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Lettre 27. Gaudet, à Edmond.

[Il parle avec l’assurance d’un homme qui brave toute morale, et il profane la sainte amitié.].

16 septembre.

Mon très cher ami: aux injures, que doit répondre l’amitié? ou des raisons, ou des tendresses. Tu ne me connais pas, mon cher ami! va, tes malédictions sont des bénédictions pour moi, j’en vois la source; elle est dans l’énergie de ton âme, et de vains mots ne m’ôteront pas le plaisir que me fait ta glorieuse action. Tu as triomphé de la belle: c’est tout ce que je désirais; que m’importe la manière? que m’importent et tes remords et son désespoir? Si tu n’avais pas des remords, avec tes principes, tu ferais un scélérat. Si elle n’était pas au désespoir, avec les siens, elle serait une… Vous êtes tous deux ce que vous devez être: votre ami, tranquille au port (oui, votre ami à tous deux, l’homme qui vous veut un bonheur réel) votre ami vous regarde dans la bourrasque, avec sensibilité, avec pitié, mais sans chagrin de ce qu’en vous débattant, vous le blessez. Il ne vous en tient pas moins ouvert un cœur tout à vous. Ah! venez-y tous deux, dussiez-vous le déchirer! il ne vous en tendra pas moins une main secourable: il est à vous, ce cœur, plus qu’à moi, et vous en êtes les maîtres… Maudis-moi, Edmond, si tu me crois l’auteur d’un sacrilège; maudis-moi, tu le dois! Mais dans la réalité, je ne le suis que d’une action naturelle. Quant à la chère personne, pénétrée des principes où je la sais, elle doit me regarder comme un monstre; elle le doit, et je serais le plus féroce, le plus barbare des anthropophages, si je lui en voulais un instant de la haine qu’elle me porte, haine qui fait l’éloge de son cœur et de sa vertu. Haïssez-moi tous deux; épuisez contre Gaudet toute l’amertume de vos cœurs, et pourvu qu’ensuite il n’y en reste point contre vous-mêmes, je serai content. Je suis, et je veux être le roc impassible contre lequel se brise votre désespoir. Mes amis, mes chers amis! vous êtes ce que vous devez être; et moi, ce qu’il faut que je sois. Eh! quelle âme auriez-vous, je le répète, si, dans vos principes, vous n’aviez pas horreur de votre action! Vous croyez avoir violé des lois sacrées, les lois de la divinité, ah! que seriez-vous, si vous n’en gémissiez pas! Oui, gémissez! vous avez porté atteinte à une religion faite pour vos âmes sensibles, à cette religion attendrissante, la consolation du pauvre, du persécuté, du souffrant de toutes les manières, la terreur du riche, de l’oppresseur, du tyran, de toute âme méchante, cruelle, injuste! vous l’avez attaquée dans un point, que vous croyez un des principaux; gémissez! si elle est vraie, votre crime est affreux. Eh! pourquoi ne le serait-elle pas? Ah! Edmond, c’est elle encore qui doit te consoler: elle défend le désespoir; elle offre aux coupables des expiations, et le perfide assassin lui-même, celui qui a détruit son semblable, et qui mérite la destruction, ne trouve pas cette tendre mère inflexible! Elle le prend par la main, à l’instant où la vengeance le conduit à l’échafaud, elle lui dit: Dieu est plus miséricordieux que tu ne fus méchant, offre-lui ta peine!… Et s’il l’offre, en effet, la religion prosternée devant le trône de Dieu, implore pour lui la clémence divine, et la fléchit… Pénètre-toi de ces vérités, présente-les à ta compagne et soutiens-la. Représente-lui, qu’au fond, votre faute, ou votre crime, comme vous l’appelez tous deux, n’est qu’une faiblesse très excusable; que toi, loin de lui avoir manqué de respect, tu lui as donné la plus forte preuve de cette insurmontable passion qu’elle t’inspire depuis le premier moment où tu l’as vue. Ne lui dis pas (quoique ce soit la vérité), qu’elle s’est crue violée; qu’il n’en est rien; qu’elle a cédé, qu’elle a été heureuse, qu’elle l’est encore par son action, et que son désespoir, tout vrai qu’il est, n’en est pas moins à présent le plus doux de ses plaisirs; mais conduis-toi, s’il est possible, comme si tu lui tenais ce langage… Edmond, tu es encore un enfant; mais tu seras homme un jour, au lieu que les femmes sont toujours des enfants; mais en cela même, elles sont encore ce qu’elles doivent être. Eh! que deviendrions-nous, si elles avaient une âme d’homme! elles seraient bien malheureuses, et nous le serions avec elles et par elles!… Calme-toi, mon cher ami; reviens à ton mentor; porte dans son sein toutes tes peines; il les adoucira, ou il les voudra partager. Je te l’ai dit, je crois, mais je ne te l’ai pas encore écrit: s’il fallait, pour ton bonheur, devenir préjugiste, intolérant, cagot, je crois que je le deviendrais, au moins en partie; je te sacrifierais mes lumières, mes goûts, mes sentiments: me voilà. Suis-je digne d’être ton ami?… Ton cœur me répondra oui , j’en suis sûr, quand il sera calmé. En attendant, verse des larmes: c’est l’huile du Samaritain, pour les âmes tendres; elles adouciront l’âcreté de ta douleur. C’est l’instant qu’attend avec une impatience brûlante,

Ton plus dévoué serviteur.

P.-S. – Je m’occupe d’Ursule.