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Une haute allée d’ormes, arrondie en berceau et taillée à la vieille mode, se présentait d’abord à vous; et, après l’avoir suivie quelque temps, on débouchait dans une espèce de rond-point.

Ces arbres avaient plutôt l’air surannés que vieux; ils paraissaient avoir des perruques et être poudrés à blanc; on ne leur avait réservé qu’une petite houppe de feuillage au sommet de la tête; tout le reste était soigneusement émondé, en sorte qu’on les eût pris pour des plumets démesurés plantés en terre de distance en distance.

Après avoir traversé le rond-point, couvert d’une herbe fine soigneusement foulée au rouleau, il fallait encore passer sous une curieuse architecture de feuillage ornée de pots-à-feu, de pyramides et de colonnes d’ordre rustique, le tout pratiqué à grand renfort de ciseaux et de serpes dans un énorme massif de buis. – Par différentes échappées on apercevait, à droite et à gauche, tantôt un château de rocaille à demi ruiné, tantôt l’escalier rongé de mousse d’une cascade tarie, ou bien un vase ou une statue de nymphe et de berger le nez et les doigts cassés, avec quelques pigeons perchés sur les épaules et sur la tête.

Un grand parterre, dessiné à la française, s’étendait devant le château; tous les compartiments étaient tracés avec du buis et du houx dans la plus rigoureuse symétrie; cela avait bien autant l’air d’un tapis que d’un jardin: de grandes fleurs en parure de bal, le port majestueux et la mine sereine, comme des duchesses qui s’apprêtent à danser le menuet, vous faisaient au passage une légère inclination de tête. D’autres, moins polies apparemment, se tenaient raides et immobiles, pareilles à des douairières qui font tapisserie. Des arbustes de toutes les formes possibles, si l’on en excepte toutefois leur forme naturelle, ronds, carrés, pointus, triangulaires, avec des caisses vertes et grises, semblaient marcher professionnellement au long de la grande allée, et vous conduire par la main jusqu’aux premières marches du perron.

Quelques tourelles, à demi engagées dans des constructions plus récentes, dépassaient la ligne de l’édifice de toute la hauteur de leur éteignoir d’ardoises, et leurs girouettes de tôle taillées en queue d’aronde témoignaient d’une assez honorable antiquité. Les fenêtres du pavillon du milieu donnaient toutes sur un balcon commun orné d’une balustrade de fer extrêmement travaillée et d’une grande richesse, et les autres étaient entourées de cadres de pierre avec des chiffres et des nœuds sculptés.

Quatre à cinq grands chiens accoururent en aboyant à pleine gueule et en faisant des cabrioles prodigieuses. Ils gambadaient autour des chevaux et leur sautaient au nez: ils firent surtout fête au cheval de mon camarade, à qui probablement ils allaient souvent rendre visite dans l’écurie, ou qu’ils accompagnaient à la promenade.

À tout ce tapage, arriva enfin une espèce de valet, l’air moitié laboureur, moitié palefrenier, qui prit nos bêtes par la bride et les emmena. – Je n’avais pas encore vu âme qui vive, si ce n’est une petite paysanne effarée et sauvage comme un daim, qui s’était sauvée à notre aspect et tapie dans un sillon, derrière du chanvre, quoique nous l’eussions appelée à plusieurs reprises, et que nous eussions fait notre possible pour la rassurer.

Personne ne paraissait aux fenêtres; on eût dit que le château était inhabité, ou du moins ne l’était que par des esprits; car le moindre bruit ne transpirait pas au-dehors.

Nous commencions à monter les premières marches du perron, en faisant sonner nos éperons, car nous avions les jambes un peu alourdies, lorsque nous entendîmes à l’intérieur comme un bruit de portes ouvertes et fermées, comme si quelqu’un se hâtait à notre rencontre.

En effet, une jeune femme parut sur le haut de la rampe, franchit en un bond l’espace qui la séparait de mon compagnon, et se jeta à son cou. Celui-ci l’embrassa très affectueusement, et, lui mettant le bras autour de la taille, il l’enleva presque et la porta ainsi jusqu’au palier.

– Savez-vous que vous êtes bien aimable et bien galant pour un frère, mon cher Alcibiade? – N’est-ce pas, monsieur, qu’il n’est pas tout à fait inutile que je vous avertisse que c’est mon frère, car en vérité il n’en a pas trop les façons? dit la jeune belle en se retournant de mon côté.

À quoi je répondis qu’on s’y pouvait méprendre, et que c’était en quelque sorte un malheur que d’être son frère et de se trouver ainsi exclu de la catégorie de ses adorateurs; que pour moi, si je l’étais, je deviendrais à la fois le plus malheureux et le plus heureux cavalier de la terre. – Ce qui la fit doucement sourire.

Tout en causant ainsi, nous entrâmes dans une salle basse dont les murs étaient décorés d’une tapisserie de haute lisse de Flandre. – De grands arbres à feuilles aiguës y soutenaient des essaims d’oiseaux fantastiques; les couleurs altérées par le temps produisaient de bizarres transpositions de nuances; le ciel était vert, les arbres bleu de roi avec des lumières jaunes et dans les draperies des personnages l’ombre était souvent d’une couleur opposée au fond de l’étoffe; – les chairs ressemblaient à du bois, et les nymphes qui se promenaient sous les ombrages déteints de la forêt avaient l’air de momies démaillotées; leur bouche seule, dont la pourpre avait conservé sa teinte primitive, souriait avec une apparence de vie. Sur le devant, se hérissaient de hautes plantes d’un vert singulier avec de larges fleurs panachées dont les pistils ressemblaient à des aigrettes de paon. Des hérons à la mine sérieuse et pensive, la tête enfoncée dans les épaules, leur long bec reposant sur leur jabot rebondi, se tenaient philosophiquement debout sur une de leurs maigres pattes, dans une eau dormante et noire, rayée de fils d’argent ternis; par les échappées du feuillage, on voyait dans le lointain de petits châteaux avec des tourelles pareilles à des poivrières et des balcons chargés de belles dames en grands atours qui regardaient passer des cortèges ou des chasses.

Des rocailles capricieusement dentelées, d’où tombaient des torrents de laine blanche, se confondaient au bord de l’horizon avec des nuages pommelés.

Une des choses qui me frappèrent le plus, ce fut une chasseresse qui tirait un oiseau. – Ses doigts ouverts venaient de lâcher la corde, et la flèche était partie, mais, comme cet endroit de la tapisserie se trouvait à une encoignure, la flèche était de l’autre côté de la muraille et avait décrit un grand crochet; pour l’oiseau, il s’envolait sur ses ailes immobiles et semblait vouloir gagner une branche voisine.

Cette flèche empennée et armée d’une pointe d’or, toujours en l’air et n’arrivant jamais au but, faisait l’effet le plus singulier, était comme un triste et douloureux symbole de la destinée humaine, et plus je la regardais, plus j’y découvrais de sens mystérieux et sinistres. – La chasseresse était là, debout, le pied tendu en avant, le jarret plié, son œil aux paupières de soie tout grand ouvert et ne pouvant plus voir sa flèche déviée de son chemin: et semblait chercher avec anxiété le phénicoptère aux plumes bigarrées qu’elle voulait abattre et qu’elle s’attendait à voir tomber devant elle percé de part en part. – Je ne sais si c’est une erreur de mon imagination, mais je trouvais à cette figure une expression aussi morne et aussi désespérée que celle d’un poète qui meurt sans avoir écrit l’ouvrage sur lequel il comptait pour fonder sa réputation, et que le râle impitoyable saisit au moment où il essaye de le dicter.