pas faire; mais crois-tu que je te laisserai aller sans te suivre, surtout quand je vois que tu vas au diable?

– Annibal! Annibal! dit La Mole, je crois que j’aperçois là-bas sa blanche haquenée. Oh! c’est étrange comme, rien que de penser qu’elle vient, mon cœur bat.

– Eh bien, c’est drôle, dit Coconnas en bâillant, le cœur ne me bat pas du tout, à moi.

– Ce n’était pas elle, dit La Mole. Qu’est-il donc arrivé? c’était pour midi, ce me semble.