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Il parcourait le monde avec une curiosité passionnée, aimant la vie à la folie, aimant jusqu’à l’adoration tout ce qui lui semblait beau, et cherchant une excuse indulgente à ce qui lui paraissait laid. Non pas l’indulgence dédaigneuse du prétendu philosophe: il ignorait totalement la philosophie et l’art de hausser les épaules avec élégance. Tout simplement, il ne croyait pas que le mal fût une règle dans l’action humaine, mais une terrible nécessité. Il s’écartait donc sans emphatique pitié de ce qui lui semblait vilain au sens exact du mot, et cherchait à se rapprocher de ce qui apparaissait beau, c’est-à-dire de tout ce qui provoquait en lui une émotion bienfaisante.

De là venait que rarement une véritable colère le faisait bouillonner; il aimait mieux, selon un mot d’argot parisien très expressif, «se payer la tête» de quiconque le gênait. Lorsque la bataille s’offrait à lui, il se battait avec la simplicité fougueuse et l’ampleur sans emphase d’un qui est sûr de sa force.

Il était naïf. Une douleur entrevue même chez des inconnus lui serrait le cœur. Il rêvait de fabuleuses richesses pour étancher des larmes partout où il passerait. À défaut de richesses, il rêvait de parcourir le monde en aimant les opprimés, en frappant les oppresseurs. Il ne s’était jamais admiré soi-même. Mais il comprenait vaguement qu’il était exceptionnel et digne d’admiration. Il en résultait que parfois des bouffées d’ambitions montaient à son cerveau. L’ambition de quelque magnifique et glorieuse destinée.

Il calculait exactement sa valeur, et nous l’avons vu devant le roi, c’est-à-dire devant un être d’essence supérieure, tout voisin de la divinité, calme, paisible, railleur à son habitude, comme devant un égal. Et au fond de lui-même, il s’était effaré de n’avoir pas tremblé devant la majesté royale.

Lors donc qu’il se trouva seul, il n’éprouva pas le besoin de modifier son attitude. Il avait simplement dit à son père qu’il ne lui restait plus qu’à mourir, parce qu’il se jugeait incapable de surmonter l’amour qui avait pris possession de son cœur. Avec la même simplicité, il eût sangloté, s’il en eût éprouvé le besoin.

Tel était ce héros qui avait étonné Catherine de Médicis si difficile à étonner, qui avait conquis l’admiration de Jeanne d’Albret, qui avait souffleté de son rire le duc d’Anjou, qui s’était moqué du roi de France, qui avait battu sur tous les terrains le maréchal de Damville, et que le maréchal de Montmorency traitait en hôte royal.

Il était si pauvre qu’à part les trois mille écus rapinés par son père, il allait se trouver sans un sol du jour où il sortirait de cet hôtel. Et la question d’argent ne le préoccupa jamais, persuadé qu’il était que l’or est une chose plus facile à conquérir que l’estime de soi-même.

Sincère, naïf, moqueur, tendre, ouvert à toutes les émotions, fort comme Samson, élégant comme Guise, il passait dans la vie sans voir qu’il marchait dans une gloire.

Une fois seul, il ne maudit pas le maréchal et trouva que les choses étaient comme elles devaient être, puisque selon les idées de son temps – de tous les temps! – un gueux ne pouvait épouser une héritière d’immenses richesses.

Il maudit encore moins Loïse, et se contenta de murmurer avec une adorable naïveté:

– Quel malheur pour elle! Comment quelqu’un pourra-t-il jamais l’aimer comme je l’eusse aimée?… Pauvre Loïse!…

Et après quelques instants de réflexion:

– Je crois bien qu’il est impossible de souffrir plus que je ne souffre. Si cela devait durer huit jours, je deviendrais fou. Heureusement, tout va s’arranger. Cette nuit, nous sommes à Montmorency, demain, je rentre à Paris. Et alors, voyons… combien sont-ils?… Damville: rude épée. Ce d’Aspremont dont m’a parlé mon père. Les trois mignons. Ce Maurevert. Cela fait six. Je les provoque tous les six à la fois. C’est bien le diable si à eux tous, ils ne parviennent pas à me tuer. Allons, j’aurai de jolies funérailles!

À ce moment, une tête tiède se posa sur ses genoux.

Il baissa les yeux et vit que Pipeau s’était approché de lui, avait commodément installé sa tête et le regardait de ses grands yeux bruns, tendres, profonds, d’une belle humanité.

– Te voilà, toi? sourit-il joyeusement.

Pipeau jappa avec non moins de joie, répondant:

– Parfaitement! C’est moi! Moi! ton ami! Tu avais l’air de m’oublier, de ne pas plus penser à moi que si je n’étais pas ton ami le plus fidèle… fidèle jusqu’à la mort! Alors, je viens te dire: Bonjour comment ça va?…

Voilà ce que dit le chien.

Le chevalier posa sa main sur la tête du chien, et dit:

– Nous allons donc nous quitter, Pipeau? Ce m’est un grand chagrin. Je te dois beaucoup, sais-tu? Grâce à toi, je suis sorti de la Bastille, et puis, un jour que j’avais faim, tu as partagé avec moi, tu te rappelles? Et puis, toujours gai, tu me fus un si bon compagnon. Que deviendras-tu sans moi?… Car je vais partir pour ne plus jamais revenir, et je ne puis t’emmener là où je vais… Je pars, Pipeau, parce que je m’ennuie. Cela dit tout, je pense, et tu n’as pas besoin de plus longues explications.

Le chien avait écouté gravement.

Et sans doute, bien que le discours de son maître fut terminé, il continua à écouter ce que le chevalier pouvait se dire à lui-même, car ses yeux ne quittèrent pas les yeux du jeune homme, et le chien finit par pousser une plainte sourde.

– Pipeau! fit à ce moment le vieux Pardaillan qui entrebâilla la porte.

Le chien interrogea le chevalier, qui dit:

– Va.

– Je vais à la Devinière, puisque tu as des scrupules en ce qui regarde maître Landry, reprit le routier.

– Je vous accompagne, mon père.

– Non pas, mordiable. Le chien me suffira en cas d’attaque. Il pourra aussi me servir de courrier. Mais toi, ne bouge pas d’ici.

Le chevalier fit un geste d’acquiescement, et Pardaillan père s’éloigna, suivi du chien, heureux d’entreprendre seul la besogne d’exploration qu’il avait méditée. Car, sous prétexte d’aller à la Devinière payer les dettes de son fils, le routier voulait surtout s’assurer que l’hôtel n’était pas surveillé, qu’ils n’avaient pas été suivis, enfin, que le chevalier était en sûreté parfaite.

– Une fois à Montmorency, songeait-il, je le déciderai à me suivre, et du diable si je n’arrive pas à lui faire oublier toutes les Loïse du monde, et à oublier du coup son envie de mourir. Belle solution, ma foi!… À son âge, j’eusse enlevé la petite, voilà tout. Le monde dégénère…-D’ailleurs, qui sait si ma ruse ne va pas arranger les choses? C’est un tour de vieille guerre. J’en ai plus d’un dans mon sac… Allons, Pipeau, saute sur ton maître.

Pardaillan tendit son bras et le chien sauta, avec un aboiement sonore.

À quelque ruse? à quel tour faisait-il allusion?