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Et vous nous récitiez les quatrains que Boufflers

Mêlait en souriant à ces blêmes éclairs.

Car vous étiez de ceux qui, d’abord, ne comprirent

Ni le flot, ni la nuit, ni la France, et qui rirent;

Qui prenaient tout cela pour des jeux innocents;

Qui, dans l’amas plaintif des siècles rugissants

Et des hommes hagards, ne voyaient qu’une meute;

Qui, légers, à la foule, à la faim, à l’émeute,

Donnaient à deviner l’énigme du salon;

Et qui, quand le ciel noir s’emplissait d’aquilon,

Quand, accroupie au seuil du mystère insondable,

La Révolution se dressait formidable,

Sceptiques, sans voir l’ongle et l’œil fauve qui luit,

Distinguant mal sa face étrange dans la nuit,

Presque prêts à railler l’obscurité difforme,

Jouaient à la charade avec le sphinx énorme.

Vous nous disiez: «Quel deuil! les gueux, les mécontents,

«Ont fait rage; on n’a pas su s’arrêter à temps.

«Une transaction eût tout sauvé peut-être.

«Ne peut-on être libre et le roi rester maître?

«Le peuple conservant le trône eût été grand.»

Puis vous deveniez triste et morne; et, murmurant:

«Les plus sages n’ont pu sauver ce bon vieux trône.

«Tout est mort; ces grands rois, ce Paris Babylone,

«Montespan et Marly, Maintenon et Saint-Cyr!»

Vous pleuriez. – Et, grand Dieu! pouvaient-ils réussir,

Ces hommes qui voulaient, combinant vingt régimes,

La loi qui nous froissa, l’abus dont nous rougîmes,

Vieux codes, vieilles mœurs, droit divin, nation,

Chausser de royauté la Révolution?

La patte du lion creva cette pantoufle!

II

Puis vous m’avez perdu de vue; un vent qui souffle

Disperse nos destins, nos jours, notre raison,

Nos cœurs, aux quatre coins du livide horizon;

Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière.

La seconde âme en nous se greffe à la première;

Toujours la même tige avec une autre fleur.

J’ai connu le combat, le labeur, la douleur,

Les faux amis, ces nœuds qui deviennent couleuvres;

J’ai porté deuils sur deuils; j’ai mis œuvres sur œuvres;

Vous ayant oublié, je ne le cache pas,

Marquis; soudain j’entends dans ma maison un pas,

C’est le vôtre, et j’entends une voix, c’est la vôtre,

Qui m’appelle apostat, moi qui me crus apôtre!

Oui, c’est bien vous; ayant peur jusqu’à la fureur,

Fronsac vieux, le marquis happé par la Terreur,

Haranguant à mi-corps dans l’hydre qui l’avale.

L’âge ayant entre nous conservé l’intervalle

Qui fait que l’homme reste enfant pour le vieillard,

Ne me voyant d’ailleurs qu’à travers un brouillard,

Vous criez, l’œil hagard et vous fâchant tout rouge:

«Ah! çà! qu’est-ce que c’est que ce brigand? Il bouge!»

Et du poing, non du doigt, vous montrez vos aïeux;

Et vous me rappelez ma mère, furieux.

– Je vous baise, ô pieds froids de ma mère endormie!

Et, vous exclamant: «Honte! anarchie! infamie!

«Siècle effroyable où nul ne veut se tenir coi!»

Me demandant comment, me demandant pourquoi,

Remuant tous les morts qui gisent sous la pierre,

Citant Lambesc, Marat, Charette et Robespierre,

Vous me dites d’un ton qui n’a plus rien d’urbain:

«Ce gueux est libéral! ce montre est jacobin!

«Sa voix à des chansons de carrefour s’éraille.

«Pourquoi regardes-tu par-dessus la muraille?

«Où vas-tu? d’où viens-tu? qui te rend si hardi?

«Depuis qu’on ne t’a vu, qu’as-tu fait?»

J’ai grandi.

