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Aussi ses investigations demeuraient sans résultat. Robert l’en taquinait.

— Personne n’est digne de moi, il y a de quoi être fier.

— Soyez modeste, disait-elle, un homme fait toujours un mari passable, mais la base du ménage, c’est la femme. Je la veux donc telle que vous n’ayez jamais rien à me reprocher.

Enfin, elle reçut une lettre de Dieppe, Mme Ramel, une amie de jeunesse qu’elle revoyait chaque été, annonçait qu’après la saison elle se fixerait à Rouen pour y produire sa fille.

Une idée l’illumina : Lucie Ramel satisfaisait à toutes les exigences. L’habitude de la considérer comme une enfant l’empêchait d’y songer. Maintenant elle se rappelait sa propre surprise, lors de son dernier séjour au bord de la mer. Elle avait laissé l’année précédente une gamine, elle retrouvait une petite femme réservée, travailleuse, d’allures discrètes.

Quelles garanties d’honorabilité fournissait en outre un tel mariage ! Tout au plus aurait-on pu relever certains bruits relatifs aux mœurs légères de M. Ramel. Mais, heureusement, il était mort pendant la guerre, des conséquences d’une indigestion. Et Lucie portait la seule empreinte de Mme Ramel, une femme droite et courageuse, une femme de devoir. Noble exemple pour une fille qu’une telle mère !

Donc, dores et déjà, Lucie réunissait cette triple sauvegarde, l’excellence de l’éducation, du milieu et des principes sucés. Restait le caractère.

Elle avança son départ, et une fois à Dieppe, profitant des soucis qu’imposaient à Mme Ramel les préparatifs d’un déménagement, elle s’empara de Lucie, afin de l’observer à son aise.

Elle ne recueillit que de vagues renseignements. La nature de Mlle Ramel, assez compliquée, n’admettait pas de définition précise, formulée à l’aide d’épithètes. Continuellement, Mme Bouju-Gavart se heurtait à des contradictions, la plupart, du reste, inhérentes à toute jeune fille. Pour ne pas s’avouer vaincue, elle s’empara de quelques aveux semés au hasard par Lucie, selon son humeur ou l’état actuel de ses nerfs et lui accola cette mention : une sentimentale, à qui le mariage rendrait l’équilibre.

Connaissant maintenant les deux parties intéressées, elle conclut à la nécessité de leur union. La tendresse de Robert assouvirait inévitablement les besoins poétiques de Lucie. Ils étaient faits l’un pour l’autre. Cette constatation la combla de joie.

Elle s’ouvrit de son projet à M. Bouju-Gavart. Il s’en enthousiasma.

— Tu as mille fois raison, Mathilde, c’est leur bonheur à tous deux, ces enfants, et j’en serai d’autant plus content que Lucie est ma filleule.

À son tour, il voulut confesser Mlle Ramel.

Il la prenait par le bras, l’entraînait au Casino, sur la plage, sur la jetée. Sa tête imposante de vieux beau se donnait les airs fats d’un monsieur en bonne fortune. Il se penchait vers sa compagne, galant, empressé, la bouche souriante. Il l’aidait à mettre son vêtement, à rajuster sa voilette et, d’un ton paternel, l’interrogeait, en lui tapotant la main :

— Eh bien, petite, quand me prieras-tu de te servir de témoin ? As-tu l’intention de coiffer sainte Catherine ? Que dirais-tu d’un joli brun, vingt-huit ans et riche ?

Elle, intriguée, débitait ses rêves. Ils variaient chaque jour, ce qui déroutait l’ancien commerçant. Elle admirait le lendemain ce qu’elle dénigrait la veille, et elle se démentait très gravement avec l’aplomb d’une personne qui a beaucoup médité, et dont l’opinion est fermement établie.

— C’est une rouée, pensa-t-il, employant un mot quelconque pour expliquer ce qu’il ne comprenait pas.

Une après-midi, sur le galet, il aperçut son fils auprès d’une femme aux cheveux roux et aux lèvres peintes. Il examina Mlle Ramel. Elle regardait aussi. Et elle dit :

— Qui est-ce, cette dame, parrain ?

— Une cousine, répondit-il.

