Изменить стиль страницы

Au petit jour, le lendemain, la mère d’Espérit, les frères d’Espérit viennent pour ouvrir l’étable… L’étable, mes amis, était tout illuminée: le pèlerin était mort, était roidi et blanc, entre quatre grands cierges qui brûlaient autour de lui; la paille où il gisait était étincelante; les toiles d’araignées, luisantes de rayons, pendaient là-haut des poutres, telles que les courtines d’une chapelle ardente; les bêtes de l’étable, les mulets et les bœufs, chauvissaient effarés avec de grands yeux pleins de larmes; un parfum de, violette embaumait l’écurie; et le pauvre pèlerin, la face glorieuse, tenait dans ses mains jointes un papier où était écrit: «Je suis votre fils.»

Alors éclatèrent les pleurs et tous en se signant tombèrent à genoux: Espérit était un saint.

(Almanach Provençal de 1879.)

JARJAYE AU PARADIS

Jarjaye, un portefaix de Tarascon, vient à mourir et, les yeux fermés, tombe dans l’autre monde. Et de rouler et de rouler! L’éternité est vaste, noire comme la poix, démesurée, lugubre à donner le frisson. Jarjaye ne sait où gagner, il est dans l’incertitude, il claque des dents et bat l’espace. Mais à force d’errer il aperçoit au loin une petite lumière, là-bas au loin, bien loin… Il s’y dirige; c’était la porte du bon Dieu.

Jarjaye frappe: pan! pan! à la porte.

– Qui est là? crie saint Pierre.

– C’est moi.

– Qui, toi?

– Jarjaye.

– Jarjaye de Tarascon?

– C’est ça, lui-même.

– Mais, garnement, lui fait saint Pierre, comment as-tu le front de vouloir entrer au saint paradis, toi qui jamais depuis vingt ans n’as récité tes prières; toi qui, lorsqu’on te disait: «Jarjaye, viens à la messe» répondais: «Je ne vais qu’à celle de l’après-midi»; toi qui, par moquerie, appelais le tonnerre «le tambour des escargot»; toi qui mangeais gras, le vendredi quand tu pouvais, le samedi quand tu en avais, en disant: «Qu’il en vienne! c’est la chair qui fait la chair; ce qui entre dans le corps ne peut faire mal à l’âme»; toi qui, quand sonnait l’angélus, au lieu de te signer comme doit faire un bon chrétien: «Allons, disais-tu, un porc est pendu à la cloche!»; toi qui, aux avis de ton père: «Jarjaye, Dieu te punira»! ripostais de coutume: «Le Bon Dieu qui l’a vu? Une fois mort on est bien mort!»; toi enfin qui blasphémais et reniais chrême et baptême, se peut-il que tu oses te présenter ici, abandonné de Dieu?

Le pauvre Jarjaye répliqua:

– Je ne dis pas le contraire, je suis un pécheur. Mais qui savait qu’après la mort il y eût tant de mystères! Enfin, oui, j’ai failli, et la piquette est tirée; s’il faut la boire, on la boira. Mais au moins, grand saint Pierre, laissez-moi voir un peu mon oncle, pour lui conter ce qui se passe à Tarascon.

– Quel oncle?

– Mon oncle Matéry, qui était pénitent blanc.

– Ton oncle Matéry? Il a pour cent ans de purgatoire.

– Malédiction! pour cent ans! et qu’avait-il fait?

– Tu te rappelles qu’il portait la croix aux processions. Un jour, des mauvais plaisants se donnèrent le mot, et l’un d’eux se met à dire: «Voyez Matéry qui porte la croix!» Un peu plus loin un autre répète: «Voyez Matéry qui porte la croix!» Un autre finalement lui fait comme ceci: «Voyez, voyez Matéry, qu’est-ce qu’il porte?» Matéry impatienté répliqua, paraît-il: «Un viédaze comme toi». Et il eut un coup de sang et mourut sur sa colère.

– Alors, faites-moi voir ma tante Dorothée, qui était tant, tant dévote.

– Fi! elle doit être au diable, je ne la connais pas…

– Que celle-là soit au diable, cela ne m’étonne guère, car pour la dévotion si elle fut outrée, pour la méchanceté c’était une vraie vipère… Figurez-vous que…

– Jarjaye, je n’ai pas loisir; il me faut aller ouvrir à un pauvre balayeur que son âne vient d’envoyer au paradis d’un coup de pied.

– O grand saint Pierre, puisque vous avez tant fait et que la vue ne coûte rien, laissez-moi voir un peu le paradis, qu’on dit si beau!

– Oui, parbleu! tout de suite, vilain huguenot que tu es!

– Allons, saint Pierre, souvenez-vous que par là-bas mon père, qui est pêcheur, porte votre bannière aux processions, et les pieds nus…

– Soit, dit le saint, pour ton père, je te l’accorde; mais vois, canaille, c’est entendu, tu n’y mettras que le bout du nez.

