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– Ah! ah! fit Chicot; vois-tu, mon fils, que j'avais raison de dire: Qui sait?

Henri III ne répondit point tout d'abord. Il regarda l'assemblée; l'assemblée était émue et offensée; mais Henri distingua bientôt dans le regard des assistants la jalousie qui s'agitait au fond de la plupart des cœurs.

Il en conclut que Saint-Luc avait fait quelque chose dont était incapable la majorité de l'assemblée, c'est-à-dire quelque chose de bien.

Cependant il ne voulut point se rendre ainsi tout à coup.

– Monsieur, répondit-il, vous n'avez fait que votre devoir, car vos services nous sont dus.

– Les services de tous les sujets du roi sont dus au roi, je le sais, Sire, répondit Saint-Luc; mais, par le temps qui court, beaucoup de gens oublient de payer leurs dettes. Moi, Sire, je viens payer la mienne, heureux que Votre Majesté veuille bien me compter toujours au nombre de ses débiteurs.

Henri, désarmé par cette douceur et cette humilité persévérantes, fit un pas vers Saint-Luc.

– Ainsi, dit-il, vous revenez sans autre motif que celui que vous dites, vous revenez sans mission, sans sauf-conduit?

– Sire, dit vivement Saint-Luc, reconnaissant, au ton dont lui parlait le roi, qu'il n'y avait plus dans son maître ni reproche ni colère, je reviens purement et simplement pour revenir, et cela à franc étrier. Maintenant, Votre Majesté peut me faire jeter à la Bastille dans une heure, arquebuser dans deux; mais j'aurai fait mon devoir. Sire, l'Anjou est en feu; la Touraine va se révolter; la Guyenne se lève pour lui donner la main. M. le duc d'Anjou travaille l'ouest et le midi de la France.

– Et il y est bien aidé, n'est-ce pas? s'écria le roi.

– Sire, dit Saint-Luc, qui comprit le sens des paroles royales, ni conseils ni représentations n'arrêtent le duc; et M. de Bussy, tout ferme qu'il soit, ne peut rassurer votre frère sur la terreur que Votre Majesté lui a inspirée.

– Ah! ah! dit Henri, il tremble donc, le rebelle!

Et il sourit dans sa moustache.

– Tudieu! dit Chicot en se caressant le menton, voilà un habile homme!

Et, poussant le roi du coude:

– Range-toi donc, Henri, dit-il, que j'aille donner une poignée de main à M. de Saint-Luc.

Ce mouvement entraîna le roi. Il laissa Chicot faire son compliment à l'arrivant, puis, marchant avec lenteur vers son ancien ami, et, lui posant la main sur l'épaule:

– Sois le bien-venu, Saint-Luc, lui dit-il.

– Ah! Sire, s'écria Saint-Luc en baisant la main du roi, j'ai retrouvé mon maître bien-aimé!

– Oui; mais moi, je ne te retrouve pas, dit le roi, ou du moins je te retrouve si maigri, mon pauvre Saint-Luc, que je ne t'eusse pas reconnu en te voyant passer.

À ces mots, une voix féminine se fit entendre.

– Sire, dit cette voix, c'est du chagrin d'avoir déplu à Votre Majesté.

Quoique cette voix fût douce et respectueuse, Henri tressaillit. Cette voix lui était aussi antipathique que l'était à Auguste le bruit du tonnerre.

– Madame de Saint-Luc! murmura-t-il. Ah! c'est vrai, j'avais oublié…

Jeanne se jeta à ses genoux.

– Relevez-vous, madame, dit le roi. J'aime tout ce qui porte le nom de Saint-Luc.

Jeanne saisit la main du roi et la porta à ses lèvres.

Henri la retira vivement.

– Allez, dit Chicot à la jeune femme, allez, convertissez le roi, ventre-de-biche! vous êtes assez jolie pour cela.

Mais Henri tourna le dos à Jeanne, et, passant son bras autour du col de Saint-Luc, entra avec lui dans ses appartements.

– Ah çà! lui dit-il, la paix est faite, Saint-Luc?

– Dites, Sire, répondit le courtisan, que la grâce est accordée!

– Madame, dit Chicot à Jeanne indécise, une bonne femme ne doit pas quitter son mari… surtout lorsque son mari est en danger.

Et il poussa Jeanne sur les talons du roi et de Saint-Luc.

XIII Où il est traité de deux personnages importants de cette histoire, que le lecteur avait depuis quelque temps perdus de vus.

Il est un des personnages de cette histoire, il en est même deux, des faits et gestes desquels le lecteur a droit de nous demander compte.

Avec l'humilité d'un auteur de préface antique, nous nous empresserons d'aller au-devant de ces questions, dont nous comprenons toute l'importance.

Il s'agit d'abord d'un énorme moine, aux sourcils épais, aux lèvres rouges et charnues, aux larges mains, aux vastes épaules, dont le col diminue chaque jour de tout ce que prennent de développement la poitrine et les joues.

Il s'agit ensuite d'un fort grand âne dont les côtes s'arrondissent et se ballonnent avec grâce.

Le moine tend chaque jour à ressembler à un muid calé par deux poutrelles.

L'âne ressemble déjà à un berceau d'enfant soutenu par quatre quenouilles.

L'un habite une cellule du couvent de Sainte-Geneviève, où toutes les grâces du Seigneur viennent le visiter.

L'autre habite l'écurie du même couvent, où il vit à même d'un râtelier toujours plein.

L'un répond au nom de Gorenflot.

L'autre devrait répondre au nom de Panurge.

Tous deux jouissent, pour le moment du moins, du destin le plus prospère qu'aient jamais rêvé un âne et un moine. Les Génovéfains entourent de soins leur illustre compagnon, et, semblables aux divinités de troisième ordre qui soignaient l'aigle de Jupiter, le paon de Junon et les colombes de Vénus, les frères servants engraissent Panurge en l'honneur de son maître.

La cuisine de l'abbaye fume perpétuellement; le vin des clos les plus renommés de Bourgogne coule dans les verres les plus larges. Arrive-t-il un missionnaire ayant voyagé dans les pays lointains pour la propagation; arrive-t-il un légat secret du pape apportant des indulgences de la part de Sa Sainteté, on lui montre le frère Gorenflot, ce double modèle de l'église prêchante et militante, qui manie la parole comme saint Luc et l'épée comme saint Paul; on lui montre Gorenflot dans toute sa gloire, c'est-à-dire au milieu d'un festin. On a échancré une table pour le ventre sacré de Gorenflot, et l'on s'épanouit d'un noble orgueil en faisant voir au saint voyageur que Gorenflot engloutit à lui tout seul la ration des huit plus robustes appétits du couvent.

Et quand le nouveau venu a pieusement contemplé cette merveille: