Изменить стиль страницы

— Soit. Je ne suis pas ferré sur les mathématiques bipolaires24, encore moins sur des chapitres tels que le calcul répagulaire, la recherche des limites de transition. Mais ce que vous avez fait en matière de fonctions ombrées est absolument nouveau, quoique assez difficile à comprendre pour nous, les profanes. Mais je conçois l’importance de la découverte. Seulement… Dar Véter resta court.

— Quoi donc? intervint Mven Mas alarmé.

— Comment faire l’expérience? A mon avis, nous n’avons pas les moyens de créer un champ électromagnétique assez puissant…

— Pour équilibrer le champ de gravitation et obtenir l’état transitoire? demanda Ren Boz.

— Mais oui. Et dans ce cas, l’espace situé au-delà du système restera hors de notre portée.

— En effet. Mais selon les règles de la dialectique, il faut toujours chercher la solution dans l’opposé. Si on obtenait l’ombre d’antigravitation par la méthode vectorielle…

— Oh, oh! Mais comment?

Ren Boz traça rapidement trois lignes droites, un secteur étroit et coupa le tout par un arc de cercle à grand rayon.

— On le savait dès avant les mathématiques bipolaires. Il y a deux mille cinq cents ans, on l’appelait le problème des quatre dimensions. Les gens ignoraient les propriétés ombrées de la gravitation, ils tentaient de les assimiler aux champs électromagnétiques et croyaient que les points singuliers25 signifiaient la disparition de la matière ou sa transformation en quelque chose d’inexplicable. Comment pouvait-on se représenter l’espace en connaissant si mal les phénomènes naturels? Mais nos ancêtres soupçonnaient la vérité: voyez, ils ont compris que si la distance d’une étoile A au centre de la terre, suivant cette ligne OA, est de vingt quintillons de kilomètres, la distance à la même étoile suivant le vecteur OB équivaut à zéro… plus exactement à une grandeur tendant vers zéro. Ils disaient que le temps se réduisait à zéro, si la vitesse du mouvement égalait celle de la lumière… Or, le calcul cochléaire26 aussi a été découvert assez récemment!

— Le mouvement spiral est connu depuis des millénaires, remarqua prudemment Mven Mas. Ren Boz eut un geste de dédain.

— Le mouvement, oui, mais pas ses lois! Eh bien, si le champ de gravitation et le champ électromagnétique sont deux aspects d’une même propriété de la matière, si l’espace est fonction de la gravitation, la fonction du champ électromagnétique est l’anti-espace. La transition de l’un à l’autre donne la fonction ombrée vectorielle de l’espace zéro, connu dans le langage commun sous le nom de vitesse de la lumière. Or, j’estime possible d’obtenir l’espace zéro dans n’importe quelle direction… Mven Mas veut atteindre Epsilon du Toucan; moi, peu m’importe, pourvu que je fasse l’expérience! Pourvu que je fasse l’expérience! répéta le physicien en abaissant avec lassitude ses cils courts et blondasses.

— Pour l’expérience, vous avez besoin non seulement des stations externes et de l’énergie terrestre, comme disait Mven Mas, aussi d’une installation spéciale. Je ne pense pas qu’on puisse la réaliser de sitôt!

— Nous avons de la chance. On peut utiliser celle de Kor Ioulle, à proximité de l’observatoire du Tibet, où on a fait des expériences relatives à l’espace, il y a cent soixante-dix ans. Il faudra la remanier, mais j’aurai toujours cinq milles, dix mille, vingt mille aides volontaires, qui viendront au premier appel…

— Vous avez réellement tout prévu. Reste une chose, mais c’est ce qu’il y a de plus sérieux: le danger de l’expérience. Les résultats peuvent être des plus inattendus, car les lois des grands nombres ne se vérifient pas en petit. On est obligé de passer d’emblée à l’échelle extraterrestre…

Ren Boz haussa les épaules:

— Qud est le savant qui craint le risque?

— Je ne parle pas pour nous! Je sais que des milliers d’hommes se présenteront dès que l’entreprise périlleuse sera à point. Mais l’expérience englobera les stations externes, les observatoires, tout le cycle des appareils qui ont coûté à l’humanité un labeur inouï; des appareils qui out percé une fenêtre dans le Cosmos et initié les terriens à la vie, à l’activité, au savoir des autres mondes peuplés. Cette fenêtre est une réalisation extraordinaire du génie humain. Sommes-nous autorisés — vous, moi ou n’importe quel autre — à risquer de la refermer, ne serait-ce que momentanément? Je voudrais savoir si vous vous sentez ce droit et sur quoi vous le fondez?

Mven Mas se leva:

— Ce droit, je l’ai et je le fonde… Vous avez participé à des fouilles… ces milliards d’ossements ensevelis, est-ce qu’ils ne clament pas leurs exigences et leurs reproches? Je vois ces milliards de vies humaines éteintes, dont la jeunesse, la beauté et le bonheur ont fui comme le sable entre les doigts… Elles exigent que soit résolue la grande énigme du temps! La victoire sur l’espace, c’est aussi la victoire sur le temps — voilà pourquoi je suis sûr de la justesse et de la grandeur de notre dessein!

— Mon sentiment à moi est différent, dit Ren Boz. Mais c’est un autre aspect de la même question. L’espace est insurmontable dans le Cosmos; il sépare les mondes, nous empêche de trouver les planètes semblables à la nôtre par leur population, et de former avec elles une seule famille heureuse et puissante. Ce serait la plus grande transformation après l’Ere de l’Unification, depuis que l’humanité a enfin supprimé l’absurde scission des peuples pour s’unir et s’élever ainsi, d’un bond, à un nouveau degré de pouvoir sur la nature. Chaque pas dans cette voie nouvelle compte plus que toutes les autres recherches et connaissances.

A peine Ren Boz s’était-il tu, que Mven Mas reprit:

— Et puis, j’ai aussi.un motif personnel. Dans ma jeunesse, j’ai lu une collection de vieux romans historiques. L’un d’eux concernait vos ancêtres, Dar Véter. Ils étaient attaqués par un de ces grands conquérants, destructeurs d’hommes, qui abondaient dans l’histoire de l’humanité à l’époque des sociétés primitives. Le héros, un vaillant jeune homme, aimait d’un grand amour une jeune fille. On fit prisonnière sa fiancée et on la «déporta». Figurez-vous des femmes et des hommes garrottés, qu’on chassait comme du bétail au pays des envahisseurs. Plusieurs milliers de kilomètres séparaient les deux amoureux. On ignorait alors la géographie de la Terre, les seuls moyens de locomotion étaient les chevaux de selle et les bêtes de somme. Notre planète était plus mystérieuse et plus vaste, plus dangereuse et plus infranchissable que ne l’est aujourd’hui l’Univers. Le jeune héros chercha sa bien-aimée durant des années, bravant toute sorte de périls, jusqu’à ce qu’il la retrouvât au cœur des montagnes de l’Asie. Je ne puis rendre l’impression que fit ce livre sur mon âme d’adolescent, mais il me semble toujours que je pourrais, moi aussi, poursuivre mon idée à travers tous les obstacles du Cosmos! Dar Véter eut un faible sourire.

— Je comprends vos sentiments, mais je ne vois pas le rapport logique entre le roman russe et votre rêve de,dompter le Cosmos. Les arguments de Ren Boz sont plus à ma portée. Au fait, vous m’avez prévenu que c’était personnel…