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– Mille!…

Le soldat s’arrêta court et devint cramoisi.

– Que me voulez-vous? dit-il d’une voix tremblante.

– Vous donner mille livres en or, si vous me laissez lire la lettre que vous portez.

– Pour mille livres, je serais pendu. Allons donc!

– Oh! oh! C’est donc bien grave, ce que vous portez? En ce cas, je vous offre deux mille livres.

Le soldat chancela. Il était hagard. Pardaillan reprit rapidement:

– Nous entrons au premier cabaret, et tandis que vous videz une bonne bouteille, je décachette la lettre, je la lis, puis, je remets le cachet en place. Personne ne saura.

– Non! murmura le soldat d’une voix sourde; mon officier m’a dit que je serais pendu si la lettre s’égarait!…

– Imbécile! Qui te parle de l’égarer!

– Adieu!…

– Trois mille livres! dit Pardaillan.

Et prenant le soldat par le bras, il l’entraîna au fond d’un cabaret voisin. Le soldat suait à grosses gouttes. Il pâlissait, il rougissait.

– Est-ce bien vrai? murmura-t-il quand ils furent installés devant une bouteille.

Pardaillan vida sa ceinture, et dit:

– Compte!

Le soldat ébloui étouffa un rugissement. Jamais il n’avait vu tant d’or. C’était une fortune qu’il avait là devant lui. Haletant, il remit la lettre à Pardaillan, et sans compter, remplit d’or ses poches. Puis, comme dans un coup de folie, il se leva, gagna la porte et disparut.

Pardaillan haussa les épaules, et tranquillement décacheta la lettre dont il était dès lors le maître.

Elle contenait ces mots:

«Monseigneur, une voiture de voyage fermée s’est présentée à la porte Saint-Antoine, escortée par une douzaine de cavaliers. Le maréchal de Montmorency était là. Il a paru très contrarié de ne pouvoir passer. Je crois avoir reconnu les deux aventuriers que vous m’avez signalés. Je fais suivre la voiture qui, je suppose, regagne l’hôtel de Montmorency. J’ose espérer, monseigneur, que vous brûlerez ce billet aussitôt reçu et que vous n’oublierez pas celui qui vous envoie cet avis.»

– Ah! ah! fit Pardaillan. Je sais maintenant ce que signifie l’ordre du roi de faire fermer toutes les portes de Paris!… Oui, mais voilà les trois mille livres de maître Landry envolées… Bah! il est riche et peut attendre!

Là-dessus, Pardaillan se mit en chemin pour regagner l’hôtel de Montmorency.

Dans cette soirée, le maréchal de Damville reçut autant de billets qu’il y avait de portes à Paris. Tous contenaient la même indication en peu de mots: «Rien de nouveau» ou bien: «Le maréchal ne s’est pas présenté pour sortir» ou bien encore: «Les personnes signalées ne sont pas venues».

Seul, le poste de la porte Saint-Antoine n’envoya aucun rapport.

* * * * *

Ainsi, le maréchal de Montmorency, Loïse, Jeanne de Piennes et les deux Pardaillan étaient prisonniers dans Paris! Damville qui, en attendant de pouvoir assassiner Charles IX usait et abusait du crédit dont il jouissait auprès du jeune roi, Damville qui était considéré comme une des colonnes de la royauté par Charles et comme une des colonnes de l’Église par Catherine, Damville avait obtenu pour une durée de trois mois la charge d’inspecter les portes de Paris. Il n’avait pas eu de peine à démontrer que dans les circonstances présentes, il fallait exercer une étroite surveillance sur tout ce qui entrait dans Paris.

Et le roi lui avait confié le redoutable emploi qui le faisait quelque chose comme gouverneur militaire de Paris.

Cet emploi devait prendre fin au jour où le mariage de Marguerite avec Henri de Béarn aurait été célébré et où l’armée serait partie pour les Pays-Bas, emmenant tous les huguenots dans la campagne projetée.

Damville se trouvait ainsi investi d’une autorité exceptionnelle qui le faisait le geôlier de cette immense prison que devenait Paris.

* * * * *

À l’hôtel Montmorency, l’existence s’écoulait sans incident. Il avait été convenu qu’on resterait enfermé dans l’hôtel sans essayer de vaine tentative impossible. Les portes de Paris ne pouvaient demeurer longtemps fermées et à la première occasion, le départ se ferait tout naturellement.

Une quinzaine de jours s’écoulèrent ainsi.

Le chevalier et le vieux Pardaillan sortaient presque tous les jours pour aller aux nouvelles et en prenant toutes les précautions nécessaires pour ne pas être reconnus.

Un soir, le routier, qui était sorti seul, rentrait à l’hôtel lorsque dans la loge du suisse il aperçut quelqu’un qu’il reconnut immédiatement: c’était Gillot, le digne neveu de l’intendant de Damville. Pardaillan tressaillit et entrant dans la loge:

– Que viens-tu faire ici? gronda-t-il.

– Monsieur l’officier, je viens… j’expliquais justement…

– Tu viens espionner, misérable!… Et puisqu’il en est ainsi, Je vais exécuter ce que je t’avais promis!

– Écoutez-moi, de grâce, balbutia Gillot.

– Point d’affaires! Je vais te couper les oreilles!

Gillot se redressa, et très digne, prononça:

– Je vous en défie bien, par exemple!

– Hein?…

– Essayez! dit Gillot.

En même temps, il retira un bonnet qui couvrait sa tête jusqu’à la nuque, et Pardaillan demeura stupéfait:

Gillot n’avait plus d’oreilles!…

Le vieux routier éclata de rire.

Gillot remit son bonnet sur sa tête mutilée et reprit avec la même dignité:

– Vous voyez bien, monsieur, que vous ne sauriez me couper ce que je n’ai plus.

– Mais qui t’a ainsi arrangé?

– Mon oncle lui-même! Oui, monsieur!… Lorsque monseigneur de Damville a su que j’avais trahi son secret parce que j’avais peur que vous me coupassiez les oreilles, il a dit à mon oncle: «C’est bon! Coupe-les-lui!»… Alors, mon oncle, que je n’eusse jamais cru capable d’un tel crime, a exécuté la cruelle sentence, et tout évanoui que j’étais, m’a ensuite fait porter hors de l’hôtel. Une femme m’a relevé, m’a soigné, a guéri les deux blessures. Et moi, monsieur, moi qui veux me venger, je viens me mettre à votre disposition…

– Tiens! Tiens! pensa le vieux Pardaillan.

– Prenez-moi, monsieur. Vous n’aurez pas lieu de vous en repentir. Je vous aiderai peut-être mieux que vous ne croyez.