Au dîner, elle questionna Paul au sujet de cette nouvelle parente. « Se moque-t-elle de nous ? Est-elle sincère ? se demandait M. Bouju-Gavart, » Cette fois, elle lui parut plutôt naïve. Afin de concilier ces deux jugements, il en adopta un troisième, tout fait, celui de sa femme. Et son estime pour Mathilde s’en accrut.

— Elle l’a bien définie, c’est une sentimentale.

Par une entente tacite, les époux complétèrent leur étude au point de vue physique. Comme Lucie prenait ses bains vers neuf heures, ils se levèrent un jour de grand matin et se rendirent au Casino.

Ils furent émerveillés. « La gaillarde, murmura M. Bouju-Gavart, qui se serait imaginé… ! » Ses mains tremblaient un peu, les veines de son front gonflèrent. Il ne manqua plus ce spectacle.

Au mois de septembre, les dames Ramel s’installèrent à Rouen, rue de Crosne.

Une semaine après, un dimanche, les Bouju-Gavart ménageaient, dans leur propriété de Croisset, une entrevue aux deux jeunes gens.

La route bordait la Seine. À travers la grille qui s’ouvrait entre deux gros piliers chargés de verdure, on apercevait une pelouse étroite et longue, encadrée de massifs d’arbres. Au milieu de cette pelouse, un énorme marronnier, orgueil des propriétaires, bouchait la vue. Au fond s’étendait l’habitation, vieille bâtisse blanche, composée de pièces et de morceaux.

Les présentations eurent lieu, puis on se mit à table. Tout de suite la glace fut rompue. On se connaissait déjà si bien par les Bouju-Gavart.

Robert, prévenu, fit beaucoup de frais et justifia sa renommée de causeur brillant. Il raconta divers épisodes de la guerre avec une émotion qui empoigna ces dames et en même temps une verve gouailleuse, qui sembla très forte.

On prit le café dans une tonnelle en remblai au-dessus de la route. On dominait la Seine. Les invités ne manquaient jamais de s’exclamer :

— C’est ravissant !

Chalmin s’acquitta de cette tâche. Tout bas Lucie dit à son parrain :

— Est-ce votre beau brun de vingt-huit ans ?

Elle se moquait gentiment. Il lui saisit les bras :

— Curieuse, tu voudrais bien savoir… En tous cas, celui-ci, comment le trouves-tu ?

— Bien haut sur pattes, fit-elle en se dégageant.

Le temps était tiède. Les arbres avaient de jolis tons roux. Des voiles grises rasaient la Seine comme de grandes ailes d’oiseau. Au-delà, s’étalaient des prairies où des vaches remuaient. Des bois en masses sombres fermaient l’horizon.

Les jambes croisées, la tête appuyée au dossier de son fauteuil en jonc, Chalmin sentait le charme des couleurs et cet apaisement de la nature qu’augmentaient encore la coulée lente du fleuve et la petitesse des choses qui bougeaient.

Il épia Lucie. Elle rêvait, la figure inerte, se garantissant du soleil sous une ombrelle à carreaux écossais.

Elle était brune et de petite taille. Sa physionomie, un peu insignifiante au repos, avec son nez en l’air, sa bouche sans dessin précis, son regard sans éclat, prenait en souriant une certaine vivacité, due à la blancheur de ses dents et aux fossettes qui trouaient ses joues et son menton. La peau était mate, les lèvres rouges.

Elle parut à Chalmin gracieuse et séduisante. Il distingua la finesse de ses attaches, la cambrure de son pied, la disposition symétrique de sa coiffure et la courbe parfaite des bandeaux noirs collés à son front. Elle portait une robe en toile mauve, de coupe médiocre, dont Robert, mauvais juge en élégances féminines, apprécia la simplicité et la modestie.

« Elle doit être ordonnée », pensa-t-il. Et il se l’imagina femme d’intérieur, méthodique et soigneuse.

Les hôtes proposèrent une promenade en bateau. Il fallut descendre un escalier boueux et traverser quelques mètres de vase en choisissant les gros cailloux. Chalmin, solidement arc-bouté, soutint ces dames. Le domestique s’empara des avirons, et l’on fila du côté de la Bouille.