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Lettre 52. Réponse.

[La voilà qu’elle prend aussi Gaudet pour guide, l’infortunée!].

4 juin.

S’il y a chez moi de la partialité, cher Mentor (comme vous nomme mon frère), c’est apparemment en votre faveur qu’elle sera. Trop convaincue de vos bonnes intentions, pour Edmond et pour moi, je ne puis que bien interpréter tout ce que vous me direz. Ainsi, quoiqu’il se trouve dans votre lettre des choses qui m’étonnent un peu, cependant d’après l’idée si bien fondée, que j’ai prise de vous, je vous soumets ma raison, comme étant le plus éclairé. Je présume d’ailleurs, comme vous l’avez dit dans une autre occasion, que vous proportionnez les instructions que vous avez à donner, aux personnes et aux circonstances où elles se trouvent. En effet, ce qui est bon à l’une, serait souvent nuisible à l’autre, et c’est mal l’entendre que de donner à toutes les mêmes lumières. Voilà mes dispositions à votre sujet: elles doivent vous mettre à l’aise, pour tout ce que vous avez à m’écrire désormais. De mon côté, je ne manquerai pas de vous consulter en tout.

D’abord, il est certain que j’ai grande envie d’épouser le marquis. Je ne crois pas que vous ayez été la dupe de mes dédains. Mais je sens qu’il faut, pour que cet homme ne me méprise pas, après le mariage, me faire beaucoup, prier; c’est à vous à travailler de façon qu’il me prie beaucoup. Je feindrai de préférer le conseiller, dont au fond, je ne me soucie plus, et dont je ne saurais me soucier, puisqu’en m’épousant, il semblerait qu’il m’aurait fait une double grâce. Par vos soins (et c’est un éternel sujet de reconnaissance), je ne crois pas me voir jamais obligée d’en recevoir d’aucun homme. Mais pour être sûre, du secret de ma conduite, il faut tromper mon frère lui-même au sujet de mes vraies dispositions. Je veux être agréée de la famille du marquis, priée par elle. L’idée que vous m’avez donnée de mon mérite, me fait croire que j’en vaux la peine; ou je resterai fille.

Je goûte fort cette association d’intérêts que vous me proposez avec mon frère, et je vous la laisserai entièrement diriger. Parmi les principes qu’on m’a donnés chez nous, et que vous paraissez regarder avec une sorte de mépris, il en est un cependant, qui cadre avec les vues que vous avez pour mon frère: on y inculque aux filles que tant qu’elles ne sont pas mariées, elles doivent se sacrifier pour leurs frères, qui seuls perpétueront le nom qu’elles portent. Vous me permettrez au moins de conserver ce principe-là?

Quant à vos lettres de controverse, si vous avez cru m’amuser par là, non: tout cela me paraît des idées creuses, excellentes pour occuper des imaginations trop sensibles, comme celle de Mme Parangon; mais pour moi, il me faut quelque chose de plus matériel dans mes amusements. Je vous parle à cœur ouvert, sachant combien vous me voulez de bien, par celui que vous m’avez déjà procuré. Cette réponse ne s’est pas fait attendre: ma promptitude vous prouve le cas que je fais de tout ce qui vient de votre part, la controverse exceptée.

Je vous salue.