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Qui était celui qui venait d’être emporté par le carrosse?… Un jaloux?… Un rival?… Qui était cette épousée qui, avec tant de tendre abandon, s’appuyait sur Maurevert?…

Tout à coup, le duc tressaillit et un frisson de terreur presque superstitieux l’agita. La cérémonie était terminée; le prêtre ayant prononcé la formule d’union se retirait; l’époux, Maurevert, se relevait. Et alors, Guise, debout, constata que l’épouse était évanouie, morte, peut-être! Ce qu’il avait pris pour une attitude de tendresse n’était que l’attitude d’un corps qui ne se soutient plus. À ce moment, deux femmes sortaient de la sacristie. Une voix prononça:

– Conduisez-la jusqu’à la litière, et qu’on m’attende.

– La voix de Fausta! murmura le duc avec un étonnement auquel commençait à se mêler de l’épouvante.

Maurevert… l’époux… n’accompagnait pas l’épousée!… Les deux femmes avaient pris l’inconnue vêtue de blanc, et la soutenaient ou plutôt l’emportaient évanouie. Elles passèrent près de Guise. Et à la faible lueur de cette lumière diffuse vaguement répandue dans l’église, il jeta un regard avide sur cette femme évanouie, sur cette épousée qu’on entraînait mourante. Et il étouffa une sorte de rugissement qui gronda sourdement dans sa gorge. Et une stupéfaction mêlée d’une sorte de terreur s’empara de ses sens. Il voulut s’élancer, et il se sentit comme cloué à la dalle…

Cette femme, c’était celle qu’il aimait à en devenir fou, c’était la petite bohémienne, c’était Violetta…

En quelques instants, l’église fut vide. Et Guise, revenu de sa stupeur, gronda dans un furieux mouvement de joie:

– Je la tiens! elle est à moi!…»

Il allait s’élancer, lorsque, du fond du chœur, il vit venir deux hommes dont il reconnut l’un:

Maurevert! L’épousé! Le mari de Violetta!…

Que signifiait cet étrange, ce mystérieux mariage? Pourquoi Maurevert venait-il d’épouser Violetta? Il l’aimait donc en secret!… Ces questions tourbillonnèrent dans sa tête… Il voulait savoir!… Et il se renfonça dans son ombre, prêtant l’oreille à ce que disait Maurevert ou plutôt l’inconnu qui l’accompagnait…

Puisque Maurevert était là encore, Violetta, l’épousée, ne pouvait s’éloigner sans doute!… Les deux femmes qui l’emportaient la garderaient dans cette litière qu’il avait remarquée, jusqu’à l’arrivée de l’époux. Il allait donc savoir la vérité. Haletant, le front couvert de cette suée de la passion qui ressemble aux sueurs de l’angoisse et de l’agonie, à demi penché en avant, il écouta ardemment et, tout de suite, il reconnut la voix de l’inconnu… c’était la même voix qui avait ordonné que l’épousée attendît dans la litière, c’était Fausta.

– Donc, disait Fausta, vous passez au palais de la Cité, et vous y touchez les cent mille livres convenues. Pour le reste, fiez-vous à moi. Le duc sera roi dans un mois. Il oubliera alors la petite bohémienne. Et même, s’il apprenait ce qui vient de se passer, je vous garantis le pardon. Ce qui est dit est dit: vous serez capitaine des gardes de Sa Majesté Henri quatrième, roi de Lorraine et de France.

– Ah! madame, fit Maurevert, la minute où je vous ai rencontrée est une minute à jamais bénie dans mon existence! Comment pourrai-je m’acquitter envers vous?…

– Je vous l’ai dit! répondit Fausta d’une voix sombre.

– Oh! soyez tranquille pour ce qui est convenu de cette petite…

– Donc, vous partez!

– Je pars. Mais vous savez, madame, qu’avant de quitter Paris, j’ai quelqu’un à voir.

Fausta hésita un instant. Puis d’une voix qui parut trembler légèrement, elle reprit:

– Allez donc voir cet homme, puisque vous le voulez!…

– Ah! je renoncerais aux cent mille livres que vous me donnez si généreusement, à ce poste brillant que vous m’offrez à la future Cour de France, plutôt que de renoncer à cette joie de le voir enchaîné, enfin à ma merci!… Bussi-Leclerc m’attend dans la rue; il va me conduire à la Bastille…

– Bien. Moi, cependant, je vous garderai votre… femme.

– Merci, madame! ricana Maurevert. Et où la retrouverai-je?

– Lorsque vous sortirez de la Bastille, lorsque vous serez passé à mon palais de la Cité, sortez de Paris et allez trouver l’abbesse des bénédictines de Montmartre. Elle vous remettra votre épouse… et vous donnera mes dernières instructions. Allez…

Guise vit Maurevert s’incliner profondément devant Fausta, baiser sa main puis s’élancer au-dehors. Il savait maintenant où retrouver Violetta; il avait au moins deux ou trois heures devant lui. Il attendit donc. Fausta, pendant quelques minutes, demeura immobile et pensive. Guise l’entendit qui murmurait:

– Dois-je, moi aussi, aller à la Bastille?

L’église, maintenant, était solitaire. Toutes ces ombres qui s’y étaient agitées s’étaient évanouies. Un long soupir s’exhala de la poitrine de Fausta: sans doute elle se croyait seule… Elle sortit enfin. Le Balafré sortit derrière elle et la suivit à distance. Fausta marcha jusqu’à la litière qu’entouraient une douzaine de cavaliers dont l’un portait une torche. Le reste de la rue semblait désert.

– À l’abbaye de Montmartre! commanda Fausta sans monter dans la litière.

Le véhicule s’ébranla avec son escorte et disparut bientôt au fond de la rue Saint-Antoine. Fausta était demeurée seule. Elle fit quelques pas hésitants vers la Bastille, puis soudain s’arrêta, comme indécise. À ce moment, le duc s’approcha d’elle.

Fausta, entendant un bruit de pas, mit vivement la main à sa dague qu’elle sortit à demi du fourreau. Mais aussitôt, elle la rengaina: elle venait de reconnaître Guise. Le chapeau à la main, le duc, d’une voix où tremblait une sourde irritation, lui dit:

– Madame et bien-aimée souveraine, les rues de Paris sont peu sûres à cette heure. Vous êtes depuis trop peu de temps à Paris pour le savoir. Sans quoi, vous ne vous seriez pas aventurée seule. Mais moi qui le sais, ce m’est un devoir que de vous offrir l’appui de mon bras et la protection de mon épée…

Fausta n’avait pas eu un geste de surprise.

– Duc, répondit-elle gravement, vous savez que je suis celle que rien ne peut atteindre, et qu’il n’y a pas de danger pour moi dans ces rues, fussent-elles remplies de truands. L’épée temporelle que vous m’offrez est bien peu de chose auprès de l’épée spirituelle dont je puis disposer…

– Madame! balbutia le duc frappé d’une crainte superstitieuse.

– Duc, vous sortez de cette église, continua-t-elle en désignant Saint-Paul.

Ce n’était pas une question. Fausta, affirmait comme si elle eût été sûre. Pourtant, elle ne savait pas.

– Oui, madame! répondit Guise, et c’est justement parce que je sors de cette église, que…

– Eh bien, rentrons-y! interrompit Fausta. Pour ce que nous avons à dire, peut-être nous serons mieux placés, nous mettant sous le regard de Dieu…

Et Fausta, résolument, marcha vers Saint-Paul où elle entra. Guise, partagé entre l’irritation et la crainte, subjugué par ce ton de suprême autorité, la suivit jusqu’au chœur où elle s’arrêta.

Les deux cierges, qui avaient été allumés pour l’étrange cérémonie, étaient éteints. Le chœur n’était plus éclairé que par la veilleuse suspendue à la longue chaîne qui descendait des voûtes. Fausta prit alors la main de Guise et, d’une voix rude, rauque, menaçante, prononça:

– Au nom de la Sainte-Trinité.

«Je jure Dieu le Créateur, touchant cet Évangile, et sur peine d’anathématisation et damnation éternelle, que j’ai entré dans la sainte association catholique, suivant la formule qui m’a été lue loyalement et sincèrement, soit pour y commander, soit pour y obéir.

«Et promets sur ma vie et mon honneur de m’y conserver jusques à la dernière goutte de mon sang, sans y contrevenir ou me retirer pour quelque mandement, prétexte, excuse ni occasion que ce soit…»

C’était la formule du serment de la Ligue dont le duc de Guise était le chef suprême.

Fausta, qui tenait la main de Guise, leva brusquement cette main vers l’autel et continua:

– Au nom de la Sainte-Trinité.

«L’association des princes, seigneurs et gentilshommes catholiques doit être faite et est faite pour rétablir la loi de Dieu en son entier, remettre et retenir le saint service d’Icelui selon la forme et la manière de la sainte Église catholique, apostolique et romaine, abjurant et renonçant toutes erreurs au contraire.»

Fausta laissa retomber la main de Guise.

– Voilà ce que vous avez juré, dit-elle.

– Et ce que je suis prêt à jurer encore, fit sourdement le duc, si mon premier serment se trouve infirmé.

– Bien! dit Fausta. Maintenant, duc, une question: savez-vous la peine infligée dans nos traités à tout catholique épousant une hérétique?…