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Lorsque enfin la procession, avec son suisse en tête, de rouge tout vêtu, avec ses théories de vierges voilées de blanc, ses congrégations, ses frères, ses moines, ses abbés, ses chœurs et ses musiques, s’égrenait lentement au battement des tambours, vous entendiez, au passage, le murmure des dévotes qui récitaient leur rosaire.

Puis, dans un grand silence, agenouillés ou inolinés, tous se prosternaient à la fois, et, là-bas, sous une pluie de fleurs de genêt blondes, l’officiant haussait le Saint-Sacrement splendide!

Mais ce qui frappait le plus, c’étaient les Pénitents, qui faisaient leurs sorties après le coucher du soleil, à la clarté des flambeaux. Les Pénitents Blancs, entre autres, lorsque, encapuchonnés de leurs capuces et cagoules, ils déifiaient pas à pas, comme des spectres, par la ville, portant à bras, les uns des tabernacles portatifs, les autres des reliquaires ou des bustes barbus, d’autres des brûle-parfums, ceux-ci un œil énorme dans un triangle, ceux-là un grand serpent entortillé autour d’un arbre, vous auriez dit la procession indienne de Brahma.

Contemporaines de la Ligue et même du Schisme d’Occident, ces confréries, en général, avaient pour chefs et dignitaires les premiers nobles d’Avignon, et Aubanel le grand félibre, qui avait, toute sa vie, été Pénitent Blanc zélé, fut, à sa mort, enseveli dans son froc de confrère.

Nous avions, chez M. Dupuy, comme maître d’étude, un ancien sergent d’Afrique appelé M. Monnier, qui aurait bien été, nous disait-il, pénitent rouge, si une confrérie de cette couleur-là eût existé dans Avignon. Franc comme un vieux soldat, brusque et prompt à sacrer, il était, avec sa moustache et sa barbiche rêche, toujours, de pied en cap, ciré et astiqué.

Au Collège Royal, où nous apprenions l’histoire, il n’était jamais question de la politique du siècle. Mais le sergent Monnier, républicain enthousiaste, s’était, à cet égard, chargé de nous instruire. Pendant les récréations, il se promenait de long en large, tenant en main l’histoire de la Révolution. Et s’enflammant à la lecture, gesticulant, sacrant et pleurant d’enthousiasme:

«Que c’est beau! nous criait-il, que c’est beau! quels hommes! Camille Desmoulins, Mirabeau, Bailly, Vergniaud, Danton, Saint-Just, Boissy-d’Anglas! nous sommes des vermisseaux aujourd’hui, nom de Dieu, à côté des géants de la Convention nationale!»

– «Quelque chose de beau, tes géants conventionnels!» lui répondait Roumanille, quand parfois il se trouvait là, – «des coupeurs de têtes! des traîneurs de crucifix! des monstres dénaturés, qui se mangeaient les uns les autres et que, lorsqu’il les voulut, Bonaparte acheta comme pourceaux en foire!»

Et ainsi, chaque fois, de se houspiller tous deux, jusqu’à ce que le bon Mathieu, avec quelque calembredaine, vint les réconcilier.

Bref, un jour poussant l’autre, ce fut dans ce milieu bonasse et familier qu’au mois d’août de l’année 1847 je terminai mes études. Roumanille, pour accroître ses petits émoluments était entré comme prote à l’imprimerie Seguin; et, grâce à cet emploi, il imprimait là, à peu de frais, son premier recueil de vers, les Pâquerettes, dont il nous régalait délicieusement, lorsqu’il en voyait les épreuves; et gai comme un poulain, comme un jeune poulain qu’on élargit et met au vert, je m’en revins à notre Mas.

CHAPITRE VIII: COMMENT JE PASSAI BACHELIER

Le voyage de Nîmes. – Le Petit Saint-Jean. – Les jardiniers. – Le Remontrant. – L’explication du baccalauréat. – Le retour aux champs. – Les camarades du village. – Les veillées. – Les notaires de Mailiane. – L’oncle Jérôme.

– Eh bien, me dit mon père, cette fois, as-tu achevé?

– J’ai achevé, répondis-je; seulement… il faudra que j’aille à Nîmes pour passer bachelier, un pas assez difficile qui ne me laisse pas sans quelque appréhension.

– Marche, marche: nous autres, quand nous étions soldats, au siège de Figuières, nous en avons passé, mon fils, de plus mauvais.

Je me préparai donc pour le voyage de Nîmes, où, en ce temps, se faisaient les bacheliers. Ma mère me plia deux chemises repassées, avec mon habit des dimanches, dans un mouchoir à carreaux, piqué de quatre épingles, bien proprement. Mon père me donna, dans un petit sachet de toile, cent cinquante francs d’écus, en me disant:

– Au moins prends garde de ne pas les perdre, ni de ne pas les gaspiller.

Et je partis du Mas pour la ville de Nîmes, mon petit paquet sous le bras, le chapeau sur l’oreille, un bâton de vigne à la main.

Quand j’arrivai à Nîmes je rencontrai un gros d’écoliers des environs qui venaient comme moi passer leur baccalauréat. Ils étaient, pour la plupart, accompagnés de leurs parents, beaux messieurs et belles dames, avec les poches pleines de recommandations: l’un avait une lettre pour le recteur, un autre pour l’inspecteur, un autre pour le préfet, celui-là pour le grand-vicaire, et tous se rengorgeaient et faisaient sonner le talon, avec un petit air de dire: «Nous sommes sûrs de notre affaire.»

Moi, petit campagnard, je n’étais pas plus gros qu’un pois, car je ne connaissais absolument personne; et tout mon recours, pauvret, était de dire à part quelque prière à saint Baudile, qui est le patron de Nîmes (j’avais, étant enfant, porté son cordon votif), pour qu’il mît dans le cœur des examinateurs un peu de bonté pour moi.

On nous enferma à l’Hôtel de Ville, dans une grande salle nue, et là un vieux professeur nous dicta, d’un ton nasillard, une version latine, après quoi, humant une prise, il nous dit:

– Messieurs, vous avez une heure pour traduire en français la dictée que je vous ai faite… Maintenant, débrouillez- vous.

Et, dare-dare pleins d’ardeur, nous nous mîmes à l’œuvre; à coups de dictionnaire, le grimoire latin fut épluché; puis à l’heure sonnante, notre vieux priseur de tabac ramassa les versions de tous et nous ouvrit la porte en disant:

– A demain!

Ce fut la première épreuve.

Messieurs les écoliers s’éparpillèrent par la ville et je me trouvai seul, avec mon petit paquet et mon bâton de vigne en main, sur le pavé de Nîmes, à bayer autour des Arènes et de la Maison-Carrée.

«Il faut pourtant, me dis-je, penser à se loger», et je me mis en quête d’une auberge pas trop chère, mais néanmoins sortable; et, comme j’avais le temps, je fis dix fois peut-être, en guignant les enseignes, le tour de la ville de Nîmes. Mais les hôtels, avec leurs larbins en habit noir, qui, de cinquante pas, avalent l’air de me toiser, et les salamalecs et façons du grand monde, tout cela me tenait en crainte.

Comme je passais au faubourg, j’aperçus une enseigne avec cette inscription: Au Petit Saint-Jean.

Ce Petit Saint-Jean me remplit d’aise. Il me sembla soudain être en pays de connaissance. Saint-Jean est, en effet, un saint qui paraît de chez nous. Saint Jean amène la moisson, nous avons les feux de Saint-Jean, il y a l’herbe de Saint-Jean, les pommes de Saint-Jean… Et j’entrai au Petit Saint-Jean… J’avais deviné juste.