Изменить стиль страницы

– Ici… oh! ici… c’est le paradis!…

Elle poussa un faible cri. Et alors, cette lumière qui, en de certaines circonstances, jette sa flamme dans l’esprit et le cœur des jeunes filles, l’illumina soudainement, et, très pâle, blanche comme un lys, elle dit:

– Vous ne voulez pas partir… vous voulez mourir…

– C’est vrai.

– Pourquoi?

– Parce que je vous aime.

– Vous m’aimez?

– Oui.

– Et vous voulez mourir?

– Oui.

– Vous voulez donc que je meure?

Ces demandes et ces réponses, rapides, haletantes, fiévreuses, furent faites de part et d’autre d’une voix basse. Emportés qu’ils étaient par leur rêve, ils se rendaient à peine compte de ce qu’ils se disaient. Mais tout était amour en eux. De leur immobilité sans geste, de leur attitude figée, de leurs visages pâlis émanait un fluide mystérieux, et ils étaient comme dans une atmosphère d’amour.

Entre eux, il ne put être question de dissimulation. La fille la plus effrontée n’eût pas eu une pareille tranquillité, le don Juan le plus fieffé n’eût pas eu cette sérénité. Loïse, qui parlait au chevalier pour la deuxième ou troisième fois, avoua son amour spontanément. La pensée qu’elle aurait pu le cacher ou en rougir ne l’effleura même pas. Cette fleur de timidité n’eût pas compris la timidité en ce moment. Le chevalier l’eût prise par la main et l’eût emmenée qu’elle eût suivi tout naturellement.

Ce cri, qu’elle venait de laisser tomber de ses lèvres, ce cri de sincérité superbe était l’expression la plus complète, la plus absolue de ce qu’elle pensait.

Si le chevalier mourait, elle mourrait.

C’était simple, limpide, lumineux. Il n’y avait rien autour de cela: pas de réflexion, pas de contestation possible. Était-ce de l’amour? Elle ne savait pas. Elle ne cherchait pas à savoir.

Elle ne savait qu’une chose.

C’est que sa vie s’absorbait sans effort dans la vie du chevalier; c’est que son âme s’incorporait à l’âme de cet homme. Il était celui qu’elle attendait. Il lui apparaissait dans un tel prestige de jeunesse, de gloire et d’amour qu’elle en était éblouie. Leur conjonction dans cet hôtel de Montmorency lui semblait un événement naturel. Le contraire eût été impossible.

Et maintenant, s’il partait, elle partait.

S’il mourait, elle mourrait.

Plus rien au monde ne pouvait les séparer.

– Vous voulez donc que je meure? dit Loïse.

En même temps ses yeux bleus, limpides comme l’azur du ciel à l’heure des aubes d’étés, se fixèrent sur les yeux du chevalier de Pardaillan.

Il chancela.

Son être entier frémit d’une étrange vibration.

Il oublia que le maréchal la destinait à ce comte de Margency, à cet inconnu qui allait la lui prendre, et extasié, bouleversé par un étonnement infini, murmura:

– Je rêve.

Il demeurait devant elle les mains jointes, en adoration.

Lentement, elle baissa les yeux; une pâleur de lys s’étendit sur son visage, et elle dit:

– Si vous mourez, je meurs, puisque je vous aime…

Ils étaient tout près l’un de l’autre. Et pourtant, ils ne se touchaient pas. Le jeune homme éprouvait cette sensation très nette que l’ange s’évanouirait si seulement il lui prenait les mains.

Alors, avec cet accent de simplicité qui est la plus souveraine expression du pathétique, il murmura:

– Loïse, je vis puisque vous m’aimez… Être aimé de vous, cela me semblait une hérésie… Que votre regard se fût abaissé sur moi, c’était une folie… et pourtant, cela est. Loïse, je ne sais si je suis heureux ou malheureux, je ne sais si le ciel s’ouvre devant moi… Mais la plénitude de la vie, Loïse, vous me l’avez versée… Je tremble et ma pensée vacille… Vous m’aimez… Cela est, ce rêve est une vérité…

– Je vous aime.

– Oui. Je le savais. Tout me le criait. Tout me disait que j’étais venu dans ce monde pour vous, pour vous seule. Je voyais que vous ne pourriez pas ne pas m’aimer, tellement mon cœur allait avec force vers vous. De ne pas être aimé de vous, cela me paraissait une telle ténèbre que le soleil mourait dans le ciel.

Il se tut subitement.

Des paroles insensées montaient à ses lèvres blanches.

Il était comme dans une épouvante et dans une extase.

Et tous deux comprirent que toute parole eût été vaine.

Lentement, les yeux rivés aux yeux du chevalier, Loïse recula jusqu’à la porte, s’éloigna, s’évapora pour ainsi dire, et lui demeura longtemps à la même place, comme foudroyé.

Alors, la réaction se fit dans cette nature si froide en apparence, et si réellement violente.

Une joie inouïe, une joie terrible le souleva, le transporta. Il se redressa flamboyant, la main à la garde de sa rapière, les nerfs raidis, tel que dut être le Cid quand, après l’aveu de Chimène, il provoquait Maures, Navarrais et Castillans.

Par la baie de la fenêtre, son regard étincelant rayonna sur Paris.

Et sa pensée cria, tandis que ses lèvres serrées ne laissaient échapper aucun son:

– Maintenant, je suis le maître du monde! Roi Charles, Montmorency, Damville, puissances et gloires, ma gloire et ma puissance vous égalent! Où est le fer qui peut me tuer? Où est l’armée qui peut m’arrêter? Que Paris brûle, que la terre s’effondre, que dix mille sbires et spadassins lèvent sur moi leurs dagues! Ô Loïse! Loïse!…

Et de toute sa hauteur, il tomba sur le tapis, évanoui…

Vers six heures, le vieux Pardaillan regagna l’hôtel de Montmorency. Il retrouva son fils armé en guerre, en conciliabule avec le maréchal de Montmorency. Dans la cour de l’hôtel attendait un de ces lourds carrosses qu’on pouvait entièrement fermer, au moyen de mantelets.

Le vieux routier examina curieusement le chevalier qui parut calme et froid comme à son habitude.

– Allons, songea-t-il, il ne s’est rien passé. Heureusement que j’apporte les bonnes paroles de cette chère Huguette!

Et tirant son fils à part, il lui annonça qu’une vingtaine de truands se trouvaient aux abords de l’hôtel, prêts à escorter le maréchal sans même qu’il s’en doutât.

Le signal du départ fut alors donné par le maréchal.

On devait, pour dépister les curieux ou les sbires, sortir par la porte Saint-Antoine, puis faire un crochet à gauche pour rejoindre la route de Montmorency.