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XLIII HÉROÏSME DE PARDAILLAN

Huguette avait déposé sur une table le bol et les bandages qu’elle apportait. Le bol contenait une savante mixture composée par Huguette, à l’effet de cicatriser les blessures du chevalier, et les bandes de toile étaient pour maintenir les compresses.

– Pour qui tout cela? fit Pardaillan.

– Pour vous, monsieur le chevalier, répondit Huguette, qui toute pâle et tremblante des rumeurs qu’elle entendait devant la porte de sa maison, oubliait pourtant ses terreurs pour ne songer qu’à ses devoir de bonne hôtesse.

– Tiens, c’est vrai, je suis quelque peu décousu, dit Pardaillan qui s’aperçut alors que le sang coulait sur ses mains. Mais, ma chère Huguette, si excellente chirurgienne que vous soyez, je crois que vos soins sont inutiles. Dans quelques minutes, tout serait à recommencer, et alors vous auriez vraiment trop d’ouvrage. D’ailleurs ces estafilades ne font que me dégourdir le bras, et le sang réchauffe… tandis que vos bandages me gêneraient fort.

– Mon Dieu, monsieur, vous parlez comme si vous alliez être attaqué…

– Attaqué, ma chère Huguette!… Je crois que dans une demi-heure il ne restera pas grand-chose de votre auberge; une fois encore je vais être cause d’une grande destruction chez vous… ce sera la dernière!

– Mais vous! fit Huguette d’une voix mourante.

– Oh! moi, toute la charpie que pourraient effiler vos jolies mains me serait parfaitement inutile. Consolez-vous, Huguette, nous sommes tous mortels; et après tout, ce m’est encore une joie sur laquelle je ne comptais pas que de mourir en cette bonne auberge où j’ai connu les plus douces heures de ma vie.

Huguette poussa un gémissement, s’assit sur un escabeau, et ramenant son tablier sur sa tête, se mit à pleurer. Pendant qu’il parlait, d’abord avec Croasse et ensuite avec Huguette, Pardaillan allait et venait, traînait des tables et des bancs, et renforçait la barricade qu’il élevait avec toutes les règles de l’art. Quand il eut fini, il se recula pour juger son œuvre et approuva d’un clignement de paupières.

– Parfait, dit-il. À l’abri d’un pareil rempart, je crois que je pourrai un peu donner du fil à retordre à messieurs de la messe. Voyez-vous, Huguette, j’ai toujours dit que le jour où je ferais le grand saut dans l’inconnu je me ferais royalement escorter. Regardez moi ces machicoulis et ces meurtrières et ces… Tiens, murmura-t-il en se retournant vers l’hôtesse, elle pleure!… C’est vrai… je n’y pensais plus, moi, que ma mort lui ferait un gros chagrin… Quel butor je suis de parler de tout cela!… Huguette! Huguette, ma chère Huguette, vous voyez bien que j’exagère…

Sous son tablier, Huguette secoua sa tête désespérée.

– Voyons, reprit Pardaillan désolé, ils en auront pour une heure à démolir tout cela… Pendant cette heure-là, nous allons essayer de battre en retraite, nous trouverons bien un moyen, cornes du diable!

Pardaillan savait parfaitement qu’il n’y avait aucun moyen de fuir. Toutes les issues de la maison, même celle d’un corridor qui contournait la cuisine, s’ouvraient sur la rue Saint-Denis.

Or, la rue Saint-Denis était remplie de gens d’armes dont on entendait cliqueter les piques et d’une foule furieuse dont on entendait les hurlements.

Pardaillan prit les mains de l’hôtesse et la força de se lever. Elle laissa retomber son tablier et montra son joli visage pâle de douleur et inondé de larmes.

– Voyons, fit le chevalier, il faut chercher un recoin où vous puissiez vous cacher, tandis que je tiendrai tête à ces furieux. Car je crois ne rien vous apprendre, Huguette, en vous disant que cette fuite dont je vous parlais serait bien difficile.

– Impossible! balbutia Huguette avec un sanglot.

– Vous voyez bien qu’il faut vous cacher… votre cave, par exemple… Ce n’est qu’à moi qu’ils en veulent, et moi pris…

Huguette frissonna.

– Moi pris, ils n’auront pas l’idée de pousser plus loin les recherches. Venez, ma chère, venez… ce silence relatif qui se fait dans la rue ne m’annonce rien de bon…

– Vous pris! murmura Huguette. Vous mort, que deviendrai-je, moi?…

Elle reposa sur la poitrine du chevalier sa tête charmante que l’amour transfigurait.

Au dehors, dans ce silence relatif qu’avait signalé Pardaillan et qui était sinistre comme ces sournoises accalmies de tempêtes qui semblent ne s’arrêter un instant que pour ramasser leurs forces dévastatrices, dans ce calme, donc, une voix dure retentissait:

– Ici, ces poutres!… Les arquebusiers, là sur deux rangs! Et apprêtez vos armes! Ici, les hallebardiers! et là, les archers!… Attention!…

– Pardaillan, dit Huguette très doucement, laissez-moi mourir avec vous, puisque je n’ai pu vivre avec vous. Mon pauvre cœur, depuis des années, porte votre image et votre souvenir. Je n’espérais pas votre amour. Je savais que vous aviez donné toute votre pensée à une autre. Je savais aussi qu’un cœur tel que le vôtre forge des tendresses que la mort même est impuissante à attaquer. Je savais que vous adoriez Loïse morte comme vous l’aviez aimée vivante. Oh! non, je n’espérais rien… Seulement, quand vous étiez-là, je vous regardais, et cela suffisait. C’était ma part de bonheur, humble part, mais cela m’ensoleillait l’âme. Quand vous n’étiez pas là, je vous attendais. Que d’heures j’ai passées sur ce perron à guetter votre retour! Car je savais bien que si loin que vous eussent porté votre désespoir, votre amour ou vos haines, si longtemps que vous fussiez absent, je vous verrais un jour mettre pied à terre devant ce perron, et me sourire de votre bon sourire qui contient tout ce que vous pouviez me donner. Je me disais: «Il pense à la bonne hôtesse. Il sait qu’ici il trouvera toujours un réconfort et une consolation…» Et je vivais ainsi dans une pensée très douce qui n’était pas de l’espoir, qui n’était pas de la douleur, et où il y avait seulement, tout au fond de moi-même, une joie à songer que nulle femme au monde ne saurait comme moi pleurer avec vous sur Loïse morte, et refléter en bonheur vos moments de sourire…

Au dehors, la voix dure et brève continuait à donner des ordres pour l’attaque.

Pardaillan tout pâle écoutait, non cette voix qui disposait tout pour le tuer, mais la voix brisée de larmes qui lui rapportait le premier aveu d’un amour qu’il connaissait depuis de longues années.

Huguette, elle, n’écoutait que son cœur, son pauvre cœur comme elle disait, qui enfin osait se révéler et parler tout haut après avoir parlé si longtemps tout bas.

– Attention! Vingt hommes ici, pour lancer les poutres!… Et feu sur les fenêtres, si elles s’ouvrent!…

– Vous voyez, Pardaillan, que votre vie, c’était ma vie. S’il ne s’agissait pour vous que de quelque méfait qui se paye par la prison, je serais tranquille, car je me ferais forte de vous délivrer. Vous vivant, même prisonnier comme vous le fûtes jadis à la Bastille, je vivrais… je me dirais: «Sûrement, il en sortira. S’il n’en trouve pas le moyen, je le trouverai, moi!…»

– Huguette, ma chère Huguette, c’est précisément de cela qu’il s’agit!

– Non, non… vous allez mourir, Pardaillan! Votre air et vos préparatifs me disent assez que vous êtes décidé à vous faire tuer sur place…

– Décidé à me défendre, voilà tout. Mordieu, croyez-vous que ce soit si agréable d’aller à la Bastille?

– Non, Pardaillan; mais on sort de la Bastille, on ne sort pas du tombeau…

– Hum!… on sort… on sort… pas toujours, ma chère!

– Oh! mais c’est donc bien grave ce que vous avez fait?

– Pas grave du tout. Comme je crois vous l’avoir dit, je n’ai rien fait, moi. J’ai simplement empêché de faire. Mais enfin, je vous avoue que les huit ou dix mois de prison que j’ai mérités m’effrayent, et j’aime mieux risquer tout pour tout.

Pardaillan, en parlant de huit ou dix mois de prison qu’il redoutait, était sublime. Son regard pétillait de malice, et le sourire de ses lèvres, ce que l’hôtesse appelait si justement son bon sourire, exprimait une pitié attendrie qui étonnait sur ce visage.

– Risquer tout pour tout, reprit Huguette, c’est donc que vous allez mourir. Pardaillan, laissez-moi mourir avec vous. Songez à ce que vous me proposez. Je m’irais enfermer dans la cave pendant que ces furieux vous chargeraient. Et j’entendrais la bataille. J’entendrais le cri de triomphe de celui qui vous porterait le dernier coup… et vous pensez que j’attendrais tranquillement que tout soit fini! Ô Pardaillan, vous ne me comprenez donc pas? Vous ne m’avez donc jamais comprise? Je vous dis que si vous mourez, je n’ai plus rien à faire dans la vie. Laissez-moi vous dire… Je ne puis rien être pour vous, et vous êtes tout pour moi. Je ferais affront à la mémoire de madame Loise et je me ferais affront à moi-même si je disais que je vous aime. Supposez que je suis pour vous une sœur qui, ayant tout perdu, n’a plus que vous au monde, ou mieux… une mère. Ce mot me vieillit, n’est-ce pas?… mais je ne suis plus de première jeunesse… une mère! c’est bien cela…

Elle éclata en sanglots et murmura:

– Vous voyez que je prends le rôle qui peut le moins inquiéter celle qui dort dans votre cœur, Pardaillan… mon cher enfant, est-ce que ce n’est pas le devoir d’une mère de mourir près de…