Elle courait à la porte de la loge, l’ouvrait :

— Monsieur l’agent, faites donc évanouir ce rassemblement. C’est scandaleux de faire du potin comme ça dans une maison où il y a un mort.

Or, Jérôme Fandor, à ces mots, commençait à prendre des notes.

— Nous disons donc, disait-il, que le mort est dans l’appartement ? Bien. Comment a-t-il été tué ? Couteau ? Revolver ? Poison ?

La concierge joignit les mains :

— Mais Seigneur Dieu, clamait-elle désespérée, n’allez pas si vite ! Bien sûr que non : le mort n’est pas là.

Jérôme Fandor cessa d’écrire :

— On l’a déjà transporté à la morgue ? interrogeait-il.

— Ah bien, oui, ripostait la concierge, le cadavre comme vous dites, ce pauv’ M. Baraban enfin, c’est ses meurtriers qui l’ont emmené.

Péniblement alors, bribe par bribe, Fandor se faisait raconter par sa digne concierge les incidents de la matinée.

— Je suis montée, disait la brave femme, à neuf heures, comme d’ordinaire, pour commencer le ménage, là-dessus, j’ai trouvé l’appartement à feu et à sang. Du sang même, monsieur Fandor, il y en avait partout là-haut, c’est une vraie abomination. D’ailleurs, si vous voulez monter ?

— Pas encore, répondit Fandor. Donc, vous avez tout trouvé bouleversé, du sang de tous les côtés et pas de cadavre ?

— Vous me faites froid dans le dos, riposta la concierge en se signant, vrai, vous parlez de ça comme un homme qu’en a l’habitude, moi, rien que d’y penser…

Mais la brave femme maîtrisait vite son émotion, elle était d’ailleurs très fière de documenter le journaliste, elle insistait sur les moindres détails :

— Naturellement, m’sieu Fandor, quand j’ai vu l’appartement sens dessus dessous que c’en était une horreur, je me suis dit : il s’est passé ici quelque chose de pas ordinaire. C’était bien ce que je devais penser, hein ?

— Oui, concéda Fandor, mais ce que vous avez pensé importe peu. Qu’avez-vous fait ?

— Dame, j’ai cherché partout ce pauv’ monsieur Baraban.

— Et vous ne l’avez trouvé nulle part ?

— C’est comme vous dites, affirma la concierge.

Elle s’épongeait le front avec un mouchoir à carreaux dont Fandor, à part lui, admirait l’ampleur, puis elle continua :

— Alors, n’est-ce pas, on a été chercher la police, on a fait une partie de l’enquête, comme ils disent, et tout de suite, on a constaté qu’il manquait, dans l’appartement, une grande malle jaune, une malle énorme, une malle quoi, comme l’a dit M. le Commissaire de police, où on avait très bien pu cacher le mort.

La concierge but un petit verre de rhum, tout préparé sur le dressoir de sa loge, toussa, prisa, puis se moucha avec un grand bruit :

— M’sieu Fandor, je vous dis que c’est dans cette malle qu’ils l’ont emporté le pauv’ bonhomme. Ah, tenez, on ne devrait pas permettre de faire des malles aussi grandes que ça !

Mais Fandor, naturellement, refusait d’entrer dans la discussion d’une pareille disposition législative :

— Vous avez peut-être raison, remarquait-il simplement, mais voyez-vous, madame Hippolyte, comme vous n’êtes pas député et moi non plus, ce n’est pas nous qui ferons voter cette loi-là. Revenons donc au fait. Vous dites qu’il y avait une malle jaune chez ce M. Baraban ? Et qu’elle n’y est plus. Bien, avez-vous vu sortir cette malle ?

— Non bien sûr.

— Soupçonnez-vous enfin comment elle a pu être enlevée ?

— Sur le bon Dieu, je vous jure que non.

Fandor fit la grimace :

— Cela se complique, murmurait-il, car enfin, une malle ça ne s’enlève pas comme ça.

Et, après un instant de réflexion, il demanda encore :

— Il y a eu beaucoup d’allées et venues dans la maison, hein, cette nuit ? Vous avez tiré le cordon plusieurs fois ?

Mais la concierge protestait :

— Ma foi non, pas du tout ! D’ailleurs, voilà comment les choses se sont passées : Hier soir, sur le coup de neuf heures et demie, M. Baraban est rentré avec sa nièce.

— Oh, oh, remarqua Fandor, vous avez vu la victime à neuf heures et demie ?

