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Il m’a appelée hier soir pour me demander si on pouvait se voir. J'ai voulu savoir si ça avait un rapport avec Anna, avec le fait qu’elle m’avait vue dans Blenheim Road. Je lui ai assuré que ça n’avait rien à voir avec eux, que je n’étais pas venue les déranger. Il m’a crue, en tout cas c’est ce qu’il a prétendu, mais il semblait méfiant, un peu nerveux. Il a dit qu’il avait besoin de me parler.

— S’il te plaît, Rach.

Et voilà. À la façon dont il a dit ça, comme au bon vieux temps, j’ai cru que mon cœur allait exploser.

— Je passerai te prendre, d’accord ?

Je me suis réveillée avant l’aube et, à cinq heures, j’étais dans la cuisine à me faire un café. Je me suis lavé les cheveux, rasé les jambes et maquillée, et j’ai changé quatre fois de tenue. Et je me sentais coupable. C’est idiot, je sais, mais j’ai repensé à Scott, à la nuit qu’on avait passée et à ce que ça m’avait fait éprouver… Et j’ai eu des remords, parce que ça ressemblait à une trahison. De Tom. L’homme qui m’a quittée pour une autre femme il y a deux ans. C’est ce que je ressens, je n’y peux rien.

Tom est arrivé un peu avant neuf heures. Je suis descendue et il était là, appuyé sur sa voiture, avec un jean et un vieux T-shirt gris – assez vieux pour que je me souvienne exactement de la sensation du tissu contre ma joue quand je posais la tête sur sa poitrine.

— J’ai pris ma matinée, a-t-il annoncé en me voyant. Je pensais qu’on pourrait aller quelque part.

Nous n’avons pas dit grand-chose pendant le trajet jusqu’au lac. Il m’a demandé comment j’allais, et m’a dit que j’avais l’air en forme. Il s’est gardé de mentionner Anna jusqu’à maintenant, alors que nous sommes assis dans le parking et que je songe à lui prendre la main.

— Alors, bon, Anna a dit qu’elle t’avait vue… et qu’elle pensait que tu sortais de chez Scott Hipwell. C’est vrai ?

Il est tourné vers moi, mais il ne me regarde pas. Il semble presque gêné de me poser cette question.

— Tu n’as pas à t’en faire, je réponds. J’ai vu Scott plusieurs fois ces derniers jours. Enfin, je l’ai vu… On est amis, plus ou moins. C’est tout. C’est difficile à expliquer. Je l’aide un peu, voilà. Tu te doutes que c’est une période terriblement difficile, pour lui.

Tom hoche la tête, mais toujours sans me regarder. Au lieu de quoi il se met à se mordiller l’ongle de l’index gauche, preuve qu’il est anxieux.

— Mais Rach…

Je préférerais qu’il arrête de m’appeler comme ça, parce que, chaque fois, j’en ai la tête qui tourne et j’ai envie de sourire. Ça fait tellement longtemps que je ne l’ai pas entendu prononcer mon nom de cette manière, et ça me donne de l’espoir. Peut-être que ça ne va pas fort avec Anna, peut-être qu’il se souvient des bons moments entre nous, peut-être qu’au fond je lui manque un peu.

— C’est juste que… je suis vraiment inquiet.

Il me regarde enfin, ses grands yeux marron rivés sur les miens, et il remue la main comme s’il voulait prendre la mienne, puis il se ravise et la repose sur ses genoux.

— Je sais… enfin, non, je ne sais pas grand-chose, mais Scott… Je sais qu’il a l’air d’un type très bien, mais on ne peut être sûr de rien, tu vois ?

— Tu penses que c’est lui ?

Il secoue la tête et déglutit péniblement.

— Non, non. Ce n’est pas ce que je veux dire. Je sais… bon, Anna dit qu’ils se disputaient souvent. Que parfois Megan semblait avoir un peu peur de lui.

— C’est Anna qui t’a dit ça ?

Mon premier instinct est d’ignorer tout ce que cette conne pourrait avoir à dire, mais je ne peux pas me débarrasser du sentiment que j’ai éprouvé quand j’étais chez Scott, samedi. Le sentiment qu’il y avait quelque chose de pas normal.

Il acquiesce.

— Megan a fait un peu de baby-sitting pour nous quand Evie était toute petite. Bon sang ! je n’aime pas y penser, maintenant, avec tout ce qu’on lit dans les journaux. Mais, tu vois, ça prouve bien qu’on pense connaître quelqu’un, et en fait…

Il soupire longuement.

— Je ne veux pas qu’il t’arrive quelque chose.

Puis il me sourit et, avec un léger haussement d’épaules, il ajoute :

— Tu comptes encore beaucoup pour moi, Rach.

À cet instant, je dois détourner les yeux parce que je ne veux pas qu’il voie les larmes qui y sont apparues. Mais il sait qu’elles sont là, alors il pose une main sur mon épaule et ajoute :

— Je suis vraiment désolé.

Nous restons assis quelque temps comme ça, en silence. Je me mords la lèvre pour arrêter de pleurer. Je ne tiens pas à rendre les choses plus difficiles qu’elles ne le sont déjà pour lui.

— Ça va, Tom. Je vais mieux, tu sais.

— Je suis content de l’entendre. Vraiment. Et tu…

— Je bois moins. Ça va mieux.

— Bien. Tu as l’air en forme. Tu es… jolie.

Il me sourit à nouveau et je me sens rougir. Il se détourne rapidement.

— Est-ce que… comment dire… est-ce que tu t’en sors ? Financièrement ?

— Je m’en sors.

— Tu en es sûre ? Il faut que tu me le dises, Rachel, parce que je ne veux pas que tu…

— Oui, oui.

— Je peux te filer un coup de main si tu veux. Putain, je dois avoir l’air d’un abruti, mais dis-moi si je peux t’aider ! Histoire de te dépanner.

— Ça va, je t’assure.

C’est alors qu’il se penche au-dessus de mes genoux, et j’arrive à peine à respirer tant j’ai envie de le toucher. J’ai envie de sentir l’odeur de son cou, d’enfouir mon visage dans le creux musclé entre ses épaules. Il ouvre la boîte à gants.

— Laisse-moi juste te faire un chèque, hein ? Tu n’es pas obligée de l’encaisser.

Je ris.

— Tu gardes un chéquier dans ta boîte à gants ?

Il se met à rire, lui aussi.

— On ne sait jamais.

— On ne sait jamais à quel moment on risque de devoir renflouer sa cinglée d’ex-femme ?

Il me frotte la pommette du pouce. Je lui prends la main pour lui embrasser la paume.

— Promets-moi, dit-il d’un ton bourru. Promets-moi que tu ne t’approcheras pas de Scott Hipwell. D’accord, Rach ?

— Promis.

Et c’est en toute sincérité que je réponds, presque aveuglée par la joie, parce que je me rends compte qu’il n’est pas simplement inquiet pour moi. Il est jaloux.

Mardi 13 août 2013

Tôt le matin

Je suis à bord du train, et je regarde une pile de vêtements au bord de la voie ferrée. Un tissu bleu foncé. Une robe, je crois, avec une ceinture noire. J’ai du mal à comprendre comment elle a pu se retrouver là. Ce ne sont certainement pas des ouvriers qui l’ont oubliée. Le train avance, mais à une allure si lente que j’ai tout mon temps pour l’observer, et j’ai l’impression d’avoir déjà vu cette robe quelque part, j’ai déjà vu quelqu’un la porter. Je ne me souviens pas quand. Il fait très froid. Trop froid pour ce genre de robe. Je pense qu’il va bientôt neiger.

J’ai hâte de voir la maison de Tom, ma maison. Je sais qu’il sera là, assis dans le jardin. Je sais qu’il sera seul, à m’attendre. Quand nous passerons, il se lèvera pour me faire un signe de la main et un sourire. Je sais tout cela.

Cependant, nous nous arrêtons d’abord devant le numéro quinze. Jason et Jess sont là, sur leur balcon, ils boivent un verre de vin, ce qui est étrange parce qu’il n’est même pas huit heures et demie du matin. Jess porte une robe à fleurs rouges et des petites boucles d’oreilles en argent avec des oiseaux dessus, je les vois se balancer d’avant en arrière pendant qu’elle parle. Jason se tient derrière elle, les mains posées sur ses épaules. Je leur souris. J’ai envie de leur faire coucou, mais je ne veux pas que les autres passagers me trouvent bizarre. Alors je me contente de les regarder et de songer que je ne serais pas contre un verre de vin, moi non plus.

Cela fait une éternité qu’on est là, et le train n’est toujours pas reparti. J’ai envie qu’on redémarre parce que, sinon, Tom ne sera plus là et je risque de le manquer. Maintenant, je distingue le visage de Jess, bien plus clairement qu’à l’accoutumée – ça a à voir avec la lumière, très vive, qui l’éclaire directement, tel un projecteur. Jason est toujours derrière elle, mais il n’a plus les mains sur ses épaules, elles sont sur son cou, et Jess semble mal à l’aise, effrayée. Il l’étrangle. Je vois son visage devenir tout rouge. Elle pleure. Je bondis sur mes pieds, et je me mets à tambouriner contre la vitre et à lui hurler d’arrêter, mais il ne m’entend pas. Quelqu’un m'agrippe le bras : l’homme aux cheveux roux. Il me dit de m’asseoir, et ajoute que nous ne sommes plus très loin du prochain arrêt.