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– Vous plaisantez? éclata Anita. Ils l'ont licencié, et le mec vient déménager leurs affaires le jour de la fugue d'Alice?

– Le cabinet Huyslens et Hammer affirme qu'ils ont sévèrement réprimandé leur chef du personnel qui n'avait pas exécuté leurs ordres quant au renvoi ferme et définitif de l'individu…

Anita faillit se lever, aspirée par une trombe de rage. Elle se contrôla et jeta deux rayons lasers hautement destructeurs droit dans les yeux de l'ennemi.

– Écoutez-moi, monsieur Hans Machin-Chose (elle avait oublié son nom et elle vit le commissaire se figer sur son fauteuil) je vais vous demander une seule chose: Qui ne veut pas qu'une enquête soit ouverte sur les Kristensen? Qui veut à tout prix écraser le coup? Qu'est-ce qu'il se passe ici, enfin… Quoi, notre métier c'est de stopper les criminels oui ou non? Qu'est-ce que vous attendez, hein? Un autre flic mort, une petite fille enlevée ou assassinée?.

Sa voix venait de largement dépasser le seuil de décibels autorisé. Elle se retourna vers le commissaire qui lui fit comprendre qu'il ne pourrait pas grand-chose pour la tirer de là maintenant.

Le jeune yuppie avait un sourire vaguement apitoyé aux coins des lèvres.

Le juge Van der Heed semblait dubitatif. Le genre à se demander si elle n'avait pas besoin de vacances… Bon sang, mais qu'est-ce qui lui avait pris d exploser comme ça, au moment crucial? En désespoir de cause elle se tourna vers le gros flic aux allures de viking empâté.

– Monsieur le commissaire, lança-t-elle sur un ton qu'elle voulait froid et professionnel, le seul qui marchait avec lui, nous devons arrêter de nous voiler la face. Markens était en relation avec les Kristensen. L'Indonésien aussi. Ces hommes ont ouvert le feu sur des policiers, en ont tué un, blessé un autre et l'un d'entre eux est mort… ne me dites pas que nous ne pouvons rien faire d'autre que la simple citation à comparaître pour témoignage que nous venons de lancer…

Le commissaire la fixa un bon moment, jeta un bref coup d'œil au yuppie et se tourna vers Van der Heed:

– Hendrick? Je crois que nous devons considérer les choses intelligemment et objectivement. Je crois qu'il y a quelque chose de véritablement suspect là-dedans. Je comprends que l'on doive prendre des précautions avec le droit des citoyens, mais là, Hendrick, vraiment…

Alice comprit que Hassle exerçait une influence énorme sur Van der Heed, qu'il avait dû le conseiller maintes fois par le passé, et avec l'acuité d'une lame de rasoir.

Le juge se pencha en avant:

– Qu'est-ce que vous voulez, Will? Je vous ai déjà posé la question, j'entends par là: qu'est-ce que vous voulez de raisonnable?

Anita comprit que cela lui était destiné. Inutile de penser à une inculpation ou un mandat de recherche international pour organisation d'assassinat, kidnapping, ou autres délires qui avaient pu germer dans la cervelle d'une jeune idiote.

Le commissaire demanda que l'instruction couvre tous les domaines de l'affaire et que l'on puisse envoyer des inspecteurs hors des frontières pour interroger le couple Kristensen-Brunner.

D'autre part, et cela ne dépendait que de lui, dès demain, il demanderait qu'une recherche dans l'intérêt des familles soit envoyée sur tout le territoire européen, pour Alice Kristensen, et tout de suite, en priorité, pour l'Allemagne et la Belgique, voies de passage obligées vers le sud.

D'autre part, et pour terminer, il demanda qu'Anita continue d'avoir la charge de l'affaire.

Le juge la fixa un instant droit dans les yeux. Le jeune yuppie regardait la scène, sans donner l'impression que cela l'intéressait encore d'une manière quelconque.

