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Quant à Marie de Montpensier, ayant déjà eu l’occasion de la présenter à nos lecteurs, nous nous dispenserons d’esquisser ici sa jolie frimousse de Parisienne délurée, sémillante, très capable de commettre en riant quelque crime atroce, sans trop s’apercevoir que c’est un crime.

Ces cinq personnages étant donc réunis dans le vaste cabinet tout tapissé d’armes, tandis que le reste de l’hôtel est plein du bruit des conversations et du cliquetis des éperons, tandis que Paris hurle à la mort et demande du sang, tandis enfin que postée au fond de la Cité comme une araignée au centre de sa toile, Fausta Ire songe, combine, agit, et de loin inspire ces esprits si différents, assistons à ce conseil de famille d’où tant d’événements devaient sortir pour aboutir à une catastrophe.

La duchesse de Nemours avait pris place dans le grand fauteuil de son fils aîné. Elle se trouvait placée le dos à la fenêtre, et face à un immense portrait de François de Guise qui, ses deux mains gantées de fer appuyées sur la croix de l’estramaçon, le casque à triple panache à ses pieds, semblait la regarder.

Henri de Guise était assis devant elle, tournant le dos au portrait. À droite, le cardinal de Guise s’était placé, ses jambes croisées l’une sur l’autre, calme d’apparence, mais tourmentant le manche de sa dague. À gauche, c’était Mayenne qui, ne trouvant pas de fauteuil assez large pour lui, avait approché deux chaises pour en faire un seul siège. Enfin, un peu en arrière de sa mère, appuyée au dossier du fauteuil, Marie de Montpensier souriait et jouait avec les ciseaux d’or qu’elle portait suspendus à sa ceinture par une chaînette – les fameux ciseaux destinés à tonsurer Henri III et à lui faire sa troisième couronne.

Le cardinal de Guise parla le premier et dit:

– J’ai reçu de celle qui nous guide l’ordre d’attendre à Notre-Dame l’arrivée de mon frère Henri. J’avais tout préparé pour la cérémonie du couronnement. Six cardinaux et douze évêques envoyés par Sa Sainteté Fausta m’entouraient. Trois cents curés, doyens ou vicaires, étaient prêts à se répandre dans Paris pour annoncer la bonne nouvelle. Tout était prêt: mon frère seul ne l’était pas, puisqu’il n’est pas venu à Notre-Dame!

Henri fronça le sourcil. Mais déjà le duc de Mayenne prenait la parole à son tour.

– Par ma foi, dit-il, je suis bien venu d’Auxerre à Paris à franc étrier, sur le reçu d’une missive à moi dépêchée par la belle Fausta. Je dis: à franc étrier, et ce n’est pas peu dire. En route, je me disais: «Pourvu que j’arrive à temps!» Je suis même arrivé trop tôt, puisque j’ai pu disposer deux mille combattants dans les rues, et que moi-même, avec mille bons pertuisaniers, j’ai pris position dans le Louvre. Mais en vain j’y ai attendu mon frère Henri.

Henri se mordit les lèvres.

– J’avais cinq cents bourgeois et hommes du peuple sur la Grève, dit à son tour la duchesse de Montpensier. Ces braves gens avaient reçu le mot d’ordre de notre incomparable Fausta. Elle me fit un signe. Je criai: «Vive le roi!… Et mes gens de crier à tue-tête: Vive le roi!…» Mais il n’y eut point de roi! Je vous garantis, mon frère, que Paris est bien vexé d’avoir crié «Vive le roi!» et de n’avoir point de roi.

– Paris est ivre, dit Mayenne, et vous savez comme il a l’ivresse mauvaise.

– Paris gronde, ajouta rudement le cardinal.

– Paris! Paris! éclata Henri. Vous ne parlez que de Paris. On dirait à vous entendre que le royaume de France commence à la porte Bordelle pour finir à la porte Montmartre! Aller à Notre-Dame pour m’y faire couronner! Marcher de là sur le Louvre pour y décréter la déchéance de Valois! C’était possible. C’était facile, trop facile!… Et les provinces, qu’en faites-vous? Et les parlements qui me dénoncent comme fauteur de trouble et de sédition, qu’en faites-vous? Et les évêques fidèles à Sixte qui m’imposent comme condition une parfaite soumission à Rome, qu’en faites-vous? Et le roi d’Espagne qui demande les preuves de mon droit à la couronne, qu’en faites-vous? Roi, je veux l’être, autant pour moi que pour vous. Mais par le ciel, je veux l’être à la manière d’un vrai roi qui prend sa place légitime, et non à la façon d’un larron qui dispute sa couronne à la France ameutée. Que m’apportez-vous? Paris!… Mais c’est moi qui l’ai conquis, Paris!… Paris, c’est moi! Pouvez-vous me donner les parlements, les évêques, Rome, l’Espagne? Non!… Et bien, une femme me donne tout cela d’un mot. Catherine de Médicis!… Oui, Catherine, qui vieille, à bout de forces, et voyant en son fils Henri le dernier représentant des Valois, préfère encore un Guise à un Navarre! Catherine qui sait que son fils est condamné, rongé par une maladie implacable! Catherine qui m’a supplié d’attendre un an, rien qu’un an! d’attendre, dis-je, la mort de son fils! de donner à ce fils une année de tranquillité! Catherine, enfin, qui m’a promis, juré, contre cette tranquillité accordée à l’agonie de son fils, de me faire désigner comme le successeur légitime!… Voici donc mon plan: je vais à Chartres. En fidèle sujet, je ramène le roi à Paris. Pour prix de mes services, il me donne la lieutenance générale, c’est-à-dire la vice-royauté, c’est-à-dire un pied sur les marches du trône. Cette année de répit, je la passe à gouverner sous le nom de ce roi qui sera trop heureux qu’on le laisse processionner avec ses mignons pour le salut de son âme. Et quand il meurt, naturellement, sans secousses, sans guerre dans le royaume et à l’extérieur, je suis le roi légitime… Avez-vous mieux à m’offrir?

En parlant ainsi, le Balafré considérait la duchesse de Nemours. Mais la mère des Guise, le coude sur le bras du fauteuil, le menton dans la main, tenait ses yeux fixés sur le portrait de son mari.

– Parlez! reprit Henri avec impatience. Voyons, vous, ma sœur, que dites-vous?

– Je dis, s’écria la duchesse de Montpensier, que c’est une honte de voir le grand Henri, Henri le Saint, Henri le Conquérant descendre à de pareils calculs! les Stemmala Lotharingiœ et Barri dacum ont prouvé au monde que notre maison va chercher ses fondations jusqu’à Clodion le Chevelu! Je dis qu’il est démontré que les Capet et les Valois sont des usurpateurs et que vous êtes le roi légitime!… Que Philippe d’Espagne en montre donc autant!

– Va pour la généalogie! Mais les provinces!…

– Je viens de parcourir la Bourgogne, dit le duc de Mayenne. Elle crie: «Mort à Hérode!» plus fort que Paris. Elle est prête à crier: «Vive Henri IV, roi de Lorraine et de France!»

Le Balafré tressaillit à ces nouvelles.

– Si vous voulez mon sentiment, continua Mayenne en tirant sa barbiche par un geste machinal, je vous dirai qu’au fond, moi… ça m’est égal. Seulement, puisque vous parlez des provinces, c’est vraiment dommage de laisser nos Bourguignons et aussi nos Francs-Comtois s’égosiller à demander un roi. Il serait charitable de les prévenir d’avoir à attendre une petite année… Ils n’en crieront que mieux l’an prochain.

Le duc de Mayenne se mit à rire, comme il riait, c’est-à-dire de toute sa panse secouée, tandis que son œil rusé répétait clairement:

– Moi… ça m’est égal!

– Si la Bourgogne et la Franche-Comté sont d’humeur à attendre, reprit alors le cardinal de Guise, je n’en dirai pas autant de la Champagne…

Il se retourna vers le Balafré qu’il regarda en face:

– J’arrive de Troyes. Le peuple s’est précipité à ma rencontre. Les échevins ont été pendus. L’effigie d’Hérode a été brûlée.

Les quelques hobereaux fidèles à Valois ont fui. J’ai fait élire de nouveaux échevins. Une garnison de deux mille reîtres soutient le peuple révolté et rallié au nom de Guise. Trois mille cavaliers parcourent le pays, et la Champagne, debout tout entière, vous acclame. La tempête se propage et gagne la Picardie, l’Artois; la Normandie suivra Henri, Henri! nous avons allumé un terrible incendie. Et quand il va consumer cette race pourrie, quand il va purifier le royaume, exterminer l’hérésie, détruire Valois, quand le peuple de France vous appelle et vous réclame, vous nous demandez d’éteindre l’incendie, vous nous demandez de refouler l’espoir de ce peuple… Tenez, vous me faites pitié!… Je m’en vais! Prenez garde, Henri, que cette foudre que nous avons forgée ne se trompe de tête et, ne pouvant frapper Valois, ne vous atteigne au front!…

Le cardinal, de sa botte éperonnée, frappa violemment le parquet, se leva, et grommela entre ses dents:

– Roi de parade! Roi de carton! Par le sang du Christ, pourquoi suis-je né le troisième!

Et il fit quelques pas vers la porte.

– Demeurez, Louis! dit alors la duchesse de Nemours.

Le cardinal s’arrêta net. Car dans ces âges, l’autorité de la mère de famille était encore incontestée.

– Demeurez, mon frère, ajouta le Balafré. Quelle que soit la décision qui sortira d’ici, il faut qu’elle soit prise en commun… Avec vous, je suis tout. Sans vous, je suis bien peu.

Le cardinal, flatté d’avoir humilié ne fût-ce qu’un instant l’intraitable orgueil de son frère, reprit sa place en disant:

– D’ailleurs, mon cher Henri, je vais vous apprendre une petite chose qui va sans doute modifier vos idées: Valois est loin d’être aussi malade que le prétendent sa mère et Miron [14] . Il n’a nulle envie de mourir. Je le sais par son confesseur, qui l’approchant à toute heure, a pu se rendre compte de son véritable état. Que diriez-vous donc si au lieu d’une année que vous demande la Médicis, il vous fallait attendre cinq ans, dix ans même? Que devient dès lors votre plan?

[14] Miron, médecin du roi Henri III.