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Le roi, de ce pas un peu lourd mais non dépourvu de grâce que signalent les mémoires de son temps, se dirigea vers le grand portail de l’hôtel d’Argenson, suivi de Berryer tête nue, échine courbée.

À l’instant où il allait disparaître, un cri éclatant, un cri dont Jeanne reconnut la voix, dont elle perçut l’intonation de vibrante ironie, retentit sous le balcon:

– Vive le Bien Aimé!…

Et Henri d’Étioles agitait frénétiquement son chapeau en jetant ce cri auquel répondit la clameur de la foule amassée.

Louis XV se retourna, salua de la main le fidèle sujet qui provoquait cet enthousiasme populaire, dont les manifestations commençaient à se faire plus rares.

Machinalement, ses yeux se levèrent… remontèrent jusqu’à au balcon du petit hôtel Régence…

Alors il tressaillit et rougit faiblement.

Jeanne devint pourpre, et un frisson l’agita toute entière…

Une seconde, leurs regards se croisèrent… s’étreignirent.

– Vive le roi! répéta d’Étioles. Vive le Bien-Aimé!…

Louis XV, comme s’il eût voulu rendre à son peuple salut pour salut, se découvrit, et, les yeux fixés sur le balcon, sourit doucement…

La foule cria Vivat… mais le salut royal avait été à son adresse!

Louis XV, alors, disparut sous le porche de l’hôtel d’Argenson.

À bout de forces, Jeanne recula en chancelant jusque dans le salon, et tomba dans les bras de Mme Poisson qui n’avait pas perdu un détail de toute cette scène.

Mais comme, avec cette incroyable énergie qui fut toujours un sujet d’étonnement chez cette étrange fille, elle se remettrait aussitôt de sa faiblesse; comme elle se rapprochait encore du balcon, attirée par le magnétique espoir qui la faisait palpiter; comme enfin ses yeux se fixaient sur le portail d’Argenson ouvert à deux battants, une vision la fit frissonner d’une vague terreur. Une tête pâle et fatale se levait vers elle, comme s’était levée la tête du roi…

Là, du fond de l’ombre du porche, un homme la regardait, comme le roi l’avait regardée.

– L’homme de la clairière de l’Ermitage! murmura Jeanne. Oh! pourquoi me regarde-t-il ainsi? Oh!… Il s’avance… il vient ici que me veut il?…

Pourquoi cet homme entre-t-il dans ma destinée en ce jour de malheur?