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– Signez-vous?

Le comte jeta autour de lui un regard éperdu. Sans doute il eut à cet instant cette révolte, cette hésitation suprême que durent connaître les damnés qui, dans les légendes du vieux temps, signaient le pacte satanique.

Mais sans doute aussi l’esprit du mal était sur lui…

Il signa!…

M. Jacques plia méthodiquement le papier qu’il mit dans sa poche.

Il s’inclina gravement, et, dans les ténèbres qui s’épaississaient, s’éloigna sans bruit…

À partir de ce moment, le comte du Barry ne manqua jamais d’argent: du moins en avait-il assez pour faire figure à la cour et soutenir dignement son rang. Mais il était facile de voir que cette existence relativement modérée lui pesait et qu’il rongeait son frein en attendant…

En attendant quoi?… Lui seul eût pu le dire, – et M. Jacques!

Ajoutons que son caractère se fit plus sombre de jour en jour, et que souvent, au milieu des orgies, il lui arrivait de tressaillir tout à coup et de pâlir sans cause apparente.

Le comte continua à demeurer dans le vieil hôtel du quai d’Anjou où il avait pour tout domestique un valet de chambre et un palefrenier qui prenait soin de ses chevaux, fort à leur aise dans les écuries qui jadis en avaient contenu une vingtaine.

Seulement il avait fait aménager trois ou quatre pièces de l’aile gauche qui lui servaient d’appartement; le reste était abandonné à la poussière et aux toiles d’araignée.

C’est dans cet appartement que du Barry avait été ramené par le comte de Saint-Germain, son témoin, le jour de son duel avec le chevalier d’Assas.

Saint-Germain n’avait mandé aucun chirurgien: il avait lui-même lavé, sondé, pansé et bandé la plaie à l’orifice de laquelle il avait étalé une couche épaisse d’un onguent balsamique.

– Me voilà au lit pour huit jours, dit alors du Barry avec une sorte de rage; et cela dans un moment où je donnerais bien huit ans de ma vie pour être libre!…

Saint Germain sourit.

– Dans quelques heures, dit-il, vous serez sur pied.

– Mordieu!… Dites-vous vrai!

– Jamais je ne mens, cher comte!… Et puis, voulez-vous que je vous dise? je désire autant que vous-même que vous puissiez aller et venir… Ne vous étonnez pas… c’est une idée à moi… Donc, dès ce soir, vous pourrez marcher très raisonnablement; dans trois jours, vous pourrez monter à cheval; dans six, vous serez aussi fort de votre bras blessé que de votre bras indemne…

– C’est admirable! Je sens déjà l’effet rafraîchissant et réparateur de votre baume. Quel merveilleux chirurgien vous êtes!…

Saint-Germain haussa les épaules.

– Ce n’est pas moi qui ai composé ce baume, dit-il; je n’y ai donc aucun mérite. Je le tiens de Nostradamus qui, lui, était vraiment un médecin transcendant. Il le composa à la prière de Catherine de Médicis; cette pauvre Catherine avait toujours peur de quelque coup de poignard, elle qui jouait ou faisait si bien jouer de la dague. Nostradamus travailla cinq ans à ce baume, et le soir où il en trouva la synthèse définitive, il pleura de joie, leva les bras au ciel et s’écria qu’il touchait enfin à l’Absolu…

– Ah çà, comte! fit du Barry en riant comme il riait dans ses grandes gaîtés, c’est-à-dire du bout des dents; ah çà, on dirait qu’à moi aussi vous voulez faire croire que vous avez connu Nostradamus!…

– Je ne veux rien vous faire croire, dit froidement Saint-Germain; c’est vous qui voulez à toute force me prendre pour un médecin de génie en me faisant honneur de la composition de ce baume. Et comme jamais je ne mens, la vérité m’oblige à confesser que je le tiens de Nostradamus, tout simplement.

– Tout simplement! murmura du Barry qui ne put s’empêcher de frissonner.

Et, jetant un ardent regard au comte de Saint-Germain, il reprit:

– Dites-moi, comte, parmi tant de choses que vous savez… et notamment au sujet de Nostradamus… pouvez-vous me dire si… réellement… il a trouvé…

– Quoi donc? sourit Saint-Germain en faisant chatoyer une monstrueuse émeraude qu’il portait au doigt.

– La pierre philosophale!…

– Non certes, il ne l’a pas trouvée… puisqu’il est mort.

Du Barry eut un geste d’étonnement.

– Sans doute! continua Saint-Germain, s’il eût trouvé la pierre philosophale, il eût du même coup trouvé l’élixir d’éternité que le vulgaire, dans sa terreur instinctive du mot «éternité», appelle élixir de longue vie. Tout est dans tout, mon cher comte, et l’Absolu est un. Sans quoi il ne serait pas l’Absolu. Donc, le pouvoir de créer de l’or et le pouvoir de créer de la vie ne sont qu’un seul et même pouvoir.

– Mais vous, comte, reprit du Barry d’une voix haletante, emporté sur les ailes du mystère vers l’irréalisable féerie; vous qui, dit on, avez étudié ces sublimes questions… vous qui avez sondé l’insondable… répondez-moi… que pensez vous?… que savez-vous?… peut-on trouver la pierre philosophale?…

– Pourquoi pas? dit négligemment Saint Germain. Je vous l’ai dit: tout est dans tout. Le primordial principe de la création se cache dans les replis les plus secrets de la nature. Mais si les précautions de la nature ont été infinies pour cacher son secret, l’audace de l’intelligence ne peut-elle être infinie pour le découvrir? Eh quoi! ce que peut accomplir la chaleur du soleil dans les entrailles du sol, l’alchimiste ne pourrait-il le réaliser dans son creuset, alors qu’il a à sa disposition les ressources toutes puissantes du calcul et de l’imagination!

– Oh! haleta le blessé dont les yeux flamboyèrent, posséder ce secret! Être riche! Riche à l’infini!…

– Oui, n’est-ce pas? Car la richesse infinie, c’est l’infinie jouissance. C’est le droit de concevoir l’irréalisable et de le réaliser sans effort. Que l’imagination la plus fougueuse ouvre toutes grandes ses ailes et s’élance éperdument dans les espaces du rêve! qu’elle conçoive des plaisirs inaccessibles à l’humanité! qu’elle recherche des raffinements devant lesquels l’homme recule épouvanté, désespéré de son impuissance! Celui qui détient la pierre philosophale se fera un jeu de ces plaisirs et de ces raffinements. Tout est à lui. Il n’a qu’à prendre la peine de souhaiter, de désirer! Puissance, honneur, gloire, amour, tout lui appartient. Les orgies fabuleuses, il les renouvelle avec dédain; les amours impossibles, il les réalise dès qu’il le veut… Et notez, comte, que la soif de plaisir peut être inextinguible chez cet homme, puisqu’il est éternel, puisque les excès qui tuent les autres ne peuvent l’user, lui!…

Saint-Germain se leva, s’approcha du comte du Barry qui frémissait et dont le front s’inondait de sueur.

– Cet homme, continua-t-il, goûte des jouissances infinies. D’abord, il se rue aux orgies, aux plaisirs des sens. Dans le premier enchantement de sa découverte, il use la moyenne de plusieurs existence à toucher le fond des joies sensuelles: à lui les mets les plus fabuleusement exquis! à lui les vins que, dans des serres spéciales, ses raisins seuls peuvent donner! à lui les femmes les plus splendides de la création! S’il s’en trouve une sur la surface du globe qui soit la plus belle, c’est celle-là qui sera à lui!…

Du Barry haletait, se tordait sous la parole brûlante qui tombait sur son cerveau comme une lave incandescente.

– Bientôt, reprit Saint-Germain, c’est-à-dire au bout de quelques centaines d’années, il songe à d’autres joies. La gloire le tente: il est Raphaël ou Michel-Ange. La puissance attire sa curiosité: il se fait roi. Plus haut! Toujours plus haut! Il finit par concevoir, comprendre et réaliser la jouissance absolue. L’homme de plaisir souffre dans ses passions; l’artiste de génie souffre dans la création de son œuvre; le haut dignitaire est soumis au ministre; le ministre est soumis au roi; le roi est soumis à cette chose énorme, inconnue, qui s’appelle le peuple; le peuple est soumis à des légions de maîtres, et, pis encore, soumis au travail… Seul, le détenteur du sublime secret, celui qui a accompli le grand œuvre, échappe à l’univers, au peuple, au ministre, au roi, à la mort! Il est son propre maître, et dans l’exercice de cette liberté sans limites éprouve à chaque seconde qui s’écoule la jouissance sans limites… Alors, du haut sommet où il s’est placé d’un coup d’aile, il contemple le vaste grouillement de l’humanité, écoute la musique infernale des cris de joie et des clameurs de désespoir, et laisse tomber un regard de pitié sur les malheureux qui se tuent à conquérir quelques pauvres millions et, pour arriver à cet humble but, en sont réduits à vendre jusqu’à leur nom!…

Du Barry poussa un cri de terreur. Il se souleva, et bouleversé, hagard, d’une voix rauque, il râla:

– Que voulez-vous dire? quels sont ces hommes dont vous avez pitié?… Parlez! parlez!… en connaissez-vous?…

– Moi? Non!… Pourquoi voulez-vous que je connaisse de tels misérables?…

– Vous disiez…

– Je parlais des jouissances de l’homme qui possède la pierre philosophale, parce que vous m’en avez parlé le premier. N’attachez pas d’autre importance à ce que j’ai pu dire…