Quoi! parce que je suis né dans un groupe d’hommes

Qui ne voyaient qu’enfers, Gomorrhes et Sodomes,

Hors des anciennes mœurs et des antiques fois;

Quoi! parce que ma mère, en Vendée autrefois,

Sauva dans un seul jour la vie à douze prêtres;

Parce qu’enfant sorti de l’ombre des ancêtres,

Je n’ai su tout d’abord que ce qu’ils m’ont appris,

Qu’oiseau dans le passé comme en un filet pris,

Avant de m’échapper à travers le bocage,

J’ai dû laisser pousser mes plumes dans ma cage;

Parce que j’ai pleuré, – j’en pleure encor, qui sait? -

Sur ce pauvre petit nommé Louis Dix-Sept;

Parce qu’adolescent, âme à faux jour guidée,

J’ai trop peu vu la France et trop vu la Vendée;

Parce que j’ai loué l’héroïsme breton,

Chouan et non Marceau, Stofflet et non Danton,

Que les grands paysans m’ont caché les grands hommes,

Et que j’ai fort mal lu, d’abord, l’ère où nous sommes,

Parce que j’ai vagi des chants de royauté,

Suis-je à toujours rivé dans l’imbécillité?

Dois-je crier: Arrière! à mon siècle; – à l’idée:

Non! – à la vérité: Va-t’en, dévergondée! -

L’arbre doit-il pour moi n’être qu’un goupillon?

Au sein de la nature, immense tourbillon,

Dois-je vivre, portant l’ignorance en écharpe,

Cloîtré dans Loriquet et muré dans Laharpe?

Dois-je exister sans être et regarder sans voir?

Et faut-il qu’à jamais pour moi, quand vient le soir,

Au lieu de s’étoiler, le ciel se fleurdelise?

III

Car le roi masque Dieu même dans son église,

L’azur,

IV

Écoutez-moi.J’ai vécu; j’ai songé.

La vie en larmes m’a doucement corrigé.

Vous teniez mon berceau dans vos mains, et vous fîtes

Ma pensée et ma tête en vos rêves confites.

Hélas! j’étais la roue et vous étiez l’essieu.

Sur la vérité sainte, et la justice, et Dieu,

Sur toutes les clartés que la raison nous donne,

Par vous, par vos pareils, – et je vous le pardonne,

Marquis, – j’avais été tout de travers placé.

J’étais en porte-à-faux, je me suis redressé.

La pensée est le droit sévère de la vie.

Dieu prend par la main l’homme enfant, et le convie

À la classe qu’au fond des champs, au sein des bois,

Il fait dans l’ombre à tous les êtres à la fois.

J’ai pensé. J’ai rêvé près des flots, dans les herbes,

Et les premiers courroux de mes odes imberbes

Sont d’eux-même en marchant tombés derrière moi.

La nature devint ma joie et mon effroi;

Oui, dans le même temps où vous faussiez ma lyre,

Marquis, je m’échappais et j’apprenais à lire

Dans cet hiéroglyphe énorme: l’univers.

Oui, j’allais feuilleter les champs tout grands ouverts;

Tout enfant, j’essayais d’épeler cette bible

Où se mêle, éperdu, le charmant au terrible;

Livre écrit dans l’azur, sur l’onde et le chemin,

Avec la fleur, le vent, l’étoile; et qu’en sa main

Tient la création au regard de statue;

Prodigieux poëme où la foudre accentue

La nuit, où l’océan souligne l’infini.

Aux champs, entre les bras du grand chêne béni,

J’étais plus fort, j’étais plus doux, j’étais plus libre;

Je me mettais avec le monde en équilibre;

Je tâchais de savoir, tremblant, pâle, ébloui,

Si c’est Non que dit l’ombre à l’astre qui dit Oui;

Je cherchais à saisir le sens des phrases sombres

Qu’écrivaient sous mes yeux les formes et les nombres;

J’ai vu partout grandeur, vie, amour, liberté;

Et j’ai dit: – Texte: Dieu; contre-sens: royauté. -

La nature est un drame avec des personnages:

J’y vivais; j’écoutais, comme des témoignages,

L’oiseau, le lys, l’eau vive et la nuit qui tombait.

Puis je me suis penché sur l’homme, autre alphabet.

Le mal m’est apparu, puissant, joyeux, robuste,

Triomphant; je n’avais qu’une soif: être juste;

Comme on arrête un gueux volant sur le chemin,

Justicier indigné, j’ai pris le cœur humain

Au collet, et j’ai dit: Pourquoi le fiel, l’envie,