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– Ne l’avez-vous pas emmenée? conduite à la Bastille?

– Je ne parle pas de Violetta. Je veux dire celle que j’ai ramenée…

– Ah! vous aviez donc ramené une autre prisonnière?

Belgodère saisit sa rude chevelure à deux mains. Il se rappelait maintenant qu’il n’avait prévenu personne. À mots entrecoupés, il fit le récit de ce qui s’était passé pendant la nuit, et comment ayant conduit Violetta à la Bastille, il avait ramené Jeanne Fourcaud.

– Vous disiez qu’elle s’appelle Stella? observa Claudine.

– C’est la même chose. Ou plutôt, Stella, c’est son vrai nom…

– Vous avez eu tort de ne pas m’informer, dit Claudine de Beauvilliers. Si la princesse demande compte de cette nouvelle prisonnière, c’est vous seul qui en êtes responsable. Je conçois votre émotion…

– Ah! vous ne savez pas; vous ne pouvez savoir…

Belgodère éclata en sanglots.

– Elle aura trouvé moyen d’ouvrir les portes, reprit l’abbesse, et se sera sauvée.

Mais déjà Belgodère n’écoutait plus. Il secoua la tête, et s’élançant au dehors, il retourna à l’enclos. Là, il s’assit sur une pierre, la tête entre les mains. Alors il roula dans son esprit des pensées de détresse et de désespoir qu’il entremêlait de jurons et d’imprécations.

– C’eût été trop beau!… Je me disais bien, aussi… Est-ce qu’un homme comme moi est fait pour être heureux et pour vivre avec des pensées de douceur! Une fille, à moi! Stella vivante! Stella rendue à mon amour paternel! C’était trop beau pour le bohémien! Des meurtres, des coups de dague, des pensées tortueuses et funèbres, oui! Voilà mon affaire, à moi!…

Une pareille explosion de sentiment ne pouvait durer longtemps dans un tel cœur. Comme Belgodère le disait lui-même, il avait dans sa vie roulé trop de pensées de meurtre et de vengeance. Ce désespoir sincère et farouche dura deux heures, au bout desquelles le bohémien commença à mettre un peu d’ordre dans son esprit.

Il songea d’abord à la facilité avec laquelle il était arrivé auprès de l’abbesse. Il eût été attendu qu’il n’eût été ni plus vite, ni mieux reçu. Car l’abbesse lui avait parlé avec une politesse et une douceur à laquelle il n’était pas accoutumé.

Alors, il alla étudier de près la porte de la pièce où Stella avait été enfermée. La serrure était intacte; elle n’avait pas été brisée ni forcée. Et d’ailleurs, pourquoi Stella, c’est-à-dire Jeanne Fourcaud, eût-elle eu l’idée de se sauver, puisque lui, Belgodère, lui avait affirmé qu’on allait la réunir à sa sœur Madeleine? Enfin, il y avait à cette porte un verrou extérieur.

La conclusion sautait aux yeux: Stella n’avait pas ouvert; on lui avait ouvert du dehors!

Mais qui?… Qui pouvait avoir eu un intérêt à délivrer cette jeune fille?… Délivrer!… Était-ce bien une délivrance?… Des soupçons, peu à peu, se formaient dans l’esprit du bohémien.

Qui savait que Stella était enfermée dans l’abbaye? Fausta!… Fausta et les cavaliers qui lui avaient servi d’escorte!…

Belgodère, alors, se rappela cet homme qu’il avait croisé dans l’escalier tout à l’heure. Quand il eut rassemblé, dans son esprit toutes les circonstances, quand il eut ruminé le pour et le contre de la question, Belgodère quitta l’abbaye et se mit à descendre lentement les pentes de Montmartre. Sa rude figure, à ce moment, paraissait calme. Seulement, ses lèvres étaient blanches, ses yeux étaient striés de fibrilles rouges, et parfois un tressaillement nerveux le secouait tout entier. Voici ce qu’il songeait: «Fausta savait que j’allais à l’abbaye reprendre mon enfant. Fausta a expédié un cavalier qui m’a dépassé et a enlevé mon enfant. Bien. Très bien. Que veut-elle? Je ne sais pas. Mais si elle se doute de ce que je pense, elle fera mourir ma fille… C’est bon… Je m’attache à elle! Je ne la quitte plus! Il faudra bien, alors, que je sache ce qu’elle a fait de Stella… Et quand je le saurai…»

Un geste menaçant compléta la pensée du bohémien. Quand dans la soirée, se jugeant assez calme pour maîtriser son émotion, il reparut devant Fausta, celle-ci fut la première à demander:

– Ma prisonnière?…

– Vous voulez dire ma fille…

– Oui… ta fille. Tu la ramènes ici?

– Elle a disparu, dit froidement Belgodère.

– Ta fille a disparu, fit-elle, et tu n’en es pas ému?…

– Mais vous-même, dit audacieusement Belgodère, vous ne semblez guère émue de la disparition de votre prisonnière.

Fausta ne parut nullement scandalisée, ni même étonnée de la réplique du bohémien. On a vu qu’elle savait prendre avec chacun l’attitude qui convenait. Elle avait donc habitué Belgodère à une franchise brutale, mais utile à ses projets. Elle répondit simplement:

– Celle que tu appelles ta fille, je ne sais trop pourquoi, celle qui, à mon sens, était bien la fille du procureur Fourcaud, cette Jeanne enfin n’était pas une prisonnière. Il était de notre intérêt de la garder quelque temps, afin que nul ne connût la substitution qui s’est opérée à la Bastille, voilà tout. Puisqu’elle est partie, bon voyage!

– C’est ça, bon voyage! dit le bohémien.

– Nous la retrouverons, d’ailleurs, sois tranquille. Tu peux donc te retirer en paix, Belgodère, non toutefois sans m’avoir rendu le sauf-conduit que je t’ai confié.

– Ce papier! s’exclama le bohémien en se fouillant vivement. Par le diable, où est-il?… Je ne l’ai plus…

– Tu l’as perdu?…

– Oui, dit Belgodère en regardant fixement Fausta, j’ai dû le perdre…

– Cela n’a pas d’importance, après tout. Va, Belgodère, et attends mes ordres. À moins que tu ne veuilles quitter mon service, auquel cas je t’enverrais à mon trésorier. Parle… Veux-tu quitter mon service?

– À moins que vous ne me chassiez, dit le bohémien, je préfère rester. Il me semble que je n’en ai pas fini avec votre illustre seigneurie.

– C’est bien aussi ce qu’il me semble, à moi, dit Fausta.

Et elle accompagna d’un sourire aigu le bohémien qui, après une humble salutation, se retirait. Belgodère grondait en lui-même:

– Maintenant, je suis tout à fait sûr que c’est elle qui a fait enlever Stella. Par l’enfer, signora mia, non seulement je n’en ai pas fini avec vous, mais cela ne fait que commencer!…