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XI. Lise

J’avais douze ans; elle en avait bien seize.

Elle était grande, et, moi, j’étais petit.

Pour lui parler le soir plus à mon aise,

Moi, j’attendais que sa mère sortît;

Puis je venais m’asseoir près de sa chaise

Pour lui parler le soir plus à mon aise.

Que de printemps passés avec leurs fleurs!

Que de feux morts, et que de tombes closes!

Se souvient-on qu’il fut jadis des cœurs?

Se souvient-on qu’il fut jadis des roses?

Elle m’aimait. Je l’aimais. Nous étions

Deux purs enfants, deux parfums, deux rayons.

Dieu l’avait faite ange, fée et princesse.

Comme elle était bien plus grande que moi,

Je lui faisais des questions sans cesse

Pour le plaisir de lui dire: Pourquoi?

Et, par moments, elle évitait, craintive,

Mon œil rêveur qui la rendait pensive.

Puis j’étalais mon savoir enfantin,

Mes jeux, la balle et la toupie agile;

J’étais tout fier d’apprendre le latin;

Je lui montrais mon Phèdre et mon Virgile;

Je bravais tout; rien ne me faisait mal;

Je lui disais: Mon père est général.

Quoiqu’on soit femme, il faut parfois qu’on lise

Dans le latin, qu’on épèle en rêvant;

Pour lui traduire un verset, à l’église,

Je me penchais sur son livre souvent.

Un ange ouvrait sur nous son aile blanche

Quand nous étions à vêpres le dimanche.

Elle disait de moi: C’est un enfant!

Je l’appelais mademoiselle Lise;

Pour lui traduire un psaume, bien souvent,

Je me penchais sur son livre à l’église;

Si bien qu’un jour, vous le vîtes, mon Dieu!

Sa joue en fleur toucha ma lèvre en feu.

Jeunes amours, si vite épanouies,

Vous êtes l’aube et le matin du cœur.

Charmez l’enfant, extases inouïes!

Et, quand le soir vient avec la douleur,

Charmez encor nos âmes éblouies,

Jeunes amours, si vite évanouies!

Mai 1843.

XII. Vere novo

Comme le matin rit sur les roses en pleurs!

Oh! les charmants petits amoureux qu’ont les fleurs!

Ce n’est dans les jasmins, ce n’est dans les pervenches

Qu’un éblouissement de folles ailes blanches

Qui vont, viennent, s’en vont, reviennent, se fermant,

Se rouvrant, dans un vaste et doux frémissement.

Ô printemps! quand on songe à toutes les missives

Qui des amants rêveurs vont aux belles pensives,

À ces cœurs confiés au papier, à ce tas

De lettres que le feutre écrit au taffetas,

Aux messages d’amour, d’ivresse et de délire

Qu’on reçoit en avril et qu’en mai l’on déchire,

On croit voir s’envoler, au gré du vent joyeux,

Dans les prés, dans les bois, sur les eaux, dans les cieux,

Et rôder en tous lieux, cherchant partout une âme,

Et courir à la fleur en sortant de la femme,

Les petits morceaux blancs, chassés en tourbillons,

De tous les billets doux, devenus papillons.

Mai 1831.

XIII. À propos d’Horace

Marchands de grec! marchands de latin! cuistres! dogues!

Philistins! magisters! je vous hais, pédagogues!

Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hébété,

Vous niez l’idéal, la grâce et la beauté!

Car vos textes, vos lois, vos règles sont fossiles!

Car, avec l’air profond, vous êtes imbéciles!

Car vous enseignez tout, et vous ignorez tout!

Car vous êtes mauvais et méchants! – Mon sang bout

Rien qu’à songer au temps où, rêveuse bourrique,

Grand diable de seize ans, j’étais en rhétorique!

Que d’ennuis! de fureurs! de bêtises! – gredins! -

Que de froids châtiments et que de chocs soudains!

«Dimanche en retenue et cinq cents vers d’Horace!»

Je regardais le monstre aux ongles noirs de crasse,

Et je balbutiais: «Monsieur… – Pas de raisons!

«Vingt fois l’ode à Plancus et l’épître aux Pisons!»

Or, j’avais justement, ce jour-là, – douce idée

Qui me faisait rêver d’Armide et d’Haydée, -

Un rendez-vous avec la fille du portier.

