— C’est la femme de la fugue, pensa le policier, et il interrogea :
— Savez-vous où habitait cette belle enfant ?
— Ah, dame…
La chasseur feignait si bien de chercher, que Juve, à nouveau, comprit l’opportunité d’un encouragement.
Vingt francs passèrent encore de sa poche dans celle du chasseur.
— Vous vous rappelez hein ?
— Monsieur, déclarait l’homme galonné, tout ce que je puis vous dire, c’est qu’en sortant d’ici, M. Baraban et son amie allaient souvent au Nocturn-Hôtel.C’est l’adresse qu’ils me donnaient pour le cocher, quand j’allais leur chercher un fiacre.
Un quart d’heure plus tard, Juve était naturellement au Nocturn-Hôtel, Il avait la chance d’y trouver un extraordinaire individu, vaguement indicateur de la police, encore plus vaguement bookmaker, et de façon apparente, garçon de chambre.
Juve, naturellement, questionna l’individu : il en obtint tout juste la confirmation des renseignements recueillis au Crocodile.L’oncle Baraban avait bien une maîtresse, il venait régulièrement dans cet hôtel, mais personne ne savait quelle était la femme, « une femme sérieuse » d’ailleurs, affirmait le garçon, « une femme qui ne devait avoir que le vieux pour amant ».
Là-dessus, moins bien renseigné que Fandor, mais satisfait cependant, Juve rentrait chez lui.
— Allons, pensait le policier, demain matin, je surprendrai Fandor, en lui indiquant cette nouvelle piste. Il faudra bien que nous retrouvions la maîtresse de Baraban, et que nous sachions si ce n’est pas avec elle que le vieux bonhomme est parti.
Juve pensait surprendre Fandor. En fait, c’est lui qui fut surpris le lendemain matin.
Dans son courrier, en effet, il trouvait une enveloppe dont l’adresse révélait la main du journaliste.
À l’intérieur de cette enveloppe, Juve découvrait sa carte de police, son « œil », et de plus, une carte de visite de Fandor.
— Çà, c’est fort, pensa Juve, qui comprenait en un instant quel était son voleur. Fandor me paiera cela, avec les intérêts.
Le policier fulminait encore, qu’on l’appelait au téléphone :
— Allô, qui est là ? demanda Juve.
Il entendit une voix qui lui répondait :
— C’est moi, Havard.
— Très bien, que me voulez-vous ?
— D’abord, mon cher Juve, je tiens à vous convoquer pour aujourd’hui même, à trois heures, rue Richer. Il s’agit de lever les scellés apposés sur l’appartement du crime.
— Allô, avez-vous donc du nouveau ? demanda Juve.
— Peut-être, dit M. Havard, puis, après un temps, le chef de la Sûreté, ajouta :
— Dites donc, Juve, entre nous, autre chose : j’ai payé votre note du Crocodile, reçue ce matin. Mais il me semble que vous avez un peu exagéré. Peste, mon cher, vous ne vous refusez plus rien maintenant. Le menu était fort bon !
On eût annoncé à Juve que Paris s’était écroulé, que la tour Eiffel avait grandi de cent mètres dans la nuit précédente, qu’il n’eût pas été plus ahuri.
— Ma note du Crocodile ? protesta Juve. Allô ? Mon menu ? Ah ça qu’est-ce que vous me racontez monsieur Havard, je n’ai rien pris au Crocodile. J’ai même été à peu près flanqué à la porte.
Mais aucune voix ne répondit. Une employée zélée avait tranquillement coupé la communication.
14 – PERQUISITIONS
Il était tout près de trois heures et Juve, exact comme un militaire, attendait depuis quelques minutes à peine, lorsque le coupé de M. Havard arriva rue Richer et stoppa à la hauteur du policier.
M. Havard sauta de voiture plutôt qu’il n’en descendit. Il paraissait joyeux et apostropha Juve.
— Tiens, voilà notre noceur. Comment ça va-t-il depuis ce matin ?
— Cela va parfaitement, répondait Juve, je vous remercie, mais je tiens à dégager tout de suite ma réputation compromise. Monsieur Havard, foi d’honnête policier, je ne mérite pas d’être traité de noceur.
