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Ô vieux monde! tout ce que tu as révéré est donc méprisé; tes idoles sont donc renversées dans la poussière; de maigres anachorètes vêtus de lambeaux troués, des martyrs tout sanglants et les épaules lacérées par les tigres de tes cirques se sont juchés sur les piédestaux de tes dieux si beaux et si charmants: – le Christ a enveloppé le monde dans son linceul. Il faut que la beauté rougisse d’elle-même et prenne un suaire. – Beaux jeunes gens aux membres frottés d’huile qui luttez dans le lycée ou le gymnase, sous le ciel éclatant, au plein soleil de l’Attique, devant la foule émerveillée; jeunes filles de Sparte qui dansez la bibase, et qui courez nues jusqu’au sommet du Taygète, reprenez vos tuniques et vos chlamydes: – votre règne est passé. Et vous, pétrisseurs de marbre, Prométhées du bronze, brisez vos ciseaux: – il n’y aura plus de sculpteurs. – Le monde palpable est mort. Une pensée ténébreuse et lugubre remplit seule l’immensité du vide. – Cléomène va voir chez les tisserands quels plis fait le drap ou la toile.

Virginité, plante amère, née sur un sol trempé de sang, et dont la fleur étiolée et maladive s’ouvre péniblement à l’ombre humide des cloîtres, sous une froide pluie lustrale; – rose sans parfum et toute hérissée d’épines, tu as remplacé pour nous les belles et joyeuses roses baignées de nard et de falerne des danseuses de Sybaris!

Le monde antique ne te connaissait pas, fleur inféconde; jamais tu n’es entrée dans ses couronnes aux odeurs enivrantes; – dans cette société vigoureuse et bien portante, on t’eût dédaigneusement foulée aux pieds. – Virginité, mysticisme, mélancolie, – trois mots inconnus, – trois maladies nouvelles apportées par le Christ. – Pâles spectres qui inondez notre monde de vos larmes glacées, et qui, le coude sur un nuage, la main dans la postent, dites pour toute parole: Ô mort! ô mort! vous n’auriez pu mettre le pied sur cette terre si bien peuplée de dieux indulgents et folâtres!

Je considère la femme, à la manière antique, comme une belle esclave destinée à nos plaisirs. – Le christianisme ne l’a pas réhabilitée à mes yeux. C’est toujours pour moi quelque chose de dissemblable et d’inférieur que l’on adore et dont on joue, un hochet plus intelligent que s’il était d’ivoire ou d’or, et qui se relève lui-même si on le laisse tomber à terre. – On m’a dit, à cause de cela, que je pensais mal des femmes; je trouve, au contraire, que c’est en penser fort bien.

Je ne sais pas, en vérité, pourquoi les femmes tiennent tant à être regardées comme des hommes. – Je conçois que l’on ait envie d’être serpent boa, lion ou éléphant; mais que l’on ait envie d’être homme, c’est ce qui me passe tout à fait. Si j’avais été au concile de Trente quand s’y agita cette importante question, à savoir si la femme est un homme, j’aurais assurément opiné pour la négative.

J’ai fait en ma vie quelques vers amoureux ou du moins qui avaient la prétention de passer pour tels. – Je viens d’en relire une partie. Le sentiment de l’amour moderne y manque totalement. – Si cela était écrit en distiques latins au lieu d’être en rimes françaises, on le pourrait prendre pour l’œuvre d’un mauvais poète du temps d’Auguste. Et je m’étonne que les femmes, pour qui ils étaient faits, au lieu d’en être fort charmées, ne s’en soient pas fâchées sérieusement. – Il est vrai que les femmes ne s’entendent pas plus en poésie que les choux et les roses, ce qui est très naturel et très simple, étant elles-mêmes la poésie ou tout au moins les meilleurs instruments de poésie: la flûte n’entend ni ne comprend l’air que l’on joue sur elle.

Dans ces vers, il n’est parlé que de l’or ou de l’ébène des cheveux, de la finesse miraculeuse de la peau, de la rondeur du bras, de la petitesse des pieds et de la forme délicate de la main, et le tout se termine par une humble supplique à la divinité d’octroyer au plus vite la jouissance de toutes ces belles choses. – Aux endroits triomphants, ce ne sont que guirlandes suspendues au seuil, pluies de fleurs, parfums brûlés, addition de baisers catullienne, nuits blanches et charmantes, querelles à l’Aurore, avec injonctions à la susdite Aurore de retourner se cacher derrière les rideaux de safran du vieux Tithon; – c’est un éclat sans chaleur, une sonorité sans vibration. – Cela est exact, poli, fait avec une égale curiosité; mais, à travers tous les raffinements et les voiles de l’expression, on devine la voix brève et dure du maître qui tâche de s’adoucir en parlant à l’esclave. – Ce n’est point, comme dans les poésies érotiques faites depuis l’ère chrétienne, une âme qui demande à une autre âme de l’aimer, parce qu’elle l’aime; ce n’est point un lac azuré et souriant qui invite un ruisseau à se fondre dans son sein pour refléter ensemble les étoiles du ciel; – ce n’est point un couple de colombes ouvrant les ailes en même temps pour voler au même nid. Cinthia, vous êtes belle; hâtez-vous. Qui sait si vous vivrez demain? – Votre chevelure est plus noire que la peau lustrée d’une vierge éthiopienne. Hâtez-vous; dans quelques années d’ici, de minces fils d’argent se glisseront dans ces touffes épaisses; – ces roses sentent bon aujourd’hui, demain elles auront l’odeur de la mort et ne seront plus que des cadavres de roses. – Respirons tes roses tant qu’elles ressemblent à tes joues; embrassons tes joues tant qu’elles ressemblent à tes roses. – Lorsque vous serez vieille, Cinthia, personne ne voudra plus de vous, pas même les valets du licteur quand vous les payeriez, et vous courrez après mot que vous rebutez maintenant. Attendez que Saturne ait rayé de son ongle ce front pur et luisant, et vous verrez comme votre seuil si assiégé, si supplié, si tiède de larmes et si fleuri sera évité, maudit, couvert d’herbes et de ronces. – Hâtez-vous, Cinthia; la plus petite ride peut servir de fosse au plus grand amour.

C’est dans cette formule brutale et impérieuse que se résume toute l’élégie antique: elle en revient toujours là; c’est sa plus grande raison, c’est le plus fort, c’est l’Achille de ses arguments. Après cela elle n’a plus grand-chose à dire, et, quand elle a promis une robe de byssus teint deux fois et une union de perles d’égale grosseur, elle est au bout de son rouleau. – C’est aussi à peu près tout ce que je trouve de plus concluant en pareille occurrence. – Je ne m’en tiens cependant pas toujours à ce programme assez exigu, et je brode mon maigre canevas avec quelques fils de soie de différentes couleurs arrachés çà et là. Mais ces brins sont courts ou renoués vingt fois et tiennent mal au fond de la trame. Je parle assez élégamment d’amour, parce que j’ai lu beaucoup de belles choses là-dessus. Il ne faut pour cela que le talent d’un acteur. Avec beaucoup de femmes, cette apparence suffit; l’habitude d’écrire et d’imaginer fait que je ne reste pas à court sur ces matières, et tout esprit un peu exercé, en s’appliquant, parviendra aisément à ce résultat; mais je ne sens pas un mot de ce que je dis, et je répète tout bas comme le poète antique: – Cinthia, hâtez-vous.

On m’a accusé souvent d’être fourbe et dissimulé. – Personne au monde n’aimerait autant que moi à parler franchement et à vider son cœur! – mais, comme je n’ai pas une idée et un sentiment pareils à ceux des gens qui m’entourent, – comme, au premier mot vrai que je lâcherais, ce serait un hurrah et un tollé général, j’ai préféré garder le silence, ou, si je parle, ne dégorger que des sottises reçues et ayant droit de bourgeoisie. – Je serais bienvenu, si je disais aux dames ce que je viens de t’écrire! je ne pense pas qu’elles goûteraient beaucoup ma manière de voir et mes façons d’envisager l’amour. – Pour les hommes, je ne peux pas non plus leur dire en face qu’ils ont tort de ne pas aller à quatre pattes; et, en vérité, c’est ce que je pense de plus favorable à leur égard. – Je n’ai pas envie de me faire une querelle à chaque mot. – Qu’importe, au bout du compte, ce que je pense ou ce que je ne pense pas; que je sois triste lorsque je semble gai, joyeux quand j’ai l’air mélancolique? On ne trouve pas à redire à ce que je n’aille pas nu: ne puis-je habiller ma figure comme mon corps? Pourquoi un masque serait-il plus répréhensible qu’une culotte, et un mensonge qu’un corset?