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Lou paire es ana rebrounda

E, pèr vendre lou jardinage,

La maire es anado au village,

E Jejè rèsto pèr garda.

Et puis Paulon, et puis le Pauvre, et Madeleine et Louisette, une vraie éclosion de fleurs d’avril, de fleurs de prés, fleurs annonciatrices du printemps félibréen qui me ravirent de plaisir et je m’écriai:

– Voilà l’aube que mon âme attendait pour s’éveiller à la lumière!

J’avais bien, jusque-là, lu à bâtons rompus un peu de provençal; mais, ce qui m’ennuyait, c’était de voir notre langue, chez les écrivains modernes (à l’exception de Jasmin et du marquis de Lafare – que je ne connaissais pas), employée, en général, comme on eût dit par dérision. Et Roumanille, beau premier, dans le parler populaire des Provençaux du jour, chantait, lui, dignement, sous une forme simple et fraîche, tous les sentiments du cœur.

En conséquence, et nonobstant une différence d’âge d’une douzaine d’années (Roumanille était né en 1818), lui, heureux de trouver un confident de sa Muse tout préparé pour le comprendre, moi, tressaillant d’entrer au sanctuaire de mon rêve, nous nous donnâmes la main, tels que des fils du même Dieu, et nous liâmes amitié sous une étoile si heureuse que, pendant un demi-siècle, nous avons marché ensemble pour la même œuvre ethnique, sans que notre affection ou notre zèle se soient ralentis jamais.

Roumanille avait donné ses premiers vers au Boui-A baisso, un journal provençal que Joseph Désanat publiait à Marseule une fois par semaine et qui, pour les trouvères de cette époque-là, fut un foyer d’exposition. Car la langue du terroir n’a jamais manqué d’ouvriers; et principalement au temps du Boui-A baisso (1841-1846), il y eut devers Marseille un mouvement dialectal qui, n’aurait-il rien fait que maintenir l’usage d’écrire en provençal, mérite d’être salué.

De plus, nous devons reconnaître que des poètes populaires, tels que le valeureux Désanat de Tarascon, tels que Bellot, Chailan, Bénédit et Gelu, Gelu éminemment, qui ont à leur manière exprimé la gaillardise du gros rire marseillais, n’ont pas été depuis, pour ces sortes d’atellanes, remplacés ni dépassés. Et Camille Reybaud, un poète de Carpentras, mais poète de noble allure, dans une grande épître qu’il envoyait à Roumanille, tout en désespérant du sort du provençal délaissé par les imbéciles qui, disait-il:

Laissent, pour imiter les messieurs de la ville, – aux sages pères-grands notre langue trop vile – et nous font du français, qu’ils estropient à fond, – de tous les patois le plus affreux peut-être.

Reybaud semblait pressentir la renaissance qui couvait; lorsqu’il faisait cet appel aux rédacteurs du Boui-A baisso:

Quittons-nous: mais avant de nous séparer, – frères, contre l’oubli songeons de nous défendre; – tous ensemble faisons quelque œuvre colossale, – quelque tour de Babel en brique provençale; – au sommet, en chantant, gravez ensuite votre nom, – car vous autres, amis, êtes dignes de renommée! – Moi qu’un grain d’encens étourdit et enivre, – qui chante pour chanter comme fait la cigale – et qui n’apporterais, pour votre monument, – qu’une pincée de gravier et de mauvais ciment, je creuserai pour ma muse un tombeau dans le sable; – et quand vous aurez fini votre œuvre impérissable, – si, des hauteurs de votre ciel si bleu, vous regardez en bas, frères, vous ne me verrez plus.

Seulement, imbus de cette idée fausse que le parler du peuple n’était bon qu’à traiter des sujets bas ou drolatiques, ces messieurs n’avaient cure ni de le nettoyer, ni de le réhabiliter.

