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Oui, il rêve!… Il ne sait pas! Il ne veut pas savoir!…

Voici la porte ouverte! Voici le pont baissé!

Il s’élance! Il passe! La voiture roule. Ils sont au-delà du pont-levis qui déjà se relève! Ils sont hors Paris!…

Ils s’élancent vers des hauteurs verdoyantes qui doivent être les hauteurs de Montmartre!

Et comme ils viennent de franchir la porte, comme la porte, déjà s’est refermée, voici qu’arrivent une quinzaine de cavaliers, chevaux blancs d’écume, flancs éventrés par les éperons, faces humaines convulsées par la haine, la rage, la fureur…

C’est Damville! c’est Maurevert! Ils accourent, haletants. Le cheval de Damville s’abat, fourbu. Ensemble, ils vocifèrent:

– Ouvrez! Ouvrez! Ce sont des parpaillots!…

– Ce sont des messagers du roi! répond l’officier. Voici l’ordre!

– Ouvre! rugit Damville. Ouvre, ou par le sang du Christ…

– Gardes! tonne l’officier. Apprêtez vos armes!…

Damville recule…

Maurevert s’élance, un papier à la main:

– Messager de la reine! gronde-t-il. Ouvrez, officier!

– Passez, monsieur! Mais vous passerez seul! Arrière, les autres!…

Maurevert franchit la porte.

Damville lève ses deux poings au ciel, vomit une affreuse imprécation et tombe comme une masse…

* * * * *

Maurevert n’a pas menti; il est bien le messager de Catherine de Médicis. Après avoir cherché les Pardaillan partout où il pense pouvoir les trouver, il s’est rendu au Louvre, il a été introduit aussitôt dans l’oratoire où il a trouvé la reine à genoux au pied du grand christ massif.

– Vous voyez, a dit Catherine en se relevant, je prie pour l’âme de tous ceux qui meurent en ce jour…

– Priez-vous aussi pour celui-ci, madame? a répondu Maurevert de cette voix âpre, sauvage, qu’ils ont tous, toute notion humaine abolie, toute hiérarchie oubliée, toute étiquette rejetée.

Rudement, il a posé la tête de Coligny sur la table.

Catherine n’a pas eu un frisson… Elle n’a même pas pu pâlir, car elle apparaît avec un visage exsangue, pareille à un spectre ou à un vampire. Dans un souffle, elle a interrogé:

– Bême?…

– Mort!…

– Maurevert, portez cette tête à Rome et racontez là-bas ce que nous faisons ici!

– Je pars!

– Voici un laissez-passer. Voici de l’or. Courez. Volez. Pas un instant à perdre… Ah! prenez encore ceci!…

«Ceci», c’est un petit poignard qu’elle tend à Maurevert. Celui-ci secoue la tête en montrant sa forte dague:

– Je suis armé!

– Oui… mais ceci ne pardonne jamais!… jamais!…

Maurevert a tressailli. Il saisit l’arme qu’on lui offre… et qui, sans doute, sort de la fameuse vitrine de Ruggieri, le savant manipulateur de poisons!…

Il est parti!… Il a attaché la tête de Coligny à l’arçon de sa selle… Il est parti… rêvant de faire sa fortune à Rome, puis de revenir en France frapper Pardaillan avec le petit poignard qui jamais ne pardonne… Il a traversé la Seine… Et comme il se dirige vers la porte du faubourg de Grenelle, des hommes d’armes passent près de lui, dans le tumulte de la tuerie… des hommes qui fuient! Il les a reconnus! Ce sont des gens de Damville!…

Damville! Montmorency! Pardaillan!

Les trois noms se heurtent dans sa tête! Il se rue vers l’hôtel Montmorency! Impuissant, ivre de rage, il assiste à l’explosion, à la retraite épique de Pardaillan jetant son père sur ses épaules comme Énée autrefois Anchise, et l’emportant à travers la fournaise…

Puis il a rassemblé quelques cavaliers, il a secoué Damville, tous ont fait le tour de la forteresse embrasée, se sont lancés sur les traces de la voiture qui vole devant eux parmi les cadavres, faisant gicler le sang sous ses roues, dans le hurlement énorme des foules qui s’ouvrent éperdues de terreur devant le cavalier qui bondit sur son cheval sans selle!…

Maurevert, enfin, a franchi la même porte que Pardaillan…

En même temps que Maurevert, un être s’est glissé, s’est précipité, que nul n’a songé à retenir: ce n’est qu’un chien!

Pipeau!…

Pipeau qui a suivi son maître à la piste, et qui maintenant s’élance.

Hors la porte, Maurevert s’est arrêté un instant. Où sont-ils passés? Par où ont-ils fui? Oh! il les retrouvera! Il les suivra jusqu’en enfer!…

Mais par où passer? Là?… Vers ces hauteurs vertes?… Qu’est cela?… Ah! oui… la colline de Montmartre.

Enfer! Par où ont-ils fui?

Ah! ce chien qui s’élance!… Mais c’est son chien! Le chien de Pardaillan!… Le nez à terre, il cherche, souffle… le voici qui dresse le nez… Cherche! cherche!…

Il a trouvé la piste!…

Pipeau est parti comme un trait…

Et Maurevert enfonçant ses éperons dans le ventre de son cheval, a bondi sur les traces de Pipeau!…

Laissez passer le messager de la reine!…

* * * * *

Une fois hors de Paris, Pardaillan a poussé son cheval droit devant lui. La voiture le suit. Ils traversent une plaine. Ils montent une côte.

Une colline boisée par places de hêtres et de châtaigniers. Puis des champs, de larges champs couverts d’épis dorés. Au milieu de ces champs, un homme appuyé sur sa faucille, un moissonneur qui a interrompu son travail pour contempler d’un œil étonné Paris qui apparaît au bas de la côte, par delà la plaine, dans un crépuscule rouge.

Pardaillan passe à côté du paysan qui, dans la sérénité de la soirée d’août, paisible, un peu étonné seulement, travaille parmi les épis dont les souffles du soir font onduler les têtes blondes. Et près de ce carnage, près de la ville dévastée, c’est une saisissante vision de paix profonde, d’immuable tranquillité…

Mais ni Pardaillan ni Montmorency ne voient rien – paysans, vergers, champs de blés qu’on moissonne…

– Hé, messieurs, crie le paysan, que se passe-t-il dans la ville! Bon Dieu! quels cris! quels tintements de cloches! que de feux! Est-ce donc une grande fête?…

Déjà Pardaillan et Montmorency sont passés. Ils n’ont pas répondu; pas entendu, peut-être!

– Des feux de joie, reprend le paysan. En voilà, des feux de joie! Et quels carillons! Et quelles acclamations!… Mais de qui donc ça peut-il être la fête?…