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Lettre 44. Ursule, à Edmond.

[La voilà qui s’ennuie du ton qui règne chez nos père et mère, et qui découvre des dispositions, que nous n’aurions pas soupçonnées!].

10 janvier.

On a reçu ta lettre et ta relation, cher ami. La dernière m’a plus fait de plaisir qu’on ne s’en doute chez nous; elle m’a fait espérer que tu étais tranquille, et que je n’avais plus de nouveaux malheurs à craindre. Nous sommes à Au** depuis deux jours: Mme Parangon s’y montre à présent, pour en disparaître ensuite avec plus de sûreté; je dois l’accompagner. Mais nous ne voyons qu’un certain monde, et nous passons les journées chez Mme Canon. Fanchette sort avec cette dernière, pour tout ce qu’il faut que nous ayons, avant notre départ. Nous avons eu à S** bien du lamentable; et je t’avoue que, moi, qui ne suis plus faite à ce ton, j’en ai par-dessus les yeux. J’ai été charmée de l’absence que nous procure notre petit voyage; et dans l’excès de mon ennui, je ne sais en vérité si je ne pardonnerais pas au marquis une situation qui m’oblige de retourner à Paris. La vertu est aimable, mais il faut un peu l’égayer, et chez nous, elle ne se montre que la larme à l’œil. Avec cela, si vous prenez le moindre soin de cette pauvre figure, vous vous attirez des apostrophes sans fin: Je ne m’étonne pas! Vous êtes coquette! Voilà ce que les coquettes s’attirent! On n’ose rien répondre: mais je songe à mes quinze mille livres, et je me console. Tu vois par le ton que je prends dans cette lettre qu’il ne faut pas que tu voies les choses au dernier tragique, et que tu ferrailles avec, le marquis, si, tu le rencontres.

Parlons un peu de tes affaires. L’aimable femme est grosse, c’est un point assuré: elle en est sans doute fâchée; mais ne crains rien de sa douleur; je suis bien sûre qu’elle ne voudrait pas qu’un pouvoir surnaturel lui en Ôtât la cause: ainsi, ton chagrin à toi-même doit s’éclaircir et devenir moins sombre; il ne te doit rester que la douleur de l’offense faite à Dieu: je te le répète, quant à l’aimable femme, tu lui as fourni une occasion d’exercer agréablement le reste de sa vie sa précieuse sensibilité.

Mais il est un autre point que je veux traiter. Ma charmante compagne est jeune, belle, innocente, héritière en totalité de Mme Canon qui me le dit encore hier, et qui désire ton mariage avec elle. Fanchette te rendra heureux, je puis t’en répondre, s’il est dans la nature de ton cœur qu’une femme puisse faire ta félicité. Donne-moi cette aimable sœur. Cela est jeune, tu la formeras à ta fantaisie; tu ne seras pas gêné, comme tu le serais avec Mme Parangon, si elle était veuve, et que tu l’épousasses; jamais tu ne serais que son humble esclave; à moins que tu n’imitasses ces brutaux qui humilient d’autant leur femme, qu’ils lui doivent davantage: viens ici. M. Gaudet nous a quittés; il est chez ses anciens confrères. C’est un cher ami, que j’aime de tout mon cœur; mais il faut nous cacher de lui pour ce mariage. Arrive à S**, sans t’arrêter ici; fais m’en dire un mot en passant; nous te suivrons le lendemain, nous conclurons, et tu reviendras marié embrasser ton ami! car il faut qu’il soit des fêtes; et tu verras qu’il en fera le plus agréable assaisonnement. Tout le monde ici désire ce mariage, et tu es sûr de causer une satisfaction générale: ce motif ne sera pas impuissant sur ton cœur, naturellement bon. Viens donc, mon cher ami frère: nous repartirons tous ensemble pour Paris, et j’y demeurerais chez vous jusqu’à l’événement, ou un mariage, avec un agrément infini.

Le conseiller est fort aimable: mais je t’avouerai que si le marquis en agissait comme il convient, et qu’il te fallût un sacrifice, je te le ferais, ou tout autre. Il me suffira toujours de savoir qu’une chose t’est réellement avantageuse pour que je me sacrifie. Je l’ai dit à notre ami commun, qui m’a sondée plus d’une fois à ce sujet, et qui loue fort mes dispositions à ton égard.

Adieu, mon cher Edmond: et crois que je me féliciterai toute ma vie de ce qu’a fait ton amitié, pour ta tendre sœur.

URSULE.

P.-S. – Renvoie-moi cette lettre, ou garde-la pour me la rendre, de peur d’accident.