– Oui, s'entendit-elle répondre du tac au tac, mue par un instinct neuf et brutal. Je suis sûre qu'elle commettra une erreur, un délit quelconque, qui nous permettra de la coincer le temps nécessaire à réunir toutes les preuves. Ici en Europe.
Elle acheva lentement sa tasse de café.
– Ça semble pas mal en fait, murmura Peter.
Pas mal du tout.
– Ouais, c'est pas mal du tout.
Elle avait un petit sourire au coin des lèvres, tout à fait involontaire.
– Tu vois, reprit-elle, il y a certainement un lien très spécial entre Alice et sa mère. Je n'arrive pas à le définir, mais le Dr Vorster dit peut-être une partie de la vérité. Il doit y avoir un violent mélange de fascination et de répulsion dans les deux sens peut-être… Eva Kristensen ne laissera jamais sa fille la quitter ainsi, et la menacer. Ses réactions seront sûrement imprévisibles, y compris pour elle-même, mais je suis sûre d'une chose: elle ne laissera pas sa fille derrière elle… Pas vivante, je veux dire.
Peter ne répondit rien.
Il la fixait d'un regard brillant dans lequel elle put déceler l'admiration pour la flic et le désir sexuel pour la jeune femme. Elle s'efforça de ne pas montrer qu'elle décodait aussi nettement ces pensées si désespérément masculines.
– Elle fera tout pour l'emmener, bien sûr, reprit-elle. Mais dans ce cas elle sera sans doute obligée de commettre des actions illégales. C'est ça que j'attends et je veux être sur place lorsque ça arrivera.
Un sourire énigmatique s'ouvrait sur la bouche de Peter.
– Dis-moi, tu sais quoi? laissa-t-il tomber, je me demande si mon enquête ne va pas m'emmener jusqu'à Bridgetown, en définitive, ça doit pas être mal à cette période de l'année…
Il lui jeta un petit clin d'œil complice.
– … certainement aussi chouette que les environs de Faro, non?
Anita lui rendit un maigre sourire.
Elle se demandait déjà comment elle allait faire pour demander au commissaire un billet d'avion jusqu'à l'extrême sud de l'Europe.
– Au Portugal? Alors que vous ne savez même pas où se trouve exactement le père de la petite?
La voix du commissaire Hassle était exempte d'émotion particulière. Il lui demandait juste une explication rationnelle. Ce qui était son rôle, évidemment.
Anita prit une profonde inspiration et se lança.
– Le temps que nous recevions des informations en provenance du Portugal, j'aurai amplement le temps de partir et de m'occuper de ça sur place. Ça nous fera gagner du temps. Je dois impérativement interroger le père de cette gosse pour éclairer sous un autre angle ce que m'a dit le psychologue d'Eva Kristensen. D'autre part…
Allez, le gros morceau.
– D'autre part, je suis persuadée qu'Eva Kristensen s'y rendra elle aussi… pour récupérer sa fille.
Il y eut un léger éclair dans le regard de Will Hassle.
– Une forme d'intuition féminine?
– Oui.
Elle précisa, aussitôt:
– Une forme d'instinct maternel que partagent toutes les femmes, même Eva Kristensen.
Le flic émit un vague bougonnement. Il réfléchissait déjà, pesant sa décision.
– Quel est votre plan?
La question importante.
Elle n'en avait aucun. Sinon les vagues contours qu'elle avait esquissés à Peter. Il ne fallait pas donner l'impression d'hésiter. Jouer franc-jeu. Avec Hassle de toute manière ça ne servait à rien de tourner autour du pot.
– Pour le moment descendre à Faro. Me brancher avec les flics locaux, piloter les opérations de recherche, retrouver Travis avant Eva Kristensen.
Ça pouvait tenir. Ça devait tenir.
– Vous savez, Anita, ça grince un peu en haut lieu. On ne cesse de me répéter partout que le dossier est vide… Vous allez avoir peu de temps pour réunir quelque chose qui tienne la route.
– Je sais, c'est pour cela qu'il faut que je parte le plus vite possible.
Hassle releva les yeux avec un plissement malicieux.
– Bien, dit-il, j'imagine que vous connaissez aussi l'heure de votre prochain avion?
Anita faillit pousser un gloussement de plaisir.
– Oui, lança-t-elle. Dans trois heures je peux prendre un vol pour Faro, j'y serai en fin d'après-midi…
Ça, ça voulait dire; je pourrai attaquer dès auourd'hui. Au pire demain matin.
Hassle eut un petit sourire au coin des lèvres.
– Parfait. Dites-moi alors pourquoi vous n'êtes pas encore en route?
Anita émit un large sourire de reconnaissance à destination de son supérieur hiérarchique.
Elle allait le remercier lorsqu'il lui fit comprendre, d'un geste de la main, qu'elle aurait déjà dû se trouver sur le palier en train de refermer la porte.
Ce qu elle entreprit de faire, dans la seconde.