Depuis Louis XIV, les traditions usitées pour écrire notre langue s’étaient à peu près perdues. Les poètes méridionaux avaient, par insouciance ou plutôt par ignorance, accepté la graphie de la langue française. Et à ce système-là qui, n’étant pas fait pour lui, disgraciait en plein notre joli parler, chacun ajoutait ensuite ses fantaisies orthographiques à tel point que les dialectes de l’idiome d’Oc, à force d’être défigurés par l’écriture, paraissaient complètement étrangers les uns aux autres.

Roumanille, en lisant à la bibliothèque d’Avignon les manuscrits de Saboly, fut frappé du bon effet que produisait notre langue, orthographiée là selon le génie national et d’après les usages de nos vieux Troubadours. Il voulut bien, si jeune que je fusse, prendre mon sentiment pour rendre au provençal son orthographe naturelle; et, d’accord tous les deux sur le plan de réforme, on partit hardiment de là pour muer ou changer de peau. Nous sentions instinctivement que, pour l’œuvre inconnue qui nous attendait au loin, il nous fallait un outil léger, un outil frais émoulu.

L’orthographe n’était pas tout. Par esprit d’imitation et par un préjugé bourgeois qui, malheureusement, descend toujours davantage, l’on s’était accoutumé à délaisser comme «grossiers» les mots les plus grenus du parler provençal. Par suite, les poètes précurseurs des félibres, même ceux en renom, employaient communément, sans aucun sens critique, les formes corrompues, bâtardes, du patois francisé qui court les rues. Ayant donc Roumanille et moi, considéré qu’à tant faire que d’écrire nos vers dans le langage du peuple, il fallait mettre en lumière, il fallait faire valoir l’énergie, la franchise, la richesse d’expression qui la caractérisent, nous convînmes d’écrire la langue purement et telle qu’on la parle dans les milieux affranchis des influences extérieures. C’est ainsi que les Roumains, comme nous le contait le poète Alexandre, lorsqu’ils voulurent relever leur langue nationale, que les classes bourgeoises avaient perdue ou corrompue, allèrent la rechercher dans les campagnes et les montagnes chez les paysans les moins cultivés.

Enfin, pour conformer le provençal écrit à la prononciation générale en Provence, on décida de supprimer quelques lettres finales ou étymologiques tombées en désuétude, telles que l’S du pluriel, le T des participes, l’R des infinitifs et le CH de quelques mots, tels que fach, dich, puech, etc.

Mais qu’on n’aille pas croire que ces innovations, bien qu’elles n’eussent de rapport qu’avec un cercle restreint des poètes «patois» comme on disait alors, se fussent introduites dans l’usage commun, sans combat ni résistance. D’Avignon à Marseille, tous ceux qui écrivaient ou rimaillaient dans la langue, contestés dans leur routine ou leur manière d’être, soudain se gendarmèrent contre les réformateurs. Une guerre de brochures et d’articles venimeux, entre les jeunes d’Avignon et nos contradicteurs, dura plus de vingt ans.

A Marseille, les amateurs de trivialités, les rimeurs à barbe blanche, les jaloux, les grognons, se réunissaient le soir dans l’arrière-boutique du bouquiniste Boy pour y gémir amèrement sur la suppression des S et aiguiser les armes contre les novateurs. Roumanille, vaillamment et toujours sur la brèche, lançait aux adversaires le feu grégeois que nous apprêtions, un peu l’un, un peu l’autre, dans le creuset du Gai-Savoir. Et comme nous avions pour nous, outre les bonnes raisons, la foi, l’enthousiasme, l’entrain de la jeunesse, avec quelque autre chose, nous finîmes par rester, ainsi que vous verrez plus tard, maîtres du champ de bataille.

……………

Dans la cour, une après-midi où, avec les camarades, nous jouions aux trois sauts, entra et s’avança dans notre groupe un nouveau pensionnaire aux fines jambes, le nez à l’Henri IV, le chapeau sur l’oreille, l’air quelque peu vieillot et dans la bouche un bout de cigare éteint. Et les mains dans les poches de sa veste arrondie, sans plus de façons que s’il était des nôtres: