– Il en a menti par la gorge, le ruffian!
S’il s’en était tenu là, tout eût été dit. Mais il crut devoir expliquer.
– J’aborde l’homme qu’on m’a désigné en face, loyalement, au grand jour. Et je le provoque. Un contre un, épée contre épée, la poitrine largement offerte aux coups. Parfois, seul contre plusieurs. Je joue ma peau. De quelque côté que frappe la mort, le combat est loyal. Il n’y a rien à dire.
Elle s’était dressée toute droite, très pâle. Elle ferma les yeux et gémit:
– Horrible!… Affreux!…
Il la vit si défaite qu’il en fut bouleversé. Cependant il ne comprenait pas encore. Il bégaya:
– Quoi?… Qu’est-ce qui est horrible, affreux? La tête basse, comme une coupable, elle précisa:
– La besogne que vous accomplissez.
Ce fut comme un coup de massue qui lui tombait brusquement sur le crâne. Il chancela. Il lui sembla que tout croulait en lui et autour de lui.
Comme elle le regardait à ce moment, elle vit le ravage effrayant causé par une parole tombée de sa bouche. Elle sentit son cœur fondre de compassion et elle expliqua doucement:
– Frapper pour sa défense personnelle, c’est bien… C’est la loi naturelle qui veut que chacun sauve sa propre existence menacée. Mais… frapper pour un peu d’or!… c’est cela qui est affreux… On ne vous l’a donc jamais dit?
Frissonnant, stupide, anéanti, il répondit: non, machinalement, de la tête. Quand il vit qu’elle se taisait, il tomba brusquement à genoux, et, d’une voix rauque:
– Voilà, dit-il, avant de me dire que je vous fais horreur… avant de me chasser de votre présence… écoutez-moi… il faut que je vous explique… ou du moins que je tâche…
Un râle déchira sa gorge. Il baissa la tête, pareil au condamné qui tend le cou à la hache. Et de le voir ainsi désespéré, prêt à sombrer dans la folie, par sa faute, elle se maudit et, dans un élan de tout son être, elle cria:
– Ne m’expliquez rien!… Ce que j’ai dit ne vous concerne pas, vous, le plus brave, le plus fier, le plus loyal des chevaliers!
Il n’entendit pas. Ou plutôt il n’entendit que les premiers mots, et avec un sanglot déchirant, il râla:
– Si vous refusez… je croirai que je vous inspire une insurmontable horreur… Si c’est cela, dites-le. Je vous jure qu’au sortir de cette maison, je me plonge ce fer dans le cœur.
Elle eut un petit cri d’oiseau blessé. La menace la galvanisa. D’un bond, elle fut sur lui, jusqu’à le toucher, et d’une voix très triste, extraordinairement douce, des larmes coulant lentement sur ses joues livides:
– Pourquoi me dites-vous ces choses affreuses?… Ne voyez-vous pas que vous me meurtrissez le cœur?…
Il leva la tête et la vit. Ses yeux s’ouvrirent démesurément. Il crut qu’il devenait tout à fait fou. Il bégaya:
– Quoi! vous pleurez!… Vous ne me chassez pas?… Je ne vous fais pas horreur?…
Du bout du doigt, elle le toucha légèrement au front et dit:
– Ne vous rappelez-vous pas ce que je vous ai dit sur le perron de mon logis: Si vous mourez, je meurs!
– Puissances du ciel!… Mais vous m’ai…
Ce qu’il n’osait pas dire, lui, elle l’osa, elle. Et très simplement:
– Je vous aime.
– Vous m’aimez!… C’est vrai?… Cette chose impossible, irréalisable, est vraie?… Je ne rêve pas?…
D’une voix plus assurée, elle répéta:
– Je vous aime.
Il demeurait écrasé de bonheur, toujours à genoux, tassé sur lui-même, la regardant avec des yeux fous. Et il répétait:
– C’est impossible!… c’est impossible!… Elle!… Moi, un truand!…
– Ah! fit-elle dans un élan douloureux, ne répétez jamais ce mot détestable!… Vous, un truand?… Allons donc!… Le plus noble, le meilleur des gentilshommes.
Il ne pouvait pas croire encore. Il hoquetait:
– Je suis fou!… c’est sûr, je suis fou!…
Alors, elle se pencha, lui prit les mains, et avec cette force mystérieuse de la douceur qui fascine, elle le souleva, lui tendit le front et dit doucement:
– Embrassez votre fiancée!