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Lettre 28. Ursule, à Fanchon.

[Elle a des pressentiments de son prochain malheur.].

19 septembre.

Tout est pour moi dans un effrayant silence, chère sœur! point de nouvelles, ni de mon frère, ni de toi! Personne ne m’écrit, ne me parle! Ici même, je suis négligée. Un calme inquiétant règne autour de moi! je ne saurais me défendre de secrètes terreurs. On a vu cette nuit un homme entreprendre de lancer une échelle de corde au balcon de la chambre où je couche. Mme Canon avait une insomnie; elle était à sa croisée, elle l’a vu…»Que voulez-vous?» s’est-elle écriée; et ce mot a causé une grande agitation dans tout un monde, qui paraissait au-dessous de ma fenêtre, car ils étaient plusieurs, et si son œil ne la trompe pas, il y avait une chaise à quelque distance, qui a roulé lorsqu’ils se sont retirés… Cependant, une partie de tout cela pourrait bien être une chimère de son imagination. Elle nous a aussitôt éveillées, Mlle Fanchette et moi, pour nous faire partager ses frayeurs. Ma jeune compagne tremblait, et j’ai été obligée de la rassurer. J’ai regardé seule à la croisée quelques instants, et j’ai entendu parler bas, sans pouvoir rien comprendre que ce mot: «Est-ce elle?» Nous nous sommes remises au lit ensemble, et enfin après un long babillage, nous nous sommes endormies. J’ai eu un songe affreux. Mais je n’y crois plus; Mme Parangon m’a guérie de cette crédulité superstitieuse. J’ai cru que je me trouvais entre les mains des voleurs, dont M. Gaudet était le chef, mais il semblait craindre de se montrer, et que le marquis accourait à mon secours. Je me suis jetée dans ses bras. En ce moment, j’ai vu de loin le conseiller, l’air sombre, qui me regardait, et semblait me dire: «Voilà donc comme vous êtes confiante!… J’ai voulu me débarrasser du marquis, qui m’a retenue malgré moi. Un instant après tout a changé: je me suis trouvée entre les mains de scélérats; l’un a levé le poignard sur mon sein, tandis que l’autre, avec un vilain rire, voulait que j’allasse le caresser: je ne pouvais m’y résoudre. Il a dit: «Frappe!» Aussitôt j’ai vu couler mon sang, et je suis tombée mourante. Cette chute m’a réveillée. J’étais en sueur, et je serrais Mlle Fanchette dans mes bras. Elle s’est retournée de mon côté: «Ô ma bonne amie, que vous avez parlé en dormant! vous m’avez fait bien peur, je vous assure! mais quand je vous ai eu répondu, et que j’ai vu que vous dormiez, cela m’a rassurée. – C’est un rêve, ma chère. – Oui, à cause de la peur que nous a faite Mme Canon.» Comme il était grand jour, nous nous sommes habillées. Il m’a pris envie de mettre une robe à l’anglaise, que j’ai, avec mon petit chapeau. Mme Canon m’a dit: «On croirait que vous allez en campagne! – Je ne sais pourquoi j’ai eu cette envie, ai-je répondu: cette robe me déplaît aujourd’hui, et je veux l’ôter. – Non, non, gardez-la; il fait beau, nous irons au Boulevard.» je l’ai donc gardée, et je suis venue t’écrire. J’ai une inquiétude qui me fait trouver du dégoût à toutes mes occupations. Donne-moi des nouvelles de tout le monde, par le premier ordinaire, et n’oublie pas Edmond; il m’inquiète; ni Mme Parangon.

Adieu, très chère sœur.