Grand Dieu! perdre un tel jour! le perdre tout entier!

Je devais, en parlant d’amour, extase pure!

En l’enivrant avec le ciel et la nature,

La mener, si le temps n’était pas trop mauvais,

Manger de la galette aux buttes Saint-Gervais!

Rêve heureux! je voyais, dans ma colère bleue,

Tout cet Eden, congé, les lilas, la banlieue,

Et j’entendais, parmi le thym et le muguet,

Les vagues violons de la mère Saguet!

Ô douleur! furieux, je montais à ma chambre,

Fournaise au mois de juin, et glacière en décembre;

Et, là, je m’écriais:

– Horace! ô bon garçon!

Qui vivais dans le calme et selon la raison,

Et qui t’allais poser, dans ta sagesse franche,

Sur tout, comme l’oiseau se pose sur la branche,

Sans peser, sans rester, ne demandant aux dieux

Que le temps de chanter ton chant libre et joyeux!

Tu marchais, écoutant le soir, sous les charmilles,

Les rires étouffés des folles jeunes filles,

Les doux chuchotements dans l’angle obscur du bois;

Tu courtisais ta belle esclave quelquefois,

Myrtale aux blonds cheveux, qui s’irrite et se cabre

Comme la mer creusant les golfes de Calabre,

Ou bien tu t’accoudais à table, buvant sec

Ton vin que tu mettais toi-même en un pot grec.

Pégase te soufflait des vers de sa narine;

Tu songeais; tu faisais des odes à Barine,

À Mécène, à Virgile, à ton champ de Tibur,

À Chloë, qui passait le long de ton vieux mur,

Portant sur son beau front l’amphore délicate.

La nuit, lorsque Phœbé devient la sombre Hécate,

Les halliers s’emplissaient pour toi de visions;

Tu voyais des lueurs, des formes, des rayons,

Cerbère se frotter, la queue entre les jambes,

À Bacchus, dieu des vins et père des ïambes;

Silène digérer dans sa grotte, pensif;

Et se glisser dans l’ombre, et s’enivrer, lascif,

Aux blanches nudités des nymphes peu vêtues,

Le faune aux pieds de chèvre, aux oreilles pointues!

Horace, quand grisé d’un petit vin sabin,

Tu surprenais Glycère ou Lycoris au bain,

Qui t’eût dit, ô Flaccus! quand tu peignais à Rome

Les jeunes chevaliers courant dans l’hippodrome,

Comme Molière a peint en France les marquis,

Que tu faisais ces vers charmants, profonds, exquis,

Pour servir, dans le siècle odieux où nous sommes,

D’instruments de torture à d’horribles bonshommes,

Mal peignés, mal vêtus, qui mâchent, lourds pédants,

Comme un singe une fleur, ton nom entre leurs dents!

Grimauds hideux qui n’ont, tant leur tête est vidée,

Jamais eu de maîtresse et jamais eu d’idée!

Puis j’ajoutais, farouche:

– Ô cancres! qui mettez

Une soutane aux dieux de l’éther irrités,

Un béguin à Diane, et qui de vos tricornes

Coiffez sinistrement les olympiens mornes,

Eunuques, tourmenteurs, crétins, soyez maudits!

Car vous êtes les vieux, les noirs, les engourdis,

Car vous êtes l’hiver; car vous êtes, ô cruches!

L’ours qui va dans les bois cherchant un arbre à ruches,

L’ombre, le plomb, la mort, la tombe, le néant!

Nul ne vit près de vous dressé sur son séant;

Et vous pétrifiez d’une haleine sordide

Le jeune homme naïf, étincelant, splendide;

Et vous vous approchez de l’aurore, endormeurs!

À Pindare serein plein d’épiques rumeurs,

À Sophocle, à Térence, à Plaute, à l’ambroisie,

Ô traîtres, vous mêlez l’antique hypocrisie,

Vos ténèbres, vos mœurs, vos jougs, vos exeats,

Et l’assoupissement des noirs couvents béats;

Vos coups d’ongle rayant tous les sublimes livres,

Vos préjugés qui font vos yeux de brouillard ivres,

L’horreur de l’avenir, la haine du progrès;