À cela, M. Havard répondait plaisamment en levant les bras au ciel :
— Qui donc le mériterait, grands dieux ? Savez-vous quel était le total exorbitant de votre dîner d’hier soir ? Cinquante-sept francs.
— Erreur, répondit Juve, profonde erreur. J’ai dîné pour deux francs soixante.
Et comme M. Havard le regardait fort surpris, Juve expliquait :
— Voici la clé de l’énigme, M. Havard, vous avez été victime d’une plaisanterie de mon ami Fandor.
Et Juve, qui venait de déjeuner avec le journaliste, expliqua à M. Havard, fort amusé, les incidents de la nuit précédente.
— Voilà la vérité, concluait-il. Fandor s’est conduit comme un polisson et m’a fait soupçonner d’indiscrétion notoire. En revanche, vous avouerez, patron, que mon jeune ami n’a pas perdu son temps.
Les deux hommes causaient encore sur le trottoir, M. Havard prit Juve par le bras et le poussa vers la porte cochère de l’immeuble du crime.
— Fandor n’a pas perdu son temps, approuvait M. Havard, c’est exact ! Vous non plus, Juve, et moi encore moins.
C’était là bien évidemment des paroles imprudentes, que Juve ne pouvait guère laisser passer sans protester :
— Oh, oh, dit-il, on dirait que vous avez du nouveau ?
— Beaucoup de nouveau, répondit M. Havard. Je vous l’expliquerai tout à l’heure.
Il regarda Juve en riant, puis ajouta :
— Et du nouveau qui vous surprendra, encore !
Or, à ce moment, Juve faisait une mine assez curieuse :
« C’est bizarre, pensa le policier en lui-même, mais Havard a l’air satisfait. C’est qu’il a trouvé quelque chose qui peut lui donner à penser que la thèse de l’assassinat se confirme, or l’assassinat, je ne peux pas y croire. »
Juve toutefois se garda bien d’exprimer ses réflexions à haute voix.
— Patron, répondait-il, je suis prêt à vous écouter quand vous voudrez.
M. Havard, cependant, de façon autoritaire, car il aimait un peu de temps à autre à faire parade de son grade, ouvrit la loge de la concierge.
— Les clés de M. Baraban ? demanda-t-il.
La concierge avait été, en effet, nommée gardienne des scellés, ainsi qu’il est d’usage.
— Seigneur, doux Jésus, s’exclama-t-elle en reconnaissant le chef de la police, c’est-il encore que vous allez monter à l’appartement de ce pauvre cher brave homme ? Connaît-on son assassin ?
— On ne connaît rien du tout, affirma M. Havard.
Et de plus en plus autoritaire, le chef de la Sûreté ajouta :
— D’ailleurs, madame, si vous voulez être renseignée, vous n’avez qu’à lire le journal. Vous y trouverez tout ce qu’il y a d’important à connaître pour vous.
En possession des clés, à peine toucha-t-il son chapeau.
— Gardez votre loge et ne laissez monter personne ! M. Juve et moi nous allons travailler.
M. Havard s’en alla sur ces mots, ne se doutant point qu’en brusquant la digne portière, il venait de s’en faire une ennemie, ce qui n’était peut-être pas très adroit.
Tandis que le chef de la Sûreté, en effet, montait en compagnie de Juve vers l’appartement sinistre, la concierge, femme de bon sens, jugea la situation d’un mot :
— En voilà un crâneur ! disait-elle. Ça a l’air de se croire le Président de la République ! Parbleu, s’il savait quelque chose, il serait bien trop content de le dire. C’est pas M. Fandor, ni M. Juve qui m’enverraient promener comme ça. Mais aussi, tous les deux, ce sont des malins.
Pendant que la concierge monologuait de la sorte, M. Havard et le policier arrivaient à l’appartement tragique.
— Ainsi, commença Juve, vous avez l’intention de perquisitionner à nouveau ?
— Oui, répliqua M. Havard, et de causer avec vous, tout d’abord.
Le chef de la Sûreté brisa d’un doigt, en vertu de sa qualité de commissaire de police, les scellés apposés le jour du crime sur la porte de l’appartement.
— Entrez, mon cher Juve.
Les deux hommes pénétrèrent dans le corridor, se découvrirent et malgré eux, frissonnèrent :