– Ça suffit.

Donc le céleste portier entrebâille sans bruit la porte et dit à Jarjaye: «Tiens, regarde.»

Mais celui-ci, tournant soudainement le dos, entre à reculons dans le paradis.

– Que fais-tu? lui demande saint Pierre.

– La grande clarté m’offusque, répond le Tarasconnais; il me faut entrer par le dos; mais selon votre parole, lorsque ne j’y aurai mis le nez, soyez tranquille, je n’irai pas plus loin «Allons, pensa le bienheureux, j’ai mis le pied dans la musette.» Et le Tarasconnais est dans le paradis.

– Oh! dit-il, comme on est bien! comme c’est beau! quelle musique.

Au bout d’un certain moment, le porte-clefs lui fait:

– Quand tu auras assez bayé, voyons, tu sortiras, parce que je n’ai pas le temps de te donner la réplique…

– Ne vous gênez pas, dit Jarjaye, si vous avez quelque chose à faire, allez à vos occupations… Moi je sortirai quand je sortirai… Je ne suis pas pressé du tout.

– Mais tels ne sont pas nos accords.

– Mon Dieu, saint homme, vous voilà bien ému! Ce serait différent s’il n’y avait point de large; mais, grâce à Dieu, la place ne manque pas.

– Et moi je te prie de sortir, car si le bon Dieu passait…

– Ho! puis, arrangez-vous comme vous voudrez. J’ai toujours ouï dire: qui se trouve bien, qu’il ne bouge. Je suis ici, j’y reste.

Saint Pierre hochait la tête, frappait du pied. Il va trouver Saint Yves.

– Yves, lui fait-il, toi qui es avocat, tu vas me donner un conseil.

– Deux, s’il t’en faut, répond saint Yves.

– Sais-tu que je suis bien campé? Je me trouve dans tel cas, comme ceci, comme cela… Maintenant que dois-je faire?

– Il te faut, lui dit saint Yves, prendre un bon avoué et citer par huissier le dit Jarjaye pardevant Dieu.

Ils cherchent un bon avoué; mais d’avoué en paradis, jamais personne n’en avait vu. Ils demandent un huissier. Encore moins! Saint Pierre ne savait plus de quel bois faire flèche.

Vient à passer saint Luc:

– Pierre, tu es bien sourcilleux! Notre-Seigneur t’aurait-il fait quelque nouvelle semonce?

– Oh! mon cher, ne m’en parle pas! Il m’arrive un embarras, vois-tu, de tous les diables. Un certain nommé Jarjaye est entré par une ruse dans le paradis et je ne sais plus comment le mettre dehors.

– Et d’où est-il, ce Jarjaye?

– De Tarascon.

– Un Tarasconnais? dit saint Luc. Oh! mon Dieu, que tu es bon? Pour le faire sortir, rien, rien de plus facile… Moi, étant, comme tu sais, l’ami des bœufs, le patron des toucheurs, je fréquente la Camargue, Arles, Beaucaire, Nîmes, Tarascon, et je connais ce peuple: je sais où il lui démange et comment il faut le prendre… Tiens, tu vas voir.

A ce moment voletait par là une volée d’anges bouffis.

– Petits! leur fait saint Luc, psitt, psitt!

Les angelots descendent.

– Allez en cachette hors du paradis; et quand vous serez devant la porte, vous passerez en courant et en criant: «Les bœufs, les bœufs!»

Sitôt les angelots sortent du paradis et comme ils sont devant la porte, ils s’élancent en criant: «Les bœufs, les bœufs! Oh tiens! oh tiens! la pique!»

Jarjaye, bon Dieu de Dieu! se retourne ahuri.

– Tron de l’air! quoi! ici on fait courir les bœufs! En avant! s’écrie-t-il.

Et il s’élance vers la porte comme un tourbillon et, pauvre imbécile, sort du paradis.

Saint Pierre vivement pousse la porte et ferme à clef, puis mettant la tête au guichet: -

– Eh bien! Jarjaye, lui dit-il goguenard, comment te trouves-tu à cette heure?

– Oh! n’importe, riposte Jarjaye. Si ç’avait été les bœufs, je ne regretterais pas ma part de paradis.

Cela disant, il plonge, la tête la première, dans l’abîme.

(Almanach provençal de 1864.)

LA GRENOUILLE DE NARBONNE

I

Le camarade Pignolet compagnon menuisier, – surnommé la «Fleur de Grasse», – par une après-midi du mois de juin, revenait tout joyeux de faire son Tour de France. La chaleur était assommante et, sa canne garnie de rubans à la main, avec son affûtage (ciseaux, rabots, maillet), plié derrière le dos dans son tablier de toile, Pignolet gravissait le grand chemin de Grasse, d’où il était parti depuis quelque trois ou quatre ans.