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— Une minute, Miika!.. Et ces plongeuses?

— Le peintre s’éprit de l’une d’elles et se fixa dans sa tribu. Ses filles furent plongeuses aussi, toute leur vie… Voyez comme cette île est bizarre: on dirait un réservoir ou une tour basse pour la production du sucre.

— Du sucre! Dar Véter pouffa malgré lui. Quand j’étais petit, ces îles désertes me fascinaient… Solitaires, entourées d’eau, elles renferment des mystères dans leurs falaises ou dans leurs bois: on peut y rencontrer tout ce qu’on imagine…

Le rire clair de Miika lui fut une récompense. Cette jeune fille, taciturne et un peu triste d’ordinaire, était transfigurée. Bravement lancée en avant, vers les vagues pesantes, elle demeurait néanmoins aux yeux de Dar Véter une porte close contrairement à la transparente Véda dont le courage était une belle confiance plus qu’un effet de l’énergie.

Les grands rochers de la côte abritaient d’étroites criques bleues, imprégnées de soleil. Ces galeries sous-marines tapissées d’épongés et frangées d’algues conduisaient à la partie est de l’îlot, où se creusait un abysse obscur. Dar Véter regretta de ne pas avoir emprunté à Véda une carte détaillée des lieux. Les radeaux de l’expédition maritime luisaient au soleil, près du cap occidental, à quelques kilomètres de là. Il y avait en face une excellente plage, où Véda était en train de se baigner avec ses camarades. Aujourd’hui on changeait les accumulateurs des machines et toute l’équipe avait congé. Tandis que lui, Véter, s’était livré à sa passion d’explorer les îles désertes… Une sinistre falaise d’andésite surplombait les nageurs. Les cassures des roches étaient fraîches: un tremblement de terre avait récemment écroulé une partie de la côte. Le vent soufflait du large. Miika et Dar Véter nagèrent longtemps dans l’eau sombre de la côte orientale, jusqu’à ce qu’ils eussent trouvé une saillie en terrasse où Dar Véter fit grimper sa compagne qui le hissa à son tour.

Les mouettes effarouchées se démenaient, le choc des vagues ébranlait l’andésite. Pas la moindre trace d’animaux ou d’hommes, rien que le rocher nu et des buissons épineux…

Ils montèrent au faîte de l’îlot pour admirer d’en haut la fureur des vagues, puis redescendirent. Une odeur acre émanait des buissons qui sortaient des crevasses. Dar Véter, allongé sur la pierre chaude, regardait nonchalamment l’eau du côté du sud.

Miika, accroupie au bord du rocher, scrutait les profondeurs. Il n’y avait là ni plate-forme côtière ni entassements de rochers. La falaise tombait à pic dans l’eau noire et huileuse. Le soleil ourlait son arête d’une ligne éblouissante. Là où la lumière pénétrait dans l’eau limpide, on entrevoyait à peine le scintillement blond du sable.

— Qu’est-ce que vous voyez, Miika?

La jeune fille, absorbée dans ses pensées, ne se retourna pas tout de suite.

— Rien. Vous aimez les îles désertes,’ et moi, le fond de la mer. J’ai toujours l’impression qu’on peut à découvrir des choses intéressantes…

— Alors, pourquoi travaillez-vous dans la steppe?

— C’est difficile à expliquer. Pour moi, la mer est une telle joie que je ne puis être tout le temps auprès d’elle, comme on ne peut toujour écouter une belle musique. Nos rencontres n’en sont que plus précieuses.

Dar Véter fit un signe affirmatif.

— On plonge? Il montra le scintillement au fond de l’eau. Miika releva ses sourcils arqués.

— Vous le pourriez? Il y a au moins vingt-cinq mètres, c’est seulement à la mesure d’un bon plongeur…

— J’essaierai… Et vous?

Au lieu de répondre, elle se mit debout, regarda tout autour, choisit une grosse pierre et la traîna au bord du rocher.

— Laissez-moi plonger d’abord… Ce n’est pas dans mes habitudes de me servir d’une pierre, mais je soupçonne qu’il y a du courant, car le fond est bien net…

Elle leva les bras, se pencha, se redressa, la taille cambrée. Dar Véter observait ses mouvements respiratoires, dans l’intention de les imiter. Miika ne disait plus un mot. Après quelques exercices, elle saisit la pierre et s’élança dans le gouffre noir.

Lorsqu’il s’écoula plus d’une minute sans que l’intrépide jeune fille reparût, Dar Véter sentit une vague anxiété. Il chercha à son tour une pierre, en se disant que la sienne devait être beaucoup plus lourde. A peine avait-il ramassé un bloc d’andésite de quarante kilogrammes, que Miika remonta à la surface. Elle était essoufflée et paraissait très lasse.

— Il y a là… là… un cheval, articula-t-elle à grand-peine.

— Gomment? Un cheval?

— Une énorme statue de cheval… dans une niche naturelle. Je vais l’examiner comme il faut…

— C’est trop pénible, Miika. On va retourner au rivage, prendre des appareils de plongée et un bateau.

— Oh, non! Je veux y aller moi-même, tout de suite! Ce sera ma victoire à moi, et non celle d’un appareil. Ensuite on appellera les autres!

— Soit, mais je vous accompagne!

Dar Véter empoigna sa pierre. Miika sourit.

— Prenez-en une plus petite, celle-ci, tenez. Et votre respiration?

Il fit docilement les exercices et piqua une tête, la pierre dans les mains. L’eau le frappa au visage, le détourna de Miika, comprima sa poitrine, lui causa une sourde douleur aux oreilles. Il la surmontait dans une tension de tous les muscles, les mâchoires serrées. La pénombre grise et froide se condensait, la lumière du jour ternissait à vue d’œil. La force hostile des profondeurs le subjuguait, lui donnait le vertige, lui endolorissait les yeux. Subitement, la main ferme de Miika effleura son épaule, il toucha des pieds le sable compact et argenté. Puis, tournant avec effort la tête dans la direction indiquée par Miika, il recula, surpris, lâcha la pierre et fut aussitôt projeté vers le haut. Il ne sut pas comment il avait atteint la surface: un brouillard rouge lui obscurcissait la vue, il happait l’air convulsivement… Un peu plus tard, l’effet de la pression sous-marine disparut et la mémoire lui revint. Que de détails notés par les yeux et enregistrés par le cerveau en un instant!

Les rochers noirs se rejoignaient en une immense ogive, sous laquelle s’érigeait la figure d’un cheval géant. Pas une algue ni un coquillage n’adhéraient à la surface polie de la statue. L’artiste, désireux de rendre avant tout la force, avait agrandi la partie antérieure du corps, élargi le poitrail, accentué la courbe du cou. Le pied de devant gauche était levé, avançant vers le spectateur le relief du genou, tandis que l’énorme sabot touchait presque le poitrail. Les trois autres pesaient lourdement sur le sol, le corps surplombait le spectateur et l’écrasait de sa puissance fantastique. L’arc du cou portait, en guise de crinière, une crête dentelée, le museau rejoignait presque la poitrine; les yeux, sous le front baissé, exprimaient une hargne qui se retrouvait dans les petites oreilles couchées du monstre de pierre.