Il eût été difficile de dire quel sentiment l'animait.
– Pardon, dit-il à la reine en essuyant sa moustache et en jetant sa serviette sur son fauteuil, mais ce sont des affaires d'État qui ne regardent point les femmes.
– Oui, dit Chicot en grossissant la voix, ce sont des affaires d'État.
La reine voulut se lever de table pour laisser la place libre à son mari.
– Non, madame, dit Henri, restez, s'il vous plaît; je vais entrer dans mon cabinet.
– Oh! sire, dit la reine avec ce tendre intérêt qu'elle eut constamment pour son ingrat époux, ne vous mettez pas en colère, je vous prie.
– Dieu le veuille! répondit Henri sans remarquer l'air narquois avec lequel Chicot tortillait sa moustache.
Henri s'éloigna vivement hors de la chambre. Chicot le suivit.
Une fois dehors:
– Que vient-il faire ici, le traître? demanda Henri d'une voix émue.
– Qui sait? fit Chicot.
– Il vient, j'en suis sûr, comme député des États d'Anjou. Il vient comme ambassadeur de mon frère; car ainsi vont les rébellions: ce sont des eaux troubles et fangeuses dans lesquelles les révoltés pêchent toutes sortes de bénéfices, sordides, c'est vrai, mais avantageux, et qui, de provisoires et précaires, deviennent peu à peu fixes et immuables. Celui-ci a flairé la rébellion, et il s'en est fait un sauf-conduit pour venir m'insulter ici.
– Qui sait? dit Chicot.
Le roi regarda le laconique personnage.
– Il se peut encore, dit Henri, toujours traversant les galeries d'un pas inégal et qui décelait son agitation; il se peut qu'il vienne pour me redemander ses terres, dont je retiens les revenus, ce qui est un peu abusif peut-être, lui n'ayant pas commis, après tout, de crime qualifié, hein?
– Qui sait? continua Chicot.
– Ah! fit Henri, tu répètes, comme mon papegeai [1], toujours la même chose. Mort de ma vie! tu m'impatientes enfin avec ton éternel: Qui sait?
– Eh! mordieu! te crois-tu bien amusant, toi, avec tes éternelles questions?
– On répond quelque chose, au moins.
– Et que veux-tu que je te réponde? Me prends-tu, par hasard, pour le Fatum des anciens? me prends-tu pour Jupiter, pour Apollon ou pour Manto? Eh! c'est toi-même qui m'impatientes, morbleu! avec tes sottes suppositions!
– Monsieur Chicot…
– Après, monsieur Henri?
– Chicot, mon ami, tu vois ma douleur, et tu me rudoies.
– N'aie pas de douleur, mordieu!
– Mais tout le monde me trahit!
– Qui sait? ventre-de-biche! qui sait?
Henri, se perdant en conjectures, descendit en son cabinet, où, sur l'étrange nouvelle du retour de Saint-Luc, se trouvaient déjà réunis tous les familiers du Louvre, parmi lesquels, ou plutôt à la tête desquels brillait Crillon, l'œil en feu, le nez rouge et la moustache hérissée comme un dogue qui demande le combat.
Saint-Luc était là, debout, au milieu de tous ces menaçants visages, sentant bruire autour de lui toutes ces colères, et ne se troublant pas le moins du monde. Chose étrange! il avait amené sa femme, et l'avait fait asseoir sur un tabouret contre la balustrade du lit.
Lui, se promenait le poing sur la hanche, regardant les curieux et les insolents du même regard dont ils le regardaient.
Par égard pour la jeune femme, quelques seigneurs s'étaient écartés, malgré leur envie de coudoyer Saint-Luc, et s'étaient tus, malgré leur désir de lui adresser quelques paroles désagréables.
C'était dans ce vide et dans ce silence que se mouvait l'ex-favori.
Jeanne, modestement enveloppée dans sa mante de voyage, attendait, les yeux baissés.
Saint-Luc, drapé fièrement dans son manteau, attendait; de son côté, avec une attitude qui semblait plutôt appeler que craindre la provocation.
Enfin les assistants attendaient, pour provoquer, de bien savoir ce que revenait faire Saint-Luc à cette cour où chacun, désireux de se partager une portion de son ancienne faveur, le trouvait bien inutile.
En un mot, comme on le voit, de toutes parts, l'attente était grande, lorsque le roi parut.
Henri entra, tout agité, tout occupé de s'exciter lui-même. Cet essoufflement perpétuel compose, la plupart du temps, ce qu'on appelle la dignité chez les princes.
Il entra, suivi de Chicot, qui avait pris les airs calmes et dignes qu'aurait dû prendre le roi de France, et qui regardait le maintien de Saint-Luc, ce qu'aurait dû commencer par faire Henri III.
– Ah! monsieur, vous ici? s'écria tout d'abord le roi, sans faire attention à ceux qui l'entouraient, et semblable en cela au taureau des arènes espagnoles, qui, dans des milliers d'hommes, ne voient qu'un brouillard mouvant, et, dans l'arc-en-ciel des bannières, que la couleur rouge.
– Oui, Sire, répondit simplement et modestement Saint-Luc en s'inclinant avec respect.
Cette réponse frappa si peu l'oreille du roi; ce maintien plein de calme et de déférence communiqua si peu à son esprit aveuglé ces sentiments de raison et de mansuétude que doit exciter la réunion du respect des autres et de la dignité de soi-même, que le roi continua sans intervalle:
– Vraiment, votre présence au Louvre me surprend étrangement.
À cette agression brutale, un silence de mort s'établit autour du roi et de son favori.
C'était le silence qui s'établit en un champ clos autour de deux adversaires qui vont vider une question suprême.
Saint-Luc le rompit le premier.
– Sire, dit-il avec son élégance habituelle et sans paraître troublé le moins du monde de la boutade royale, je ne suis, moi, surpris que d'une chose: c'est que, dans les circonstances où elle se trouve, Votre Majesté ne m'ait pas attendu.
– Qu'est-ce à dire, monsieur? répliqua Henri avec un orgueil tout à fait royal et en relevant sa tête, qui, dans les grandes circonstances, prenait une incomparable expression de dignité.
– Sire, répondit Saint-Luc, Votre Majesté court un danger.
– Un danger! s'écrièrent les courtisans.
– Oui, messieurs, un danger grand, réel, sérieux, un danger dans lequel le roi a besoin depuis le plus grand jusqu'au plus petit de tous ceux qui lui sont dévoués; et, convaincu que, dans un danger pareil à celui que je signale, il n'y a pas de fa***e assistance, je viens remettre aux pieds de mon roi l'offre de mes très humbles services.