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«Souviens-toi quand tombait sur les grandes descentes, le soir où nous sentions la vieillesse venir, nous joignions deux à deux nos mains insuffisantes et tournions malgré tout nos yeux vers l’avenir. L’avenir! Sur ta joue infinie une ride souriait. Tout était magnifique et tremblant, la sage vérité tombait du ciel splendide et son dernier reflet posait sur ton front blanc. Avares, las, ouvrant à peine les paupières, pleins du pauvre passé qui ne peut pas guérir, nous espérions; le soir amollissait les pierres, tes yeux étaient dorés, je te sentais mourir!»

«La vie s’exalte avec une sorte de perfection dans la vie finissante. «C’est beau, chante-t-il plus profond encore, c’est beau d’arriver à la fin de ses jours… C’est ainsi que nous avons vécu le paradis.»

Et ils en viennent à se dire timidement, gauchement: «Je t’aime». Au seuil de l’azur perpétuel ils cherchent à réaliser l’humble commencement de la vie expiatoire. Et ils vont jusqu’à assurer que Dieu souffre de les voir mourir, et ils le plaignent. Puis ceux qui vont ne plus souffrir se disent un adieu affreux sur lequel finit le drame.

– Ils ont raison, dit Aimée en un cri où elle était toute.

– Voilà la vérité, dit le poète. Elle n’efface pas la mort. Elle ne diminue pas l’espace, ne retarde pas le temps. Mais elle fait de tout cela et de l’idée que nous en avons les sombres éléments essentiels de nous-mêmes. Le bonheur a besoin du malheur; la joie se fait en partie avec de la tristesse; c’est grâce à notre crucifixion sur le temps et l’espace, que notre cœur, au milieu, palpite. Il ne faut pas rêver une sorte d’absurde abstraction; il faut garder le lien qui nous retient au sang et à la terre. «Tels que nous sommes!» souviens-toi. Nous sommes un grand mélange; nous sommes plus que nous ne le croyons: qui sait ce que nous sommes!…

Sur la figure féminine que l’épouvante de la mort avait rigidement contractée, un sourire s’était remis à vivre. Elle demanda avec une grandeur enfantine:

– Que ne me disais-tu cela tout de suite dès que je t’ai interrogé?

– Tu ne pouvais me comprendre alors. Tu avais engagé ton rêve de détresse dans une voie sans issue. Il fallait donner à la vérité un autre cours pour te la présenter à nouveau.

* * *

Quelque chose encore, que je vois en eux, les fait vibrer: la beauté, la bonté d’avoir parlé. Oui, cela les a nimbés pendant les quelques instants où ils ne sont pas encore tombés du rêve.

– C’est bon, soupira-t-elle, d’avoir là toutes ces paroles, qui disent exactement ce qui est contre nous.

– S’exprimer, éveiller ce qui est vivant, dit-il, c’est la seule chose qui donne vraiment l’impression de la justice.

Après cette grande parole, ils se turent. Ils étaient, pendant une fraction de temps, aussi rapprochés qu’on peut l’être ici-bas – à cause de l’auguste assentiment à la vérité haute, à la vérité ardue (car il est difficile de comprendre que le bonheur soit à la fois heureux et malheureux). Elle le croyait pourtant, elle, la rebelle, elle, l’incrédule, à qui il avait donné un vrai cœur à toucher.