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– Quel grand jour? demande Gorenflot absorbé dans sa joie.

– Celui de la Fête-Dieu.

– Ita! dit le moine avec un air de profonde intelligence; mais, ajouta Gorenflot, afin que je m'inspire chrétiennement par des aumônes, donnez-moi quelque argent.

Le prieur s'empressa d'aller chercher une large bourse, qu'il ouvrit à Gorenflot. Gorenflot y plongea sa large main.

– Vous verrez ce que je rapporterai au couvent, dit-il en faisant passer dans la large poche de son froc ce qu'il venait d'emprunter à la bourse du prieur.

– Vous avez votre texte, n'est-ce pas, très cher frère? demanda Joseph Foulon.

– Oui, certainement.

– Confiez-le-moi.

– Volontiers, mais à vous seul.

Le prieur s'approcha de Gorenflot et prêta une oreille attentive.

– Écoutez.

– J'écoute.

– Le fléau qui bat le grain se bat lui-même, dit Gorenflot.

– Oh! magnifique! oh! sublime! s'écria le prieur.

Et les assistants, partageant de confiance l'enthousiasme de messire Joseph Foulon, répétèrent d'après lui: «Magnifique! sublime!»

– Et maintenant, mon père, suis-je libre, demanda Gorenflot avec humilité.

– Oui, mon fils, s'écria le révérend abbé, allez et marchez dans la voie du Seigneur.

Gorenflot fit seller Panurge, l'enfourcha avec l'aide de deux vigoureux moines et sortit du couvent vers les sept heures du soir.

C'était le jour même où Saint-Luc était arrivé de Méridor. Les nouvelles qui venaient de l'Anjou tenaient Paris en émotion.

Gorenflot, après avoir suivi la rue Saint-Étienne, venait de prendre à droite et de dépasser les Jacobins, quand tout à coup Panurge tressaillit: une main vigoureuse venait de s'appesantir sur sa croupe.

– Qui va là? s'écria Gorenflot effrayé.

– Ami, répliqua une voix que Gorenflot crut reconnaître.

Gorenflot avait bonne envie de se retourner; mais, comme les marins, qui, toutes les fois qu'ils s'embarquent, ont besoin d'habituer de nouveau leur pied au roulis, toutes les fois que Gorenflot remontait sur son âne, il était quelque temps à reprendre son centre de gravité.

– Que demandez-vous? dit-il.

– Voudriez-vous, mon respectable frère, reprit la voix, m'indiquer le chemin de la Corne-d'Abondance?

– Morbleu! s'écria Gorenflot au comble de la joie, c'est M. Chicot en personne.

– Justement, répondit le Gascon, j'allais vous chercher au couvent, mon très cher frère, quand je vous ai vu sortir, je vous ai suivi quelque temps, de peur de me compromettre en vous parlant; mais, maintenant que nous sommes bien seuls, me voilà. Bonjour, frocard. Ventre-de-biche! je te trouve maigri.

– Et vous, monsieur Chicot, je vous trouve engraissé, parole d'honneur.

– Je crois que nous nous flattons tous les deux.

– Mais, qu'avez-vous donc, monsieur Chicot? dit le moine, vous paraissez bien chargé.

– C'est un quartier de daim que j'ai volé à Sa Majesté, dit le Gascon; nous en ferons des grillades.

– Cher monsieur Chicot! s'écria le moine; et sous l'autre bras?

– C'est un flacon de vin de Chypre envoyé par un roi à mon roi.

– Voyons, dit Gorenflot.

– C'est mon vin à moi; je l'aime beaucoup, dit Chicot en écartant son manteau, et toi, frère moine?

– Oh! oh! s'écria Gorenflot en apercevant la double aubaine et en s'ébaudissant si fort sur sa monture, que Panurge plia sous lui; oh! oh!

Dans sa joie, le moine leva les bras au ciel, et d'une voix qui fit trembler à droite et à gauche les vitres des maisons, il chanta, tandis que Panurge l'accompagnait en hihannant:

La musique a des appas,

Mais on ne fait que l'entendre.

Les fleurs ont le parfum tendre,

Mais l'odeur ne nourrit pas.

Sans que notre main y touche,

Un beau ciel flatte nos yeux;

Mais le vin coule en la bouche,

Mais le vin se sent, se touche

Et se boit; je l'aime mieux

Que musique, fleurs et cieux.

C'était la première fois que Gorenflot chantait depuis près d'un mois.

XIV Comment les trois principaux personnages de cette histoire firent le voyage de Méridor à Paris

Laissons les deux amis entrer au cabaret de la Corne-d'Abondance, où Chicot, en se le rappelle, ne conduisait jamais le moine qu'avec des intentions dont celui-ci était loin de soupçonner la gravité, et revenons à M. de Monsoreau, qui suit en litière le chemin de Méridor à Paris, et à Bussy, qui est parti d'Angers avec l'intention de faire la même route.

Non seulement il n'est pas difficile à un cavalier bien monté de rejoindre des gens qui vont à pied, mais encore il court un risque, c'est celui de les dépasser.

La chose arriva à Bussy.

On était à la fin de mai, et la chaleur était grande, surtout vers le midi. Aussi M. de Monsoreau ordonna-t-il de faire halte dans un petit bois qui se trouvait sur la route; et, comme il désirait que son départ fût connu le plus tard possible de M. le duc d'Anjou, il veilla à ce que toutes les personnes de sa suite entrassent avec lui dans l'épaisseur du taillis pour passer la plus grande ardeur du soleil. Un cheval était chargé de provisions: on put donc faire la collation sans avoir recours à personne.

Pendant ce temps, Bussy passa.

Mais Bussy n'allait pas, comme on le pense bien, par la route, sans s'informer, si l'on n'avait pas vu des chevaux, des cavaliers et une litière portée par des paysans.

Jusqu'au village de Durtal, il avait obtenu les renseignements les plus positifs et les plus satisfaisants; aussi, convaincu que Diane était devant lui, avait-il mis son cheval au pas, se haussant sur ses étriers au sommet de chaque monticule, afin d'apercevoir au loin la petite troupe à la poursuite de laquelle il s'était mis. Mais, contre son attente, tout à coup les renseignements lui manquèrent; les voyageurs qui le croisaient n'avaient rencontré personne, et, en arrivant aux premières maisons de la Flèche, il acquit la conviction qu'au lieu d'être en retard il était en avance, et qu'il précédait au lieu de suivre.

Alors il se rappela le petit bois qu'il avait rencontré sur sa route, et il s'expliqua les hennissements de son cheval qui avait interrogé l'air de ses naseaux fumants au moment où il y était entré.