Изменить стиль страницы

Vous pensez si c’était là un thème admirable pour les grasses plaisanteries, les allusions obscènes, les rires insultants… On faisait même des paris sur le jour où Monsieur se déciderait enfin à «marcher».

À la suite d’une discussion futile où j’avais tous les torts, j’ai quitté Madame. Je l’ai quittée salement, en lui jetant à la figure, à sa pauvre figure étonnée, toutes ses lamentables histoires, tous ses petits malheurs intimes, toutes ses confidences par quoi elle m’avait livré son âme, sa petite âme plaintive, bébête et charmante, assoiffée de désirs… Oui, tout cela, je le lui ai jeté à la figure, comme des paquets de boue… Et j’ai fait pire… Je l’ai accusée des plus sales débauches… des passions les plus ignobles… Ce fut quelque chose de hideux…

Il y a des moments où c’est en moi comme un besoin, comme une folie d’outrage… une perversité qui me pousse à rendre irréparables des riens… Je n’y résiste pas, même quand j’ai conscience que j’agis contre mes intérêts, et que j’accomplis mon propre malheur…

Cette fois-là, j’allai beaucoup plus loin dans l’injustice et dans l’insulte ignominieuse. Voici ce que je trouvai… Quelques jours après être sortie de chez Madame, je pris une carte postale et, de façon à ce que tout le monde pût la lire dans la maison, j’écrivis cette jolie missive… oui, j’eus l’aplomb d’écrire ceci:

«Je vous préviens, Madame, que je vous renvoie, en port payé, tous les soi-disant cadeaux que vous m’avez faits… Je suis une fille pauvre, mais j’ai trop de dignité – et j’aime trop la propreté – pour conserver les sales nippes dont vous vous êtes débarrassée, en me les donnant, au lieu de les jeter – comme elles le méritaient – aux ordures de la rue. Il ne faut pas que vous vous imaginiez, parce que je n’ai pas un sou, que je consente à porter sur moi, vos dégoûtants jupons, par exemple, dont l’étoffe est mangée et toute jaune, à force que vous y avez pissé dedans… J’ai l’honneur de vous saluer.»

C’était tapé, soit!… Mais c’était bête aussi, d’autant plus bête que, comme je l’ai déjà dit, Madame s’était toujours montrée généreuse envers moi, au point que ces affaires – que je me gardai bien de lui renvoyer d’ailleurs, – je les vendis le lendemain quatre cents francs à une marchande à la toilette…

N’était-ce point seulement la forme irritée du dépit où je me trouvais d’avoir quitté une place exceptionnellement agréable, comme on n’en rencontre pas beaucoup dans une existence de femme de chambre, une maison où il y avait tant de coulage… où l’on nous donnait tout à gogo… comme des princes?…

Et puis, zut!… on n’a pas le temps d’être juste avec ses maîtres… Et tant pis, ma foi! Il faut que les bons paient pour les mauvais…

Avec tout cela, que vais-je faire ici?… Dans ce trou de province, avec une pimbèche comme est ma nouvelle maîtresse, je n’ai pas à rêver de pareilles aubaines, ni espérer de semblables distractions… Je ferai du ménage embêtant… de la couture qui m’assomme… rien d’autre… Ah! quand je me rappelle les places où j’ai servi, cela rend ma situation encore plus triste, plus insupportablement triste… Et j’ai bien envie de m’en aller, de tirer ma révérence une bonne fois, à ce pays de sauvages…

Tantôt, j’ai croisé Monsieur dans l’escalier. Il partait pour la chasse… Monsieur m’a regardée d’un air polisson… Il m’a encore demandé:

– Eh bien, Célestine… est-ce que vous vous habituez ici?…

Décidément, c’est une manie… J’ai répondu:

– Je ne sais pas encore, Monsieur…

Puis, effrontément:

– Et Monsieur… est-ce qu’il s’habitue, lui?…

Monsieur a pouffé… Monsieur prend bien la plaisanterie… Monsieur est vraiment bon enfant…

– Il faut vous habituer, Célestine… Il faut vous habituer… sapristi!…

J’étais en veine de hardiesse… J’ai encore répondu:

– Je tâcherai, Monsieur… avec l’aide de Monsieur…

Je crois que Monsieur voulait me dire quelque chose de très raide. Ses yeux brillaient comme deux braises… Mais Madame est apparue en haut de l’escalier… Monsieur a filé de son côté, moi du mien… C’est dommage…

Ce soir, à travers la porte du salon, j’ai entendu Madame qui disait à Monsieur, sur ce ton aimable que vous pouvez soupçonner:

– Je ne veux pas qu’on soit familier avec mes domestiques…

Ses domestiques!… Est-ce que les domestiques de Madame ne sont pas les domestiques de Monsieur?… Ah bien!… vrai!…