— Je l’ai vue bien plus tard, mais attendez donc. À neuf heures et demie, comme je vous le dis, M. Baraban est rentré avec sa nièce. « Bonjour, madame, qu’elle m’a dit en passant, c’est nous qui rentrons et nous allons vous déranger dans quelques instants, parce que tout à l’heure, mon oncle et moi, nous allons ressortir pour aller à la gare. » Là-dessus, moi, n’est-ce pas, je lui ai dit : « Mais ça m’est bien égal, madame, faut pas vous gêner, pour M. Baraban, je tirerai bien vingt fois le cordon. »

— Alors, interrompit Fandor, ils sont sortis ?

— Oui, affirma la concierge. À dix heures et demie, comme ça, on m’a demandé la porte. « Vous dérangez pas » qu’on m’a crié, « c’est nous. » C’est nous. Vous comprenez bien, m’sieu Fandor, c’était M. Baraban et sa nièce qui sortaient.

— Oui, après ?

— Ah dame, après, le pauv’ cher homme, il est rentré. Il est rentré précisément pour devenir la proie des assassins. Moi, ça me bouleverse.

La concierge s’essuyait encore le front, puis achevait sa déposition :

— Comme ça, sur le coup de minuit, à minuit juste même, car ma pendule sonnait, j’ai entendu qu’on carillonnait à la porte d’entrée. Comme de juste, j’ai ouvert. « C’est moi Baraban » qu’on m’a dit, « bonsoir ». C’était ce pauvre cher M. Baraban qui rentrait.

Fandor, naturellement, prenait des notes.

— Ainsi, interrompit-il, le crayon levé au-dessus de la page de son block notes, vous êtes certaine que M. Baraban est rentré à minuit ?

— Oui, j’en suis certaine ! Même qu’il avait mal fermé la porte et qu’il est revenu sur ses pas pour la tirer. Ah, le pauvre cher homme, c’est pas lui qui m’aurait fait relever.

Fandor ne sourcillait pas à cette remarque, car il avait eu récemment une grande dispute avec la digne femme, ayant un jour, en rentrant tard, mal tiré la porte cochère, et cette allusion était une pierre dans son jardin.

— Et alors après, interrogeait-il, que s’est-il passé ?

La concierge levait les bras au ciel.

— Après ? Dame, j’en sais rien ! C’est à ce moment-là qu’on a dû le tuer. Et puis, ils ont sorti la malle, et puis…

— Là, là, pas si vite.

Jérôme Fandor allait questionner encore la digne femme, lorsque la porte de la loge s’ouvrait. Une voix grave, une voix bien timbrée, interrogeait :

— Eh bien ? Tu as fait l’enquête ? Qu’est-ce que tu sais ?

Fandor se retourna :

— Ah, c’est vous, Juve ! Enchanté de vous voir. On en fait de belles chez moi, hein ?

Fandor passait son papier couvert de notes à Juve, le mettait au fait en deux mots :

— Vous voyez que cela est très clair, disait le journaliste, un vieux bonhomme rentrant tard, probablement suivi par quelque individu qui se glisse dans la maison, à la faveur d’une porte mal refermée, qui monte derrière lui, l’assassine, cambriole les meubles, coule sa victime dans une malle, et s’en va, je suppose, la porter à la Seine, ou l’abandonner dans une consigne quelconque. Il n’y a rien de mystérieux et l’assassin…

— L’assassin, interrompit Juve d’une voix un tantinet ironique, Havard l’a fait arrêter.

Fandor allait questionner le policier, lorsque celui-ci, d’un geste, l’attirait de quelques pas à l’écart.

— Es-tu monté là-haut ? demandait-il.

— Non, pas encore.

— Alors, tu vas m’accompagner.

Et Juve ajoutait :

— Ta concierge est un peu bavarde, hein, Fandor ?

— Non, ripostait le journaliste, pas un peu, beaucoup. Pourquoi ?

— Nous allons la laisser en bas.

Juve se fit remettre en effet la clé que possédait la digne portière et, en compagnie seulement de Fandor, gravissait les étages. Maintes fois déjà, le journaliste avait accompagné le policier dans des enquêtes de ce genre. Maintes fois, il avait eu le spectacle, toujours tragique, des appartements lugubres où le crime a laissé son désordre. Pourtant, ce jour-là, Jérôme Fandor tressaillit en pénétrant dans l’appartement du malheureux Baraban.