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– Nous ne pouvons nous quitter ainsi! Monsieur, au nom de celle que nous aimons tous deux, je vous somme de me dire qui vous êtes!…

Le bourreau jeta sur le duc un regard infiniment doux et triste.

– Ne vous l’ai-je pas dit? fit-il d’une voix tremblante, je suis un bourgeois de Paris, et je m’appelle Claude… voilà tout!

– Non! ce n’est pas tout!… Ce secret… ce secret qui est dans votre vie, je veux le savoir à présent…

– Ce secret! balbutia Claude. Écoutez, monseigneur. Je vous ai dit que Violetta elle-même vous le révélerait.

– Oh! s’écria le jeune homme, tout de suite, alors!

Et il fit un mouvement pour s’élancer vers la pièce où Claude avait conduit la jeune fille. Mais le bourreau l’arrêta par le bras et dit:

– Le prince Farnèse… le père de l’enfant que vous allez voir tout à l’heure vous donnera sur la naissance de celle que vous aimez les explications nécessaires… Ces explications, il ne m’appartient pas de les fournir, puisque je ne suis pas le père, moi!… Monseigneur, jurez-moi de ne jamais parler de moi au prince Farnèse!… Il le faut! ajouta-t-il rudement en voyant que le jeune homme hésitait…

– Eh bien, soit! dit alors le duc d’Angoulême. Sur ma foi de gentilhomme, je ne prononcerai jamais votre nom devant le père de Violetta.

– Bien. Jurez-moi maintenant de ne jamais interroger Violetta sur moi. Que si elle parle d’elle-même, que si, sans y être invitée par vous, elle vous révèle le secret de ma vie, ce sera dans l’ordre. Mais jurez-moi de ne pas créer à cette enfant un tourment qu’elle ne mérite pas en cherchant à lui arracher le secret si elle pense qu’elle doit le garder.

– Je vous le jure aussi, dit Charles entraîné par cet accent de profonde tristesse que nous avons signalé.

Claude eut un geste de satisfaction.

– Adieu donc, dit-il alors. Dans une heure le prince Farnèse sera ici… Quant à moi, si vous ne me revoyez pas… écoutez…

– Pourquoi ne vous reverrais-je pas, fit Charles à la fois ému, irrité, angoissé…

– Si vous ne me revoyez pas, reprit sourdement Claude, comme s’il n’eût pas entendu, il peut se faire que l’enfant coure un danger quelconque…

– Nul ne songera à venir nous chercher ici, elle ou moi, et j’espère que demain nous aurons quitté Paris…

– Très bien, dit Claude avec un soupir. C’est pour le mieux et j’allais vous donner ce conseil. Cependant… s’il survenait quelque chose… n’importe quoi où vous pensiez que je puisse être utile à l’enfant, il y a dans la Cité, vers le milieu de la rue Calandre, derrière le marché neuf, une maison autour de laquelle l’herbe pousse, une maison basse et isolée des autres dont la porte et les fenêtres sont toujours fermées. De nuit ou de jour, tant que vous serez encore à Paris, si vous avez besoin d’aide, venez frapper à la porte de cette maison… Un dernier mot: quand partirez-vous?

– Demain à la pointe du jour.

– Par quelle porte?

– Je passerai rue Saint-Denis, chercher à l’auberge de la Devinière un ami qui m’est bien cher… car je présume qu’il a dû se réfugier là… Puis, avec le prince Farnèse et Violetta, j’irai chercher la route d’Orléans.

– Bien! Vous sortirez donc par la porte de Notre-Dame-des-Champs…

À ces mots, Claude fit brusquement quelques pas comme s’il voulait entrer dans la pièce où se trouvait Violetta. Mais il s’arrêta court, secoua la tête et revint sur Charles qu’il contempla longuement.

– Monseigneur, dit-il alors d’une voix basse et rauque, cette enfant vous adore; je le sais: j’en suis sûr; c’est l’âme la plus pure, le cœur le plus généreux… elle a beaucoup souffert…

– Souffrances, misères, tout cela est fini pour elle! dit Charles en joignant fiévreusement les mains. Si une vie d’homme tout entière passée à assurer son bonheur peut lui faire oublier les tristesses de son jeune âge, ah! je vous jure que Violetta, dès ce moment, est pour toujours heureuse!

Une expression d’ineffable joie se répandit sur le visage du bourreau. Il salua le duc d’Angoulême avec une sorte d’humilité. Charles lui tendit les mains. Mais pour la deuxième fois, Claude feignit de ne pas voir ce geste et rapidement il sortit. Quelques instants plus tard, il était dehors.

Il examina attentivement la rue: elle était paisible et déserte comme d’habitude. Il était évident qu’on n’avait pas suivi Charles d’Angoulême fuyant la place de Grève.

– Sauvée! murmura ardemment Claude. Maintenant, je puis bien dire qu’elle est sauvée!…

Alors, il se mit en marche, après avoir jeté sur la maison silencieuse de Marie Touchet un dernier regard éperdu de douleur et rayonnant de son sublime sacrifice. Et quand il eut fait quelques pas, il éclata en sanglots. Il s’en alla le long des berges, dans la direction de la Grève. Là, il retomba dans les groupes de peuple qui, avec force imprécations et gesticulations, commentaient les événements qui venaient de se dérouler sur la place.