Le juge consentit à délivrer une convocation pour le territoire de la Communauté. Pour la Suisse, il faudrait un petit délai…

À côté d'elle, elle put décrypter le sourire du yuppie blond. Ce n'est qu'un jeu, lisait-elle clairement dans son regard. Ce qui compte c'est de progresser dans les arcanes du pouvoir en assurant ses arrières…

Un jeune arriviste sorti d'une École de droit, pistonné dans les étages supérieurs du bureau du procureur, et qui ne lâcherait pas facilement prise, maintenant qu'il avait les crocs plantés dans le cuir et la ronce de noyer.

Anita lui aurait volontiers enfoncé le canon de son automatique dans la gorge.

Elle bouillonnait tellement et ses efforts étaient intenses pour contrôler sa rage et son impatience qu'elle ne reprit vraiment conscience que plus tard, plantée dans l'ascenseur. Alors que le jeune yuppie appuyait sur le bouton du rez-de-chaussée, sans même lui demander où elle allait.

– Je m'arrête au premier, laissa-t-elle tomber, glaclale.

L'homme s'exécuta illico, l'air gêné, marmonnant une excuse inintelligible, pris en faute d'inélégance et de manque de savoir-vivre élémentaire.

Anita savoura sa victoire et sortit sans lui jeter le moindre regard. au premier étage de la ruche bourdonnante.

Elle fit tout pour l'oublier dans la seconde, le laissant seul dans sa cabine métallique. Elle l'avait déjà fait lorsqu'elle ouvrit la porte du bureau de Peter Spaak.

Elle conservait l'enquête, mais pour le reste, ce qu'elle ramenait n'était pas très brillant. Une forme de désespoir actif se répandait dans ses veines.

Qu'ils aillent se faire foutre! Elle irait jusqu'au bout, maintenant. Elle fit face à Peter Spaak, qui la fixait, médusé, derrière son bureau, la canette de bière suspendue à mi-chemin des lèvres.

Elle comprit qu'elle était ébouriffée, magnétisé par la colère, ses yeux devaient lancer dans l'air des éclairs presque palpables.

Elle regarda le jeune flic et lui envoya un sourire désabusé. Elle se posta devant la fenêtre, observant la nuit derrière les vitres. Il fallait désormais reprendre la suite des opérations.

Quelque part, dans la nuit, il y avait Alice. Et vraisemblablement des hommes armés qui la pourchassaient.

Elle ne savait plus vraiment par où commencer. Si. Elle savait une chose. Alice ferait tout pour rejoindre son père, quelque part à l'extrême sud de l'Europe.

Au Portugal.

Alice était là, dans le trou noir de la nuit, entre Amsterdam et l'Algarve.

Elle était seule. Et elle avait sûrement peur.

*

Alice n'était pas seule.

Et il fallait bien l'avouer elle n'avait plus vraiment peur.

Maintenant que l'homme (Hugo, corrige a-t-elle intérieurement) traversait le village et s'enfonçait dans la campagne flamande, maintenant qu'elle avait un peu le temps de le détailler et de s'habituer à sa présence, elle n'arrivait toujours pas à percer le mystère qui recouvrait sa personnalité. Elle n'osa cependant pas le questionner une nouvelle fois.

Elle s'aperçut qu'il cherchait son chemin sur une carte qu'il avait dépliée sur le siège du passager. Il semblait calme et roulait à la vitesse réglementaire. Il étudiait la carte régulièrement, à chaque carrefour, ou à chaque village traversé.

Elle finit par somnoler doucement, bercée par le bruit régulier et les vibrations ouatées de la voiture. Une fois de plus elle remonta la couverture aux tons rouge et orange jusqu'aux épaules.

Elle s'endormit, la joue collée au cuir de la banquette et, ayant atteint le sommeil paradoxal, elle fit un rêve.

Très vite, elle se retrouva au premier étage de la maison.

Elle marchait à l'extérieur de sa chambre et des voix lui parvenaient du salon, au rez-de-chaussée.

Sa mère fit brusquement irruption hors de sa salle de bains, emmitouflée dans un peignoir blanc. Sa chevelure blonde était pourtant parée comme lors d'une grande fête de fin d'année. Relevée en un chignon sophistiqué et vertigineux, recouvert d'ornement divers, scintillants et tintinnabulants. La maison n'était plus qu'un lointain décor blanc, la vague image de la volée de marches de marbre se trouvait partout à la fois, derrière et devant elle, sur les côtés également.