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Et Charles essuya la sueur qui coulait à flots de son front.

– Tiendrez-vous tête au Souverain Pontife? gronda Catherine. Vous relèverez-vous de l’excommunication dont il vous menace?

– Par l’enfer, madame! Le pape est le pape, et moi, je suis le roi de France!…

Et cramponné à la balustrade, Charles se raidit davantage.

– Silence! dit-il. Je veux qu’on se taise autour de moi! J’ai décidé la paix, et la paix se fera dans mon royaume! S’il faut faire la guerre à l’Espagne, à l’Empire, au pape lui-même, je ferai la guerre!

– Avec quoi! dit Catherine d’une voix glaciale.

– Avec mes armées, avec ma noblesse, avec mon peuple!…

– Votre peuple!… Venez, sire! Et vous allez entendre ce qu’il veut. Car la puissance royale est à ce point compromise par mes rêves de paix et les vôtres que le peuple a maintenant une volonté.

En même temps, la reine saisit la main de son fils avec un geste d’irrésistible autorité, et l’entraînant, elle lui fit traverser plusieurs pièces. En bas, on entendait le bruit de la fête, le son des violons marquant la cadence des danses lentes.

Catherine s’arrêta dans une grande salle qui donnait sur le côté du Louvre opposé à la Seine.

– Vous parlez de votre noblesse, dit-elle alors. Sur qui compterez-vous? Sur un Guise qui fomente je ne sais quoi dans l’ombre? Sur un Montmorency qui s’enferme dans son hôtel pour y donner refuge aux rebelles?

– Mordieu! madame, de quels rebelles parlez-vous?

– De ces deux aventuriers qui, en plein Paris, ont tenu tête à vos gentilshommes et à votre guet, et qui, en plein Louvre, nous ont insultés, vous et moi. De ces deux Pardaillan, spadassins et truands sans vergogne, qui résistent au roi de France et que le roi de France ne peut faire arrêter!

– Et vous dites que Montmorency leur donne asile?

– Oui, sire. Et toute votre noblesse en est à ce point de révolte ouverte… Quant au peuple, écoutez…

Catherine entraîna le roi dans l’embrasure d’une fenêtre ouverte, et Charles, se penchant, vit au-delà des fossés du Louvre, la foule énorme qui se pressait et hurlait:

– Vive la messe! Mort aux huguenots!…

Mais ces cris eux-mêmes étaient dominés et couverts par une clameur plus forte, plus volontaire, comme organisée:

– Vive Guise! Vive notre capitaine-général!…

Charles choqua violemment ses mains l’une contre l’autre et, se tournant vers la reine-mère:

– Que signifie?… Qui est capitaine-général?

– Votre peuple vous le dit, sire: c’est Henri de Guise!

– Et de quoi est-il capitaine-général?

– Des troupes catholiques, sire!

– Or ça, madame, perdons-nous le sens?… Où donc sont ces troupes catholiques? Et qui les a instituées?…

– Charles, dit Catherine avec un emportement étudié, je crois, en vérité, que vous perdez le sens… Ces troupes, c’est tout le royaume! Ce sont les seigneurs qui ne veulent pas que l’hérétique soit traité sur le même pied que le loyal serviteur! Ce sont les bourgeois que vous pouvez voir ici, la pertuisane au poing! C’est tout votre peuple, enfin, qui s’arme pour sauver la vieille religion qui, elle, a sauvé le monde… Et c’est cela qui fait une armée, sire! Et cette armée réclame un capitaine-général, puisque le roi de France ne veut pas la commander!

Charles IX referma violemment la fenêtre et se mit à arpenter la salle d’un pas agité.

– Que faire? Que faire? balbutiait-il.

– Eh! par Notre-Dame, votre devoir de roi! de fils aîné de l’Église!

– Quoi! Une trahison contre ce pauvre Coligny qui pleure de joie quand je l’appelle mon père! Contre ce pauvre Henri qui est si rayonnant et qui m’assure de toute son amitié… Jamais, madame! Faites tout ce que vous voudrez, je ne veux pas m’en mêler.

Tout Charles IX était dans ce mot.

Catherine réprima le tressaillement de joie qui l’agita.

Mais cette sorte d’autorisation que donnait le roi ne lui suffisait pas. Elle voulut plus encore. Elle marcha donc rapidement vers son fils, lui prit la main, fixa son regard aigu sur ses yeux troubles et, d’une voix sourde, basse, comme lorsqu’on complote un crime, elle murmura:

– Charles, votre bon cœur vous perdra. Malheureux enfant, ne vois-tu pas que tu as introduit le loup dans Paris? Tu parles de l’amitié d’Henri de Béarn! Sais-tu où se trouvait Henri lorsque tu le croyais au camp de la Rochelle, avant ton départ pour Blois? Interroge là-dessus ton grand-prévôt…

– Parlez, madame!…

– Eh bien! Il était à Paris avec Condé, d’Andelot et Coligny. Et sais-tu ce qu’il y venait faire?…

Bouleversé, atterré par cette épouvante qui parfois se saisissait de lui Charles IX étouffa un cri.

– Ce qu’il venait faire! acheva la reine. Il conspirait ta mort pour s’emparer de ta couronne!

Le roi devint livide et jeta autour de lui des yeux hagards…

Sans doute, Catherine le jugea dans l’état où elle le voulait. Sans doute, elle pensa que pour le moment, il ne fallait pas davantage tirer sur la corde, de crainte de la briser. Car, se penchant à l’oreille de son fils, elle ajouta:

– Pas un mot, sire! Pas un geste qui ne laisse comprendre aux damnés huguenots que vous savez l’horrible vérité! Dissimulez, sire, pour quelques jours encore, ou nous sommes tous perdus!…

Alors, elle s’éloigna, descendit un escalier dérobé, et parvint à son oratoire.

– Paola! appela-t-elle.

Sa suivante florentine apparut.

– Sont-ils là? demanda la reine.

– Oui. Majesté. Lui, ici… et l’autre, là!

– Bien! le bravo d’abord… Et ensuite, lui!

La suivante sortit et reparut quelques instants après, suivie d’un homme qui s’inclina jusqu’à terre.

– Bonjour, mon cher Maurevert, dit la reine avec son plus gracieux sourire. Je vois que vous êtes toujours de nos amis, toujours empressé lorsque nous avons besoin d’un homme brave, énergique et dévoué.

– Votre Majesté me comble, dit Maurevert en se redressant.

– Pas du tout, mon cher monsieur de Maurevert. J’aime à rendre hommage aux amis de la couronne. Pauvre couronne! Bien peu solide sur la tête de mon fils!… Il y a tant de gens qui la regardent d’un œil d’envie!

– Diable! songea Maurevert en pâlissant, aurait-elle vent de quelque chose?