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Miika, rassurée sur le compte de Dar Véter, le laissa étendu sur la dalle et replongea. Enfin, épuisée par les immersions et rassasiée du spectacle de sa trouvaille, elle s’assit à côté de son compagnon et demeura silencieuse jusqu’à ce que sa respiration se fût rétablie.

— Je me demande quel est l’âge de cette sculpture, dit-elle pensivement à part soi.

Il haussa les épaules, au souvenir de ce qui l’avait le plus étonné:

— Pourquoi n’y a-t-il pas d’algues ni de coquillages sur ce cheval?

Miika se retourna précipitamment.

— En effet! J’ai déjà vu des choses pareilles. Elles semblaient recouvertes d’une substance qui empêchait les êtres vivants de se coller dessus. L’époque doit donc être proche du Siècle de la Scission.

Un nageur apparut entre le rivage et l’îlot. Parvenu plus près, il sortit de l’eau jusqu’à mi-corps et agita les bras. Dar Véter reconnut les larges épaules et la peau sombre et luisante de Mven Mas. Sa haute silhouette grimpa sur le rocher, et un bon sourire éclaira le visage humide du nouveau directeur des stations externes. Il salua la petite Miika d’un signe de tête et Dar Véter d’un geste dégagé.

— Nous sommes vertus vous demander conseil, Ren Boz et moi….

— Qui est-ce, Ren Boz?

— Un physicien de l’Académie des Limités du Savoir…

— Je ïe connais un peu. Il étudie les rapports entre l’espace et le champ. Où l’avez-vous laissé?

— Sur le rivage. Il ne nage pas… pas aussi bien que vous, en tout cas.

Un léger clapotis l’interrompit.

— Je vais voir Véda, cria Mîika de l’eau. Dar Véter lui sourit.

— Elle vient de faire une découverte! expliqua-t-il à Mven Mas et il le mit au courant de leur trouvaille sous-marine. L’Africain l’écoutait sans intérêt, palpant son menton de ses longs doigts. Dar Véter lut dans ses yeux une inquiétude mêlée d’espoir.

— Vous avez de gros ennuis? Alors, pourquoi tergiverser? Mven Mas ne se le fit pas dire deux fois. Assis sur le rocher, au bord du gouffre qui recelait le cheval mystérieux, il parla de ses doutes cruels. Sa rencontre avec Ren Boz n’était pas l’effet du hasard. La vision du monde splendide de l’Epsilon du Toucan l’obsédait. Depuis cette nuit, il rêvait de se rapprocher de ce monde en surmontant coûte que coûte l’immensité de l’espace. Il voulait éviter que l’émission et la réception des messages, des signaux et des vues fussent séparées par un délai de six cents ans, inaccessible à la vie humaine; il voulait sentir tout près la pulsation de cette vie magnifique et si analogue à la nôtre, tendre la main aux frères par-dessus les abîmes du Cosmos. Mven Mas accordait toute son attention aux questions en suspens, aux expériences qu’on faisait depuis des millénaires, relativement à l’espace considérée en fonction de la matière. C’était le problème dont Véda Kong rêvait la nuit de sa première conférence diffusée par le Grand Anneau.

A l’Académie des Limites du Savoir, ces recherches étaient dirigées par Ren Boz, jeune physicien-mathématicien. Son entrevue avec Mven Mas et l’amitié qui s’en était suivie étaient conditionnées par la communauté d’aspirations.

Ren Boz estime que le problème est suffisamment élaboré pour passer à l’expérience. Celle-ci, comme tout ce qui concerne les dimensions cosmiques, ne peut être effectuée au laboratoire. La grandeur de la question exige l’essai à grande échelle. Ren Boz recommande de faire l’expérience par les stations externes, en utilisant toute l’énergie terrestre, y compris la station de réserve Q de l’Antarctide…

A voir les yeux fébriles et les narines palpitantes de Mven Mas, Dar Véter eut la sensation du danger.

— Vous voulez savoir ce que j’aurais fait à votre place? demanda-t-il tranquillement.

Mven Mas répondit par l’affirmative et passa la langue sur ses lèvres sèches.

— Je me serais abstenu, martela Véter, indifférent à la grimace douloureuse qui altéra les traits de l’Africain et disparut si vite qu’elle aurait échappé à un interlocuteur moins attentif.

— J’en étais sûr! s’écria Mven Mas.

— Alors pourquoi faisiez-vous cas de mon conseil?

— J’espérais vous convaincre…

— Essayez toujours! Mais rejoignons les camarades. Je parie qu’ils préparent les appareils de plongée pour voir le cheval!

Véda chantait, accompagnée de deux voix féminines inconnues.

A la vue des nageurs, elle leur fit signe d’approcher, en repliant» les doigts d’un geste enfantin. La chanson se tut. Dar Véter reconnut dans une des femmes Evda Nal. C’était la première fois qu’il la voyait sans sa blouse blanche de médecin. Sa silhouette élancée se distinguait des autres par la blancheur de la peau: sans doute la célèbre psychiatre était-elle trop occupée pour se griller au soleil. Ses cheveux noirs comme l’aile du corbeau étaient partagés par une raie au milieu et relevés aux tempes. Les pommettes saillantes, au-dessus des joues un peu creuses, accentuaient la forme en amande des yeux scrutateurs. Ce visage rappelait vaguement un sphinx de l’Egypte ancienne, érigé dans la plus haute antiquité au bord du désert, devant les tombes pyramidales des pharaons. Le désert avait disparu depuis des siècles, des vergers bruissaient

sur les sables, et une cloche de verre protégeait le sphinx, sans dissimuler les creux de sa face rongée par le temps…

Se rappelant qu’Evda Nal descendait des Péruviens ou des Chiliens, Dar Véter la salua selon le rite antique des adorateurs du soleil sud-américains.

— Le travail avec les historiens vous profite, dit-elle. C’est Véda qu’il faut remercier…

Dar Véter se tourna en hâte vers sa grande amie, mais elle le prit par la main pour le présenter à son autre compagne.

— Voici Tchatra Nandi! Nous sommes tous ses hôtes et ceux du peintre Kart San, car ils habitent ce rivage depuis un mois déjà. Leur atelier ambulant est au bout du golfe… Dar Véter tendit la main à la jeune femme, qui le regarda de ses grands yeux bleus. II en eut le souffle coupé: quelque chose en elle lui paraissait extraordinaire. Ce n’était pas seulement la beauté. Elle se tenait entre Véda Kong et Evda Nal, très belles aussi et affinées par un intellect supérieur, ainsi que par la discipline d’un long travail scientifique.

— Votre nom ressemble un peu au mien, remarqua Dar Véter.

Les coins de la petite bouche tressaillirent dans un sourire contenu.

— Autant que vous me ressemblez vous-même!

Il regarda par-dessus la chevelure abondante et lustrée de la jeune femme dont la tête lui arrivait aux épaules, et adressa à Véda un large sourire.

— Véter, vous ne savez pas complimenter les femmes, dit celle-ci d’un ton malicieux, la tête penchée de côté.