Au moment où le bourreau avait quitté la maison de la rue des Barrés, un homme sortant d’une encoignure s’était mis à le suivre à distance. Cet homme, c’était l’un de ceux à qui la Fausta avait jeté un ordre près de l’estrade. Il avait sauté sur un cheval et était arrivé rue des Barrés assez à temps pour voir Claude entrer dans la maison de Marie Touchet. Alors, il avait attaché sa monture à l’un de ces anneaux de fer qui surmontaient les nombreuses bornes cavalières qui servaient aux gens couverts de fer à se hisser sur leurs selles. Et cherchant un poste d’observation, il avait attendu. Lorsque Claude était sorti, cet espion, abandonnant son cheval où il l’avait attaché, s’était mis en marche dans la même direction que l’ancien bourreau.

«Voilà, songeait Claude en marchant, une chose à laquelle je n’avais pas songé, moi! Il a fallu que je fusse imbécile pour ne pas prévoir que cela arriverait… Je me figurais que Violetta pourrait toujours m’avouer… moi… et que simplement, j’étais un homme comme un autre, et que je pouvais vivre près d’elle, vivre de son bonheur, respirer l’air qu’elle respire… être le père enfin… Ah! bien, oui! Tu es le bourreau, misérable!»

L’homme qui le suivait de loin le vit en outre descendre la berge, arriver jusqu’au bord de l’eau et demeurer longtemps debout, immobile, à regarder couler cette eau.

«Voici le fait, ruminait le malheureux en se débattant contre son désespoir, je suis le bourreau! Rien ne peut faire que je n’aie exercé l’horrible métier et que je ne sois un objet d’épouvante et d’exécration. Que Violetta m’ait absous de mon passé, le pauvre cher ange au cœur d’or, cela ne me surprend pas… Oui, mais Violetta est un ange, et je suis le bourreau! Je n’y puis rien. Et Violetta n’y peut rien non plus… Elle aime ce jeune homme. Qui est ce jeune homme? Qu’importe! Il l’aime lui aussi!…C’est sûr. Je l’ai bien regardé. C’est un noble cœur. L’amour déborde de ses yeux. Il est très doux… Elle sera duchesse d’Angoulême, fit-il tout à coup en riant. Il s’appelle Charles et il est duc d’Angoulême. C’est le fils du roi Charles IX…»

L’espion lui vit faire un geste violent, puis remonter la berge et reprendre le chemin de la place de Grève.

«Mais, rugissait Claude en lui-même, ce serait le dernier des débardeurs de Seine! serait-il truand au lieu d’être duc! serait-il fils de cabaretier au lieu d’être fils de roi! qu’est-ce que j’y gagnerais?… Où est le pauvre diable, si malheureux qu’il soit, qui consentira à vivre près du bourreau? Où est l’amoureux, si épris qu’il soit, qui ne crierait à Violetta: C’est le bourreau qui t’a élevée? Le bourreau t’a portée dans ses bras? C’est le bourreau que tu appelles père?… Tu portes des tâches sanglantes, fille du bourreau!… Et truand ou fils de roi, l’amoureux s’enfuirait avec une imprécation d’horreur…»

Il atteignit la place de Grève et, à travers les groupes encore nombreux et agités, se dirigea vers le logis où il avait laissé Farnèse.

– Le bourreau disparu… moi mort, tout change! Il n’aura plus horreur de moi s’il sait que je me suis tué… Il n’aura plus que de la pitié… Oui, oui… il saura que je suis mort et qu’il peut aimer sans horreur… Un mot que je lui ferai parvenir à Orléans fera l’affaire… Et alors, Violetta pourra tout lui dire, si elle veut! Elle sera heureuse malgré elle et c’est un bon tour que son papa Claude lui aura joué en se tuant… Ô ma fille bien-aimée, si tu savais avec quelles délices je vais mourir pour toi!… Sûrement, tu ne pleureras pas lorsque tu sauras la chose…

Et il était vraiment radieux, sa monstrueuse figure noyée de larmes se nimbait d’une gloire de sacrifice, d’un rayonnement très doux, d’une sorte de majesté sereine… Il heurta le marteau du logis en se disant:

«Farnèse!… En voilà un, par exemple, qui va être étonné de ce que je vais lui apprendre!… Que je déchire le pacte qui le lie à moi, que je lui pardonne, et que sa fille… sa fille!… oui, sa fille l’attend!… Il n’a qu’à aller rue des Barrés. À la bonne heure! Voilà un père que Violetta peut avouer!…»

Il n’y avait nullement dans ces derniers mots l’amère et sinistre ironie qu’on pourrait y voir. En toute humilité, le bourreau reconnaissait la qualité de père à l’homme qui, au pied du gibet où on traînait Léonore de Montaigues, n’avait pas eu le courage de prendre son enfant dans ses bras!…