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Tout cuirassé qu’il fût contre les impressions violentes, le bravo ne put s’empêcher de frémir.

– Il s’agit, poursuivit la reine, de deux hommes qui m’ont mortellement offensée. Sans eux, ou du moins sans l’un d’eux, nous n’en serions pas où nous sommes. Il n’y aurait plus d’armée huguenote. Il n’y aurait pas de fiançailles royales ce soir dans le Louvre. Grâce à cet homme, un vaste plan laborieusement échafaudé s’est écroulé. En sauvant Jeanne d’Albret, il nous a menacés, mes fils et moi, d’une ruine que toutes mes ressources pourront à peine conjurer. Mais ce n’est pas tout. Ce misérable se mêle de protéger quelqu’un qui est, dans ma vie, un obstacle terrible. Ce n’est pas tout. Par deux fois, il m’a bafouée. Lui et son père, je les hais, Maurevert, et je vous donne, en vous révélant cette haine, la plus grande preuve d’estime que j’aie jamais donnée à personne. Tuez-moi ces deux hommes et je vous crée comte…

Maurevert tressaillit.

– Je vous trouverai un comté à votre taille. Et en attendant, pour chacune de ces têtes, il y a cent mille livres: ce sera la dotation de votre comté.

– Ce sont donc de bien puissants personnages, madame?

– Ce sont deux misérables aventuriers. Mais, prenez-y garde, ces deux hommes sont de fer. On croit les avoir tués: ils reparaissent. On les brûle dans une maison, on les retrouve dans une autre. On les cerne, vingt épées se lèvent contre eux… Mais vous y étiez, Maurevert! Vous étiez à l’incendie du cabaret, vous étiez au siège de la rue Montmartre, vous étiez ici même lorsque j’ai été insultée, bafouée.

– Vous parlez des Pardaillan, madame! fit Maurevert en se redressant à son tour avec une sombre expression de haine.

– Vous les avez nommés! Ils sont maintenant…

– À l’hôtel de Montmorency, je le sais, madame. Car je suis ces deux hommes-là pas à pas. Eh bien, madame, je vais vous étonner: pour la vie de ces deux hommes, je ne veux ni de votre comté, ni de vos deux cents mille livres… et je donnerais moi-même jusqu’à la dernière goutte de mon sang pour les tenir un jour à ma merci et les étrangler de mes mains…

– Ah! ah! fit lentement Catherine. Il paraît que vous leur en voulez fort, mon bon Maurevert.

Maurevert posa son doigt sur sa joue droite.

Sur cette joue, une longue cicatrice apparaissait, livide, sous les couches de pâte.

– Joli coup de cravache, dit la reine avec sa terrible tranquillité. Vous en serez marqué toute la vie.

– Oui, madame, et j’ai déjà tué trois hommes pour avoir regardé en souriant cette cicatrice! Coup de cravache, ou coup d’épée…

– Coup de cravache! reprit la reine. Il est impossible de voir là un coup d’épée.

Maurevert grinça des dents. Mais se remettant presque aussitôt, il s’inclina:

– La reine me donne-t-elle congé?

– Allez monsieur. Et songez que si je suis bien servie, vous pourrez demander ce que vous voudrez sans craindre de trop demander.

Maurevert s’éloigna.

«Bon! songea la reine. Coligny. Les Pardaillan. Voyons maintenant où en est cette bonne Jeanne d’Albret.»

Elle s’assit dans le vaste fauteuil de cet oratoire sévère dont nous avons parlé, et qui attenait à ce somptueux cabinet dont nous avons également fait la description.

Peu à peu, les traits convulsés de Catherine se détendirent. Une expression de mélancolie rêveuse remplaça l’expression de haine. Elle saisit un petit miroir pour s’examiner, et quand elle se vit ce qu’elle voulait qu’elle fût, elle s’arrangea dans son fauteuil, prit une pose affaissée, ramena sur ses épaules le voile noir qui couvrait sa tête et s’en fit ainsi une sorte de cadre qui seyait merveilleusement à cette attitude et à cette mélancolie.

Alors seulement elle appela la suivante, et lui fit un signe.

Paola pénétra dans une pièce voisine, et de même qu’elle avait introduit Maurevert, elle introduisit cette fois un nouveau personnage, et s’éclipsa sans bruit.

Quant à Maurevert, il avait regagné les immenses salles où évoluaient dix mille invités. Sans que la fête battît encore son plein, il commençait déjà à régner dans cette foule ce laisser-aller qui dénote que la froideur première est passée.

Maurevert parcourut longtemps les salons, cherchant quelqu’un.

Il aperçut enfin un groupe nombreux de seigneurs qui paraissaient faire leur cour à un personnage qui, d’après l’attitude et le nombre des courtisans, ne pouvait être que le roi lui-même.

Ce n’était pas le roi, c’était Henri, duc de Guise.

Il portait avec une grâce hautaine un costume qui était une merveille de magnificence et de bon goût; la garde de son épée de parade étincelait de diamants; chacun des rubans de son pourpoint était fixé par une grosse perle; une agrafe de rubis et d’émeraudes supportait les plumes blanches de sa toque.

Tout cet étalage de bijoux, qui ferait sourire aujourd’hui, était considéré alors comme la preuve visible de la richesse. Aujourd’hui, les seigneurs en habit noir se contentent d’étaler cette preuve sur les épaules de leurs femmes; en sorte que les curieux en convoitant l’opulence du seigneur, convoitent du même coup sa femme.

Quoi qu’il en soit, Henri de Lorraine, duc de Guise, heureux, souriant, resplendissant de jeunesse, réellement magnifique, pouvait en cette soirée passer pour le cavalier le plus accompli de la cour de France. Il riait avec les siens des huguenots qui passaient en leurs costumes plus sévères.

Tout à coup, l’idée d’une excellente farce traversa sans doute son esprit. Car il se mit à rire plus nerveusement que jamais: Téligny, gendre de l’amiral, venait d’apparaître, donnant la main à sa femme, Louise de Coligny, alors dans tout l’éclat de sa beauté.

Guise la vit de loin. Il étouffa un soupir et pâlit légèrement. Puis, éclatant de rire, comme nous avons dit, il s’écria:

– Messieurs, une jolie comédie!… Approchez-vous, je vais vous expliquer cela.

Le cercle des courtisans se resserra, les têtes empreintes d’une curiosité outrée, les lèvres déjà rieuses à l’avance.

À ce moment, quelqu’un toucha Henri de Guise au bras. Le duc se retourna et vit Maurevert.

– Attendez-moi, messieurs, dit-il. Je reviens à l’instant, et nous allons combiner ensemble une petite mascarade dont il sera parlé! Vive Dieu! il faut bien amuser un peu MM. les huguenots!

Là-dessus, il se retira du cercle, suivi de Maurevert, et se réfugia dans l’embrasure d’une large fenêtre dont les rideaux le cachaient à demi.

– Eh bien, fit-il, que voulait-elle?

– Me donner l’ordre de tuer Coligny, dit brutalement Maurevert. Le duc tressaillit et murmura sourdement: