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Entendant un bruit de grosse chenille derrière moi, je me suis retourné et me suis mordu les lèvres pour ne pas crier. Une femme de mille ans approchait vers nous. Elle avançait à tout petits pas, sans décoller les pieds du sol, mais vite. C'était probablement la mère de la vieille en fauteuil. J'ai cru qu'elle n'allait pas réussir à s'arrêter, et plonger la tête la première dans l'eau du port en continuant à agiter énergiquement les pieds, mais elle a stoppé net derrière le fauteuil de sa fifille – et heureusement, car si elles étaient tombées toutes les deux à la mer, non, ce n'était plus possible. Elle tenait dans une main une grande bouteille de rhum de cuisine, et dans l’autre un verre à moutarde Astérix. Sans doute pour réconforter l'amiral de Paris à son retour au port.

Finalement, nous nous sommes tous retrouvés autour d'une table – j'avais suivi le mouvement, très naturellement – à boire du Negrita dans des verres à moutarde. C’était très sympathique, original et chaleureux. J'avais Rantanplan chien stupide, moi, comme verre. Une heure plus tard, comme j'avais expliqué à toute la tablée que j’étais arrivé ici par hasard et n'avais rien de spécial à faire dans les minutes qui suivaient, les Zoptek m'ont invité à dîner chez eux, à quelques kilomètres de là. Je pouvais même rester dormir, si je voulais. Pourquoi pas?

J'ai passé trois jours épatants dans leur maison de campagne. Il y avait une fille qui exposait à ce moment-là dans une grande galerie parisienne, et sur laquelle j'avais lu un article dans Libé avant de partir, une autre qui venait de jouer le rôle principal dans un film dont parlaient avec enthousiasme tous mes copains jeunes-artistes-qui-vont-pas-tarder-à-éclater-au-grand-jour-avec-un-peu-de-chance, et dans une maison voisine, à cent mètres de chez eux, deux autres de leurs amis, un écrivain que j'avais vu dans plusieurs émissions littéraires à la télé et sa fiancée, une chanteuse célèbre. Pour moi qui avais toujours voulu devenir vedette du sport ou du music-hall, c'était presque le rêve devenu réalité.

Durant ces trois jours en Bretagne, ils m'ont appris ce qu'est le plaisir. Ce qu'est la douceur de vivre. Ils m'ont appris à m'asseoir dans un fauteuil avec un bon verre et une cigarette, à discuter de choses agréables, à me laisser envelopper, porter, à flotter sur le temps qui passe, à m'énerver ou à rigoler, à chanter et à danser devant tout le monde si j'en ai envie, à embrasser quelqu'un si j'en ai envie, à le gifler si j'en ai envie, à me laisser embrasser et gifler, à dire ce que je veux quand je veux. Les Fabuleux Zoptek, comme une troupe de cirque qui m'aurait ramassé sur le bord de la route et accepté dans la caravane, m'ont appris à jongler en équilibre sur un fil, à suivre tranquillement mes envies même si parfois je vacille. J'allais en profiter pendant environ dix ans, jusqu'à la baignoire.