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– Sire, dit François, tandis que Votre Majesté chassera au vol près de la rivière, et dans la plaine du Vésinet, le roi de Navarre gagnera la forêt de Saint-Germain, une troupe d’amis l’attend dans cette forêt et il doit fuir avec eux.

– Ah! je le savais bien, dit Charles. Encore une bonne calomnie contre mon pauvre Henriot! Ah ça! en finirez-vous avec lui?

– Votre Majesté n’aura pas besoin d’attendre longtemps au moins pour s’assurer si ce que j’ai l’honneur de lui dire est ou non une calomnie.

– Et comment cela?

– Parce que ce soir notre beau-frère sera parti. Charles se leva.

– Écoutez, dit-il, je veux bien une dernière fois encore avoir l’air de croire à vos intentions; mais je vous en avertis, toi et ta mère, cette fois c’est la dernière.

Puis haussant la voix:

– Qu’on appelle le roi de Navarre! ajouta-t-il.

Un garde fit un mouvement pour obéir; mais François l’arrêta d’un signe.

– Mauvais moyen, mon frère, dit-il; de cette façon vous n’apprendrez rien. Henri niera, donnera un signal, ses complices seront avertis et disparaîtront; puis ma mère et moi nous serons accusés non seulement d’être des visionnaires, mais encore des calomniateurs.

– Que demandez-vous donc alors?

– Qu’au nom de notre fraternité, Votre Majesté m’écoute, qu’au nom de mon dévouement qu’elle va reconnaître, elle ne brusque rien. Faites en sorte, Sire, que le véritable coupable, que celui qui depuis deux ans trahit d’intention Votre Majesté, en attendant qu’il la trahisse de fait, soit enfin reconnu coupable par une preuve infaillible et puni comme il le mérite.

Charles ne répondit rien; il alla à une fenêtre et l’ouvrit: le sang envahissait son cerveau. Enfin se retournant vivement:

– Eh bien, dit-il, que feriez-vous? Parlez, François.

– Sire, dit d’Alençon, je ferais cerner la forêt de Saint-Germain par trois détachements de chevau-légers, qui, à une heure convenue, à onze heures par exemple, se mettraient en marche et rabattraient tout ce qui se trouve dans la forêt sur le pavillon de François Ier, que j’aurais, comme par hasard, désigné pour l’endroit du rendez-vous, du dîner. Puis quand, tout en ayant l’air de suivre mon faucon, je verrais Henri s’éloigner, je piquerais au rendez-vous, où il se trouvera pris avec ses complices.

– L’idée est bonne, dit le roi; qu’on fasse venir mon capitaine des gardes. D’Alençon tira de son pourpoint un sifflet d’argent pendu à une chaîne d’or et siffla. De Nancey parut. Charles alla à lui et lui donna ses ordres à voix basse.

Pendant ce temps, son grand lévrier Actéon avait saisi une proie qu’il roulait par la chambre et qu’il déchirait à belles dents avec mille bonds folâtres.

Charles se retourna et poussa un juron terrible. Cette proie, que s’était faite Actéon, c’était ce précieux livre de vénerie, dont il n’existait, comme nous l’avons dit, que trois exemplaires au monde.

Le châtiment fut égal au crime.

Charles saisit un fouet, la lanière sifflante enveloppa l’animal d’un triple nœud. Actéon jeta un cri et disparut sous une table couverte d’un immense tapis qui lui servait de retraite.

Charles ramassa le livre et vit avec joie qu’il n’y manquait qu’un feuillet; et encore n’était-il pas une page de texte, mais une gravure.

Il le plaça avec soin sur un rayon où Actéon ne pouvait atteindre. D’Alençon le regardait faire avec inquiétude. Il eût voulu fort que ce livre, maintenant qu’il avait fait sa terrible mission, sortît des mains de Charles.

Six heures sonnèrent.

C’était l’heure à laquelle le roi devait descendre dans la cour encombrée de chevaux richement caparaçonnés, d’hommes et de femmes richement vêtus. Les veneurs tenaient sur leurs poings leurs faucons chaperonnés; quelques piqueurs avaient les cors en écharpe au cas où le roi, fatigué de la chasse au vol, comme cela lui arrivait quelquefois, voudrait courre un daim ou un chevreuil.

Le roi descendit, et, en descendant, ferma la porte de son cabinet des Armes. D’Alençon suivait chacun de ses mouvements d’un ardent regard et lui vit mettre la clef dans sa poche.

En descendant l’escalier, il s’arrêta, porta la main à son front.

Les jambes du duc d’Alençon tremblaient non moins que celles du roi.

– En effet, balbutia-t-il, il me semble que le temps est à l’orage.

– À l’orage au mois de janvier? dit Charles, vous êtes fou! Non, j’ai des vertiges, ma peau est sèche; je suis faible, voilà tout.

Puis à demi-voix:

– Ils me tueront, continua-t-il, avec leur haine et leurs complots.

Mais en mettant le pied dans la cour, l’air frais du matin, les cris des chasseurs, les saluts bruyants de cent personnes rassemblées, produisirent sur Charles leur effet ordinaire.

Il respira libre et joyeux. Son premier regard avait été pour chercher Henri. Henri était près de Marguerite. Ces deux excellents époux semblaient ne se pouvoir quitter tant ils s’aimaient. En apercevant Charles, Henri fit bondir son cheval, et en trois courbettes de l’animal fut près de son beau-frère.

– Ah! ah! dit Charles, vous êtes monté en coureur de daim, Henriot. Vous savez cependant que c’est une chasse au vol que nous faisons aujourd’hui.

Puis sans attendre la réponse:

– Partons, messieurs, partons. Il faut que nous soyons en chasse à neuf heures! dit le roi le sourcil froncé et avec une intonation de voix presque menaçante.

Catherine regardait tout cela par une fenêtre du Louvre. Un rideau soulevé donnait passage à sa tête pâle et voilée, tout le corps vêtu de noir disparaissait dans la pénombre.

Sur l’ordre de Charles, toute cette foule dorée, brodée, parfumée, le roi en tête, s’allongea pour passer à travers les guichets du Louvre et roula comme une avalanche sur la route de Saint-Germain, au milieu des cris du peuple qui saluait le jeune roi, soucieux et pensif, sur son cheval plus blanc que la neige.

– Que vous a-t-il dit? demanda Marguerite à Henri.

– Il m’a félicité sur la finesse de mon cheval.

– Voilà tout?

– Voilà tout.

– Il sait quelque chose alors.

– J’en ai peur.

– Soyons prudents. Henri éclaira son visage d’un de ces fins sourires qui lui étaient habituels, et qui voulaient dire, pour Marguerite surtout: Soyez tranquille, ma mie. Quant à Catherine, à peine tout ce cortège avait-il quitté la cour du Louvre qu’elle avait laissé retomber son rideau. Mais elle n’avait point laissé échapper une chose: c’était la pâleur de Henri, c’étaient ses tressaillements nerveux, c’étaient ses conférences à voix basse avec Marguerite. Henri était pâle parce que, n’ayant pas le courage sanguin, son sang, dans toutes les circonstances où sa vie était mise en jeu, au lieu de lui monter au cerveau, comme il arrive ordinairement, lui